Respecter la liberté de son partenaire…
Les négociations contractuelles durent souvent longtemps, coûtent cher… de sorte que, si le contrat ne se conclut finalement pas, le négociateur déçu puisse nourrir amertume et déception. Pour répondre à cette situation, le droit français pose un principe et une nuance. Le principe est celui de la liberté dans la rupture des négociations ; la nuance est celle de l’abus à l’occasion de cette rupture, qui oblige alors son auteur à en réparer les conséquences.
La situation des négociateurs est alors assez proche de celle des fiancés : de la même façon que, révérence faite à la liberté matrimoniale, un fiancé est toujours libre de rompre les fiançailles et de ne pas convoler, un négociateur, révérence faite à la liberté contractuelle, est toujours libre de rompre les négociations et de ne pas contracter. Mais, pour l’un et l’autre, si les circonstances de la rupture révèlent une faute (vexation, soudaineté, intention de nuire, volonté d’entretenir le partenaire dans la croyance erronée que l’accord est toujours possible…), le fiancé ou le négociateur devront indemniser leur “victime” du préjudice par elle subi.
Reste que la démonstration de la faute dans la rupture des pourparlers n’est pas chose évidente. Le simple fait que le contrat ne soit pas conclu n’est pas, en soi, suffisant à caractériser un abus dans la rupture des négociations. C’est ce qu’un plaideur réunionnais apprend à ses dépens.
En l’espèce, une société spécialisée dans le textile avait initié des négociations avec une compagnie aérienne en vue de réaliser des kit de transport remis aux passagers. Elle estimait que la compagnie avait fautivement mis fin aux négociations en concluant finalement avec un tiers et réclamait près de 100.000 euros de dommages et intérêts (35.000 euros au titre des frais engagés, 15.000 euros de préjudice moral, 50.000 euros de gain manqué).
Ses espérances sont douchées par la Cour d’appel de Saint-Denis qui, en des termes ciselés, renvoie dans ses buts le plaideur imprudent (Cour d’appel de Saint-Denis, 26 jun 2019, n°17-02116). Elle rappelle d’abord le principe : “la rupture des négociations précontractuelles est libre et la responsabilité de l’auteur de la rupture ne peut être recherchée qu’en cas d’abus” ; elle applique ensuite ce principe au cas d’espèce et, après relevé l’historique des négociations, décide que “ces éléments permettent d’établir que les pourparlers ont été de brève durée, que la volonté de la compagnie aérienne de se doter de nouveaux “travel kits” était réelle…, et que la société de textile n’a pas été entretenue dans la certitude d’un accord…”.
LE DROIT OCCUPE UNE PLACE PRÉPONDÉRANTE DANS LES RELATIONS ÉCONOMIQUES.
JEAN-BAPTISTE SEUBE, PROFESSEUR AGRÉGÉ DES FACULTÉS DE DROIT ET AVOCAT AU BARREAU DE SAINT-DENIS, ET LES ÉTUDIANTS DU MASTER
DROIT DES AFFAIRES QU’IL DIRIGE, ATTIRENT L’ATTENTION DES ENTREPRENEURS SUR CERTAINES DIFFICULTÉS JURIDIQUES, À TRAVERS L’ÉVOCATION DE DÉCISIONS DE JUSTICE OU DE LOIS RÉCENTES.
La rupture des négociations précontractuelles est libre et la responsabilité
de l’auteur de la rupture ne peut être recherchée qu’en cas
d’abus
La solution, qui repose sur l’appréciation souveraine des juges du fond, semble bienvenue : le principe doit rester celui de la liberté contractuelle, qui suppose celle de ne pas conclure le contrat. Quand on négocie, on doit savoir que son partenaire est libre de ne pas conclure le contrat et de mettre un terme aux négociations. On doit respecter la liberté de son partenaire et ne pas croire que la conclusion du contrat est un dû. C’est pour l’avoir oublié, ou pour espérer une indemnisation à bon compte, que la société de textile a été déboutée par le tribunal de commerce et par le cour d’appel.