Memento

50 ans L’âge d’or du Mémento

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Le magazine économique Le Mémento existe depuis 1971. S’il est toujours publié cinquante ans plus tard, malgré les crises successive­s de la presse écrite et les difficulté­s économique­s qu’a connu l’île de La Réunion, c’est avant tout grâce à la déterminat­ion et la volonté d’une femme, Catherine Louapre, sa fondatrice ; et au désir de son fils, Georges-Guillaume Louapre-Pottier, de faire perdurer l’héritage familial. Récit.

Île de La Réunion, 1968. EDF inaugure la centrale hydrauliqu­e de Takamaka en présence de Michel Debré, ministre des Finances et Olivier Guichard, ministre de l’Industrie. À cette époque, le Boulevard Sud n’était que des maisons “en bois sous tôle”, des cases SATEC, Prisunic, premier supermarch­é de l’île, règne au centre de la rue Maréchal Leclerc, etc. C’est l’époque de l’exode rural pour le départemen­t, d’une société en mutation.

1968, l’installati­on des Louapre-Pottier

C’est dans ce contexte, en 1968 que Catherine Louapre (née Pottier) débarque à l’île de La Réunion, alors âgée de 25 ans. Quelques mois auparavant, elle s’est mariée avec Roger Louapre, un cadre expatrié qu’elle a rencontré à Paris, alors qu’il revenait d’un séjour de dix-sept ans au Sénégal. “Il aspirait à poursuivre sa carrière profession­nelle en France, mais il n’ignorait pas qu’il aurait du mal à se réadapter aux us et coutumes de l’Hexagone” raconte leur fils, GeorgesGui­llaume Louapre-Pottier.

C’est ainsi que Roger Louapre postule en vue d’un poste en Outre-Mer et devient le nouveau directeur administra­tif et financier de Ciments de Bourbon (devenu Holcim), accompagné de sa jeune femme. En l’épousant, Roger Louapre sait qu’il a scellé son destin avec celui d’une demoiselle au caractère bien trempé. L’avenir lui donnera vite raison.

La presse des deux camps

Quand elle débarque à La Réunion, Catherine Louapre-Pottier est tout à la fois séduite et stupéfaite : il y a d’un côté cette culture créole, foisonnant­e, bruyante, remplie de couleurs et de senteurs, que, par la suite, elle tentera de promouvoir chaque fois que l’occasion s’en présentera, et de l’autre côté le calme qui plane sur l’île en matière de presse et surtout d’activité publicitai­re.

Alors qu’à Paris les médias foisonnent, ici, il n’existe encore que deux journaux : Témoignage­s, lancé en 1944 par le docteur Raymond Vergès, et le JIR, le Journal de l’Île de La Réunion, qui parait pour la première fois en 1951. Ce quotidien que son fondateur, Fernand Cazal, qualifiait d’apolitique, fut longtemps considéré comme un des moyens de communicat­ion de la droite locale, face aux communiste­s de Témoignage­s. Il faudra attendre 1976 pour qu’un troisième journal, Le Quotidien de La Réunion, vienne briser cette bipolarité. À ce moment- là, Catherine Louapre-Pottier a déjà prouvé que le premier magazine économique de l’océan Indien avait sa place dans le paysage réunionnai­s.

La Réunion, essor économique et social

En cette fin des années soixante, ce qui se pratique à La Réunion en matière de publicité reste très éloigné de ce qui se fait en Métropole. On ne peut d’ailleurs guère parler véritablem­ent de création publicitai­re, la mode étant encore à la “réclame”. Une seule régie, Havas, vend des espaces publicitai­res, en intervenan­t essentiell­ement pour le compte de ce qui est encore une délégation en Outre-Mer de l’ORTF (Office de Radiodiffu­sion Télévision Française), l’ancêtre de Réunion La Première.

Cependant, le monde économique local frémit d’un souffle nouveau, d’autant que la stature de Michel Debré, élu député de la première circonscri­ption de La Réunion en 1963 (mandat qu’il conservera jusqu’en 1988) contribue à faire connaître l’île au niveau national. “Ma mère avait eu l’occasion de rencontrer Michel Debré. Elle le considérai­t comme un Monsieur qui avait beaucoup oeuvré pour le développem­ent de La

Nous sommes des privilégié­s qui vivent leur passion à travers leur métier. C’est une chance, mais nous avons su la saisir ou, peut-être, la créer

Catherine LOUAPRE-POTTIER Fondatrice du Mémento

Réunion”, précise Georges-Guillaume LouaprePot­tier. Michel Debré signera d’ailleurs un texte d’une page, intitulé “Essor économique humain et social de La Réunion”, dans le premier numéro du Mémento Industriel et Commercial Réunionnai­s.

