Pénitenciers pour enfants de La Réunion
L’île de La Réunion a compté deux colonies pénitentiaires pour enfants : La Providence et à l’îlet à Guillaume. Mis en place et dirigés par la Congrégation du Saint-Esprit, ces établissements ont accueilli des enfants, de 7 ans pour le plus jeune enregistré et jusqu’à 21 ans. Des petits bagnards ayant été condamnés pour vol, vagabondage, mauvaise conduite… ou tout simplement parce que leur état de misère faisait tâche dans la “belle colonie réunionnaise”.
Le premier pénitencier de l’île a ouvert ses portes à La Providence en 1856, au sein d’un vaste domaine abritant également un hospice pour vieillards et infirmes ainsi qu’une école professionnelle pour enfants miséreux. Fin 1858, on dénombre environ 350 individus sur le site de La Providence, dont une centaine de jeunes détenus. Des effectifs passés à 600 en 1870. Il faut dire que la justice est alors expéditive, en plus d’être laissée à la seule appréciation de juges de paix, bras armés des classes dominantes.
Ilet à Guillaume, une prison “idéale”
Pour désengorger la Providence qui suffoque, le supérieur pour l’océan indien de la Congrégation du Saint-Esprit, un certain François Duboin a en 1863, l’idée d’ouvrir un nouvel établissement : une prison sans barreau idéale pour le retour à la terre de “criminels en devenir ” estime-t-on à l’époque.
C’est donc dans les gorges de la Rivière Saint-Denis, sur un plateau isolé portant le nom de l’îlet à Guillaume, dont les perspectives en termes de rentabilité agricole sont particulièrement intéressantes, que l’on décide d’ériger le nouveau pénitencier. Les travaux d’aménagement commencent en 1864, bien qu’officiels en 1967 seulement. Le Conseil Général autorise la construction d’une route destinée à relier la fenêtre à la route impériale, l’actuelle RD41. Une route carrossable attendue pour faciliter le commerce des productions de l’îlet : bois, café, tabac, vanille, quinquina médicinal…
Tout est à faire
De 1865 à 1866, l’activité des enfants, organisés en sections confiées à la surveillance de frères, se concentre autour des besoins en eau, captée en amont du plateau pour être acheminée au travers d’un canal en bois de petit natte d’une longueur de 1800m. “Pour cela, les enfants ont dû réaliser un chemin large de 2 mètres sur une pente de 6,5%. Il leur a également fallu creuser 300m de chemin avec des explosifs, dont 100m au travers d’un rocher de près de 70 mètres de haut” précise Pascale Moignoux. L’utilisation d’explosifs sera la cause de nombreux accidents, parfois mortels. “On estime à 9 le nombre d’enfants morts dans les travaux de cette route” illustre la conférencière.
L’acheminement de l’eau n’est bien évidement pas l’unique chantier d’un quotidien rythmé par le travail et la prière : travaux de route, terrassement, taille de pierre, travaux agricole, construction de 6 bâtiments abritant dortoirs, classes, lingerie, ateliers de forge, menuiserie, cordonnerie, magasin, sacristie, auxquels s’ajoutent une chapelle provisoire et probablement une église, de même qu’un cimetière. Au nombre des chantiers d’importance pour la colonie, figure également la réalisation d’un pont de 42 mètres enjambant le Bras Guillaume. Un ouvrage suspendu à 30m au-dessus du précipice, qui mobilisera les sections durant 7 ans et fera l’admiration de la colonie toute entière.
La fin d’une sombre époque
À partir de 1870, le nombre d’enfants expédiés dans les pénitenciers réunionnais diminue. En premier lieu pour des raisons politiques comme l’explique la conférencière : “l’élection des membres du Conseil Général s’effectue désormais au suffrage universel, de même que l’élection des premiers députés : François de Mahy et Alexandre Laserve, tous deux farouches opposants à la congrégation du Saint Esprit”. Suite à la décision du Conseil Général de ne plus y envoyer que les condamnés correctionnels et les enfants détenus en vertu de la puissance paternelle et d’exclure les condamnés disciplinaires qui contribuaient au renouvellement régulier des effectifs, le pénitencier qui, au plus fort de son activité avait accueilli 240 pensionnaires, voit ses effectifs chuter à 75 détenus.
En dépit d’un contrat de gestion d’une durée de 25 ans dont la rupture unilatérale entrainera 10 années de procès, en juin 1879, les spiritains sont contraints de quitter l’Ilet à Guillaume. À l’occasion de leur départ, une partie des enfants sera libérée, l’autre intégrée au pénitencier de la Providence, réhabilité à cet effet. Après le départ des derniers détenus et spiritains, l’îlet à Guillaume est confié à “une bonne famille”. Dans les années 1950, sa gestion relève de l’administration des eaux et forêts. Alors, seuls quelques habitants de la Montagne continuent de venir déposer des fleurs au cimetière, en mémoire des petits condamnés.
Devoir de mémoire
Le sentier historique d’accès à l’îlet à Guillaume est demeuré fermé aux randonneurs de 1994 jusqu’en 2016. La réhabilitation de la route carrossable n’est intervenue pour sa part qu’en 2017.
“Au-delà de l’oubli, des réhabilitations manquées, des nouveaux projets… Il reste, à la Providence comme à l’îlet à Guillaume, une empreinte tout à fait indéniable : celle des fantômes des petits condamnés” estime Pascale Moignoux, et de conclure : “Dans le parc dionysien comme sur le plateau niché dans les gorges de la Rivière Saint-Denis, quiconque se laisse aller à la rêverie est susceptible de percevoir les plaintes et les larmes des petits détenus de la Providence échangeant avec leurs camarades de l’Ilet à Guillaume. Leur souffrance adresse à notre société actuelle un reproche récurrent : pourquoi dans une île où l’on est tellement attaché à la mémoire, ces derniers ont-ils été oubliés ? Leurs fantômes nous encouragent à faire quelque chose tant qu’il est encore temps” termine la conférencière dont la prochaine intervention autour de ce sombre thème, se tiendra le jeudi 25 février à 18h30 à Lespas Leconte de Lisle de Saint-Paul. Un évènement à ne manquer sous aucun prétexte.