Memento

EDWIN BOTTERMAN

DIRECTEUR GÉNÉRAL DES BRASSERIES DE BOURBON

- Propos recueillis par : Laurie Ferrère // Photo : Mémento

Le Mémento : Pourriez-vous vous présenter?

Edwin Botterman : Je suis de nationalit­é belge. Né à Bruxelles il y a 62 ans, et je suis marié, toujours à la même femme, avec qui j’ai eu trois enfants dont l’aîné vit à la Réunion, la seconde à Londres, et le dernier en Belgique. Je travaille chez Heineken depuis 32 ans et j’ai travaillé respective­ment au Zaïre, au Rwanda, en Espagne, aux Pays-Bas, en Roumanie, en Italie et Belgique, avant de (re)venir à La Réunion.

Le Mémento : Vous êtes Belge et avez fait carrière chez Heineken. Vous étiez prédestiné à cette boisson ? Comment s’est réalisé votre parcours, qui force l’exemple ?

E. B. : Je suis tombé dedans quand j’étais petit, comme Obélix (rires). Il est évident que la Belgique est la référence mondiale en matière de diversité, de richesse, de savoir-faire pour le brassage de la bière. Il y a une quantité et une diversité incroyable, le pays ne compte pas moins de 1.600 bières différente­s, donc il doit y avoir très probableme­nt un lien.

Mais en réalité, j’ai démarré dans le pétrole, avant de travailler chez Heineken. J’ai travaillé cinq ans pour une société belge pétrolière. Passer du pétrole à la bière, ce fut une évolution bien heureuse qui m’a permis de découvrir l’Afrique. Je faisais de l’importatio­n et de la distributi­on pour un réseau de stations-service dans l’Est du Zaïre et c’était une riche expérience à tous points de vue. Grâce à ça, je me suis mis à voyager très tôt, et en réalité, je n’ai travaillé que quatre ans en Belgique. Je suis parti tout de suite après mes études d’ingénieur commercial; un concept qui n’existe pas en France.

Le Mémento : Après plusieurs décennies aux quatre coins du monde, à divers postes de general manager pour Heineken, vous revoilà à La Réunion, donc. Peut-on dire qu’il s’agit d’un retour aux sources ?

E. B. : En quelque sorte, oui. J’étais déjà venu à l’île de La Réunion entre 1994 et 2002, au même poste. Mais je ne me suis jamais détaché de l’île, j’y revenais pratiqueme­nt tous les ans. De fait, quand

“L’innovation est un facteur de réussite

déterminan­t»

j’ai appris que le poste de directeur des Brasseries de Bourbon se libérait, je me suis porté candidat, sans hésiter.

Le Mémento : Êtes-vous heureux de retrouver l’île et sa bière? Quel regard portez-vous sur l’évolution qu’a connue La Dodo entre-temps?

E. B. : Comme je l’ai dit, je revenais souvent. J’ai donc continué à boire de La Dodo. J’ai donc vu et connu son évolution. Ce que je peux dire, c’est que La Dodo a, à la fois, changé sans changer. Son évolution s’est faite de manière positive, et la façon pour moi de décrire au mieux cela, c’est: “l’innovation dans le respect de la tradition”. La bière Dodo a évolué avec son temps, mais en conservant toujours la même recette, en étant toujours proche du Réunionnai­s. Faite à La Réunion, pour La Réunion, c’est un produit emblématiq­ue du “Nou La Fé”.

Il y a un lien affectif très fort qui perdure, qui continue d’exister, la bière parvient à garder sa proximité avec le consommate­ur. Il y a eu de très belles choses, comme la déclinaiso­n de l’Héritage, la Radler et aujourd’hui l’IPA, mais le changement le plus spectacula­ire et visible reste celui de la bouteille. Pendant très longtemps, avec mes prédécesse­urs et successeur­s, il y a eu des études consommate­urs et le résultat était toujours le même: “on ne veut pas que ça change”. Et pourtant, Les Brasseries de Bourbon ont eu l’audace et l’ambition de changer la bouteille, de la rendre plus fine et plus solide. Et c’est une belle réussite qui confirme qu’il est possible de maintenir son identité tout en modifiant certaines choses. Et la communicat­ion faite autour du changement a fait la différence. D’ailleurs, je garde cette publicité, “Nouvo Boutey, Mèm Dodo”, parce qu’elle me rappelle que la tradition et l’innovation ne sont pas incompatib­les.

Le Mémento : Justement, cette boisson -la bière- a longtemps été considérée comme celle du pauvre, de l’ouvrier, peu chère et industriel­le par excellence. Mais aujourd’hui, elle connaît un véritable âge d’or avec le retour de la bière artisanale. Quel regard portez-vous sur cette tendance/concurrenc­e ?

E. B. : Mmmmh, il y a plusieurs choses. Il n’est pas certain que la bière vive un “âge d’or”, véritablem­ent, mais il est certain que la consommati­on en France et à La Réunion connaît un regain. La seconde chose, c’est que peu importe la bière, elle est industriel­le, de par les équipement­s utilisés pour le brassage, et faire en sorte que la qualité soit constante. On ne fait pas de bière dans une baignoire (rires).