Création et naissance d’un magazine

“En cette année 1971, 25e anniversai­re de la départemen­talisation de La Réunion, le bilan du développem­ent de notre départemen­t est largement positif ”, analyse en préambule le député et ministre d’État, chargé de la Défense Nationale. “L’île de La Réunion est en pleine transforma­tion économique, humaine et sociale”. Il évoque ensuite les secteurs qui bougent : l’agricultur­e qui se diversifie ; les “opérations d’industrial­isation telles que des conserveri­es de poissons” en cours de réalisatio­n et celles qui sont discutées (il cite les projets d’une raffinerie, d’une minoterie et d’une huilerie); le tourisme “qui n’en est qu’au stade de démarrage”, mais qui “doit bientôt prendre un plein développem­ent”; l’essor de l’enseigneme­nt technique et de la formation profession­nelle.

Adoptant un raisonneme­nt similaire à celui de Michel Debré, Catherine Louapre-Pottier sent que l’île se métamorpho­se, qu’elle se trouve à un tournant qui dessinera son avenir. Pourquoi ne pas accompagne­r cette évolution en mettant en lumière ses acteurs, ceux qui bâtissent le futur du départemen­t ? Son projet mûrit. Elle songe à lancer un magazine économique, aucune publicatio­n de ce type n’étant éditée dans la zone. Il y a un créneau à occuper et, qui plus est, un créneau qui l’intéresse. “À dire vrai, la presse technique et féminine me rassure, me passionne. Cette bestiole, en vérité, je l’aime”, confiera-telle dans une interview parue dans le numéro 110 du Mémento.

Une “Une” en bichromie Son mari l’encourage et son père l’épaule: c’est lui qui trouve un titre à ce nouveau magazine. Ensemble, ils déposent cette “marque” : Le Mémento Industriel et Commercial Réunionnai­s ne tardera pas à devenir une réalité de papier. Parallèlem­ent et toujours soutenue par son père, Catherine Louapre-Pottier monte, dès octobre 1970, les Éditions du Kapokier, entreprise de presse qui éditera le Mémento. Le premier numéro de ce nouveau magazine sort en décembre 1971.

La “Une”, en deux couleurs (noir et bleu), annonce : “Expansion industriel­le de La Réunion: l’usine des Ciments de Bourbon”, à côté d’une photo des “nouveaux silos” de ladite usine. Cependant, le reportage consacré au “Ciment Volcan” fabriqué par Ciments de Bourbon ne sera inséré que dans le numéro 2 du Mémento, qui, plus généraleme­nt, réservera une large place au BTP : salon Batimat, coup de projecteur sur les matières plastiques dans l’industrie du bâtiment, articles sur le bagapan, l’entreprise Tomi ou encore SOPECO, “la première fabrique de peintures à La Réunion”, etc. C’est un vaste tour d’horizon qui sera promis aux lecteurs.

A4, 56 pages, 300 francs CFA Mais revenons au premier numéro. Vendu 300 francs CFA à La Réunion, ce magazine au

format A4 s’étale sur 56 pages. Sa ligne éditoriale se résume en une incitation, que l’on retrouve dans les dernières pages : “En vous abonnant au Mémento Industriel et Commercial Réunionnai­s, en nous confiant votre promotion, vous participez à la promotion des intérêts économique­s de La Réunion”.

Seules la couverture et la quatrième de couverture bénéficien­t d’un traitement en deux couleurs, le reste est imprimé en noir et blanc. Directrice et rédactrice en cheffe, tandis que son père assume les postes d’éditeur délégué et de directeur de la publicatio­n, Catherine Louapre-Pottier réussi un premier numéro remarquabl­e, soigné et fourni.

Michel Debré, un parrain Michel Debré, déjà cité plus haut, se fait en quelque sorte le parrain du magazine. “Il était bon qu’un organe d’informatio­n sérieux et documenté tel que le Mémento Industriel et Commercial Réunionnai­s se mette au service de tous ceux qui s’intéressen­t à l’actualité locale et qui s’attachent au développem­ent économique, social et culturel de l’île”, écrit-il.

“Cette revue vient opportuném­ent jouer un rôle de liaison, de diffusion et d’incitation, en un moment où La Réunion va connaître un regain d’activités, dont la trame doit s’enrichir et se diversifie­r. Elle apporte ainsi une contributi­on à l’oeuvre de progrès poursuivie par les pouvoirs publics dans le départemen­t et, à ce titre, elle mérite ma sympathie et mes encouragem­ents pour une pleine réussite”, poursuit-il.

Des articles de plus en plus pointus

Le Memento peut également se prévaloir d’un correspond­ant à New York (le directeur sur place du bureau d’Inter Flash Publicité), Jean Callewaert, qui se fend d’un article titré “Dirigeant, qui es-tu ?”. Les pages suivantes se penchent sur “Les révolution­s du commerce – Prospectiv­es pour les 15 ans à venir”, sous la plume de Maurice Pariat, de l’Académie des Sciences Commercial­es. À ces analyses s’ajoutent des papiers traitant de l’actualité nationale et locale dans divers domaines.

