Memento

Le Covid au prétoire

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De nombreux contrats ont souffert de la crise du Covid-19. La presse généralist­e s’en est fait l’écho : ici, tel restaurate­ur avait assigné sa compagnie d’assurances en paiement d’indemnités pour perte d’exploitati­on ; là, tel hôtelier, confronté à la fermeture de son établissem­ent, avait refusé de payer les loyers à son bailleur pendant la durée du confinemen­t. De tels contentieu­x vont lentement se développer et gravir peu à peu les échelons des juridictio­ns françaises pour arriver peut-être, dans quelques années, au niveau de la Cour de cassation.

Avant d’en arriver là, il peut être intéressan­t de scruter les toutes premières décisions rendues par les juges du premier degré. Un jugement du Tribunal judiciaire de Paris, en date du 10 juillet 2020, mérite alors d’être signalé (n°20/04516). La question était de savoir si un restaurate­ur pouvait ne pas payer ses loyers commerciau­x entre le 14 mars et le 2 juin 2020, période de fermeture des cafés-restaurant­s. Concrèteme­nt, le locataire invoquait l’article 4 de l’ordonnance “délai” du 25 mars 2020 et prétendait que ce texte avait suspendu l’exigibilit­é des loyers. De son côté, le bailleur entendait se faire payer par compensati­on, c’est-à-dire en imputant les loyers que lui devait son locataire sur certaines sommes qu’il lui devait lui-même.

Le Tribunal judiciaire retient que l’ordonnance querellée interdit seulement les voies d’exécution mais ne suspend pas l’exigibilit­é du loyer. La solution nous semble parfaiteme­nt fondée. Mais le Tribunal précise aussi que les contrats devant être exécutés de bonne foi, les parties sont tenues, en cas de circonstan­ces exceptionn­elles, de vérifier si ces circonstan­ces ne rendent pas nécessaire une adaptation des modalités d’exécution de leurs obligation­s respective­s.

On ne saurait mieux opposer la règle de droit (le loyer était du) et la règle de conduite (le créancier doit être de bonne foi et tenir compte de la situation extraordin­aire).

Au cas d’espèce, le Tribunal relève que le bailleur avait fait des propositio­ns d’aménagemen­t du loyer échu pendant la période de fermeture mais que le locataire les avait refusées en bloc, sans faire aucune contreprop­osition. Le Tribunal a donc retenu que le bailleur avait exécuté de bonne foi ses obligation­s et a ordonné de ce fait la compensati­on des sommes dues entre les parties.

Premier round donc, pour le bailleur qui encaisse les loyers dès lors qu’il démontre sa bonne foi !

Mais on aurait tort de croire que le match est fini : des auteurs ont effet montré que le Code civil pouvait fournir des armes très efficaces au locataire désireux de ne pas payer ses loyers pendant la période de confinemen­t. Il ne fait nul doute que ces arguments seront bientôt plaidés devant les juridictio­ns. Dans la quête de la juste solution, le balancemen­t du Tribunal judiciaire de Paris, consistant à donner sa force au droit mais à contrôler sa mise en oeuvre de bonne foi, sera sans doute une voie à suivre.

 ??  ?? Le droit occupe une place prépondéra­nte dans les relations économique­s. Jean-Baptiste Seube, Professeur agrégé des facultés de droit et avocat au barreau de Saint-Denis, et les étudiants du Master droit des affaires qu’il dirige, attirent l’attentiond­esentrepre­neurssurce­rtainesdif­ficultésju­ridiques, à travers l’évocation de décisions de justice ou de lois récentes.
Le droit occupe une place prépondéra­nte dans les relations économique­s. Jean-Baptiste Seube, Professeur agrégé des facultés de droit et avocat au barreau de Saint-Denis, et les étudiants du Master droit des affaires qu’il dirige, attirent l’attentiond­esentrepre­neurssurce­rtainesdif­ficultésju­ridiques, à travers l’évocation de décisions de justice ou de lois récentes.

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