Pour créer de la bière, il faut un process de fabricatio­n, de contrôle de certains paramètres, et ça même pour la bière artisanale, les gens le font. Le terme “industriel” est parfois, en général même, utilisé de manière péjorative pour désigner le grand par rapport au petit, l’artisan contre le grand groupe. Et je pense qu’il faut lever ce malentendu, ce mauvais emploi du terme. Quand on dit “industriel”, il y a derrière l’image de millions de bouteilles, faites en une heure, or le processus reste le même pour tout le monde. Il faut du temps pour faire de la bière et ce temps, tout le monde doit le respecter.

Ceci étant dit, je vois d’un oeil très positif le développem­ent des petits brasseurs, cela dynamise la catégorie, ça rend le produit intéressan­t. C’est une très bonne chose, et cela augure un avenir radieux pour la bière. Artisan ou industriel, on fabrique la bière de la même façon, et l’essentiel reste d’offrir de la variété et du choix au consommate­ur.

Le Mémento : Comment les

Brasseries de Bourbon comptentel­les se positionne­r face à ces bières artisanale­s? Quelles sont les innovation­s (les réponses) auxquelles on peut s’attendre?

E. B. : Je ne peux évidemment pas vous en parler, de l’innovation chez les Brasseries de Bourbon. Il y en aura, bien sûr, et elles porteront évidemment aussi bien sur le goût que sur le packaging. Ce que je peux dire, c’est que des réflexions sont en court, notamment sur la bière pression. Et que l’innovation est nécessaire. L’innovation est un facteur de réussite déterminan­t. Il faut le faire, parce qu’en tant que leader, on se doit de tirer le marché vers le haut, et ne pas rester sur ses acquis. Mais il faut avoir en tête que produire à La Réunion comporte toujours un problème d’échelle, avec beaucoup d’investisse­ment pour de petites quantités et cela reste un véritable challenge, avec des paramètres économique­s importants. Mais les Brasseries de Bourbon continuent à innover et la nouvelle IPA, qui vient d’arriver sur le marché des CHR et de la GMS, en est une preuve.

Le Mémento : N’y a-t-il pas un risque de saturer le marché ?

E. B. : La saturation n’intervient que lorsqu’il y a une multitude de produits similaires sur le marché. Il y a encore énormément de choses à essayer: avec les fruits, le houblon, la levure, etc. Il y en a une multitude, mais peu de choses sont connues encore là-dessus. Tout reste encore à faire, avec les levures pour des goûts différents. À titre d’exemple, toujours en Belgique, il y a ce qu’on appelle la “Gueuse” ou “Lambic”, des bières faites avec des levures sauvages qui donnent une fermentati­on spontanée et un goût “sour !”, aigre. Tant que l’on fait quelque chose qui se différenci­e à l’offre existante, il n’y aura pas de saturation.

J’ai assisté à l’explosion de l’IPA aux États-Unis en Californie, et ce que l’on peut dire, c’est que la bière traduit également une attitude par rapport au monde, elle transmet avec elle des valeurs. Une bière dit beaucoup de l’époque. Les consommate­urs sont plus sensibles qu’avant au terroir, au commerce local, à l’écologie, etc. tout cela se retrouve aujourd’hui dans la bière locale, comme nationale et internatio­nale. Il faut que le goût plaise et que le consommate­ur s’y retrouve, puisse s’identifier et l’identifier.

La bière Dodo a évolué avec son temps, mais en conservant toujours la même recette, en étant toujours proche du Réunionnai­s

Le Mémento : Quels sont vos objectifs pour les Brasseries de Bourbon ?

E. B. : Si je peux l’exprimer de façon globale, ce serait de rester la référence de choix pour les consommate­urs, et le partenaire de choix pour les clients. Et les valeurs du groupe ne changent pas là-dessus: offrir un produit de qualité et un service de qualité; afin de faire en sorte que les Brasseries de Bourbon soient pérennes et que les collaborat­eurs y trouvent aussi le plaisir d’y travailler. Je souhaite mettre en avant la qualité et le respect de l’autre, on parle là de personnes, mais aussi de l’environnem­ent.

La diversité également, des gens, des cultures et des idées, même si elles sont différente­s. Enfin, et j’insiste, j’ai un fort attachemen­t aux BDB et j’oeuvrerai, avec transparen­ce et créativité, pour l’ancrage, la richesse du territoire, sa production locale et les hommes qui la créent.

 ??  ?? Connu et reconnu dans le monde de la bière, le Belge Edwin Botterman reprend en septembre 2019 le poste de directeur général des Brasseries de Bourbon, succédant à Doron Wijnschenk.
L’homme d’affaires livre sa vision des bulles, en toute franchise.
Connu et reconnu dans le monde de la bière, le Belge Edwin Botterman reprend en septembre 2019 le poste de directeur général des Brasseries de Bourbon, succédant à Doron Wijnschenk. L’homme d’affaires livre sa vision des bulles, en toute franchise.

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