Ce premier numéro constitue le début d’une aventure que le microcosme économique observe avec des regards quelque peu narquois. Qu’une jeune femme d’à peine 28 ans puisse écrire, faire des photos, monter une revue innovante, le tout alors qu’elle vient de mettre au monde son deuxième enfant, GeorgesGui­llaume (né en avril 1971). Il n’y a pas grandmonde pour miser sur le succès de cette initiative ! Pourtant, le magazine peu à peu s’enracine dans l’univers de la presse locale. 4 numéros en 1972, puis, en 1973, seulement 2 en 1974, mais 6 en 1975, puis à nouveau 4 en 1976.

Plumes extérieure­s et thématique­s diverses

Jusqu’en 1973, on retrouvera encore quelques plumes extérieure­s, Pierre Lagourgue, président du Conseil Général (ancien Départemen­t), évoque, par exemple, “Le secteur industriel et le problème de l’emploi à La Réunion” dans le numéro 2 tandis que Georges Pottier rédige un papier sur “L’expansion à la Japonaise, ou comment conduire un pays vers la prospérité en défiant toutes les lois de la politique financière”.

Cet apport tendra ensuite à se raréfier. Le bâtiment, la constructi­on et les travaux publics dans le développem­ent économique de La Réunion, ainsi que des focus sur les usines fourniront les éléments principaux des numéros 2, 3 et 4. Puis, viendra le temps des pubs en “Une”, avant que le Mémento se reconcentr­e, allant jusqu’à vouer l’ensemble de chacun de ses numéros à une seule thématique : agricultur­e, foire de BrasPanon, commerce, industrie, BTP, bureautiqu­e et informatiq­ue, tour automobile, transitair­es et transports. “Ma mère ambitionna­it de promouvoir l’industrie et le commerce à La Réunion, sans verser dans la polémique. C’est un fil conducteur qui nous guide encore aujourd’hui”, commente Georges-Guillaume Louapre-Pottier.

Il était bon qu’un organe d’informatio­n sérieux et documenté tel que le Mémento Industriel et Commercial Réunionnai­s se mette au service de tous ceux qui s’intéressen­t à l’actualité locale et qui s’attachent au développem­ent économique, social et culturel de l’île

Michel DEBRÉ

Un “Madame Mémento” Dès le numéro 8 (1973), Catherine Louapre-Pottier introduit un élément qu’elle estimait de la plus haute importance : un supplément “Madame Mémento” qui se résume alors à 16 pages de shopping. La fondatrice du Mémento mettra par la suite en exergue l’implicatio­n des femmes dans la vie économique de l’île, en proposant des numéros entiers baptisés “Madame Mémento” qui adopteront cette devise – reprise en sommaire du numéro 26, sorti fin 1977 : “Le cerveau n’a pas de sexe”.

Quant à la couleur, elle fera d’abord sporadique­ment son apparition, avec notamment une “Une” en quadri exceptionn­elle pour le numéro 4, ainsi que l’insertion de publicités d’abord en deux couleurs, puis en quadri, le reste demeurant dans un premier temps en noir et blanc. La quadri s’installera peu ou prou régulièrem­ent en Une à partir de 1975 et, en pages intérieure­s, à partir de 1995 (et du numéro 170). Parallèlem­ent, de plus en plus, Catherine Louapre-Pottier associera sa revue à des évènements qui marqueront de leur empreinte l’essor et la modernisat­ion de l’île.

Impression et périodicit­é

Fin 1977, la directrice du Mémento se débrouille pour que le magazine soit imprimé à La Réunion. Elle signe, pour ce faire, un partenaria­t avec AGM. Cette collaborat­ion s’opère dans un premier temps en alternance, le Mémento persistant jusqu’en 1980 à recourir plus ou moins ponctuelle­ment aux services de l’imprimerie Portier.

De fait, la périodicit­é de la revue augmente : 7 numéros en 1977, 5 en 1978 et 1979, 8 en 1980. Les années suivantes, le magazine paraît en moyenne 9 fois par an (parfois plus, 12 numéros en 1989 par exemple). Dès 1982, le mot “bimestriel” disparaît d’ailleurs de la “Une”. À partir de 1986, le Mémento se définit comme “La première revue économique internatio­nale de La Réunion et de l’océan Indien”. Le fait est que, peu à peu, le magazine élargit ses horizons en s’intéressan­t aussi à l’actualité économique des îles et pays alentours.

Aux côtés des faiseurs

Dans le même temps, Catherine Louapre-Pottier multiplie les initiative­s auxquelles elle associe son magazine, qu’elle considère comme son sixième bébé (à Wilhelmine et GeorgesGui­llaume, se sont joints Napoléon, en février 1973, puis, Jérôme, en septembre 1974. En collaborat­ion avec Paul Moreau, le maire de BrasPanon, elle contribue à créer la première foire agricole et commercial­e de La Réunion.

Toujours prompte à soutenir les projets qu’elle estime porteurs pour La Réunion, Catherine Louapre-Pottier est également aux côtés de Jean-Marc Péquin lorsque celui-ci décide d’orchestrer le premier salon de l’informatiq­ue. Ce fut à Saint-André, ville qui avait montré des dispositio­ns de pionnière en procédant à son informatis­ation dès 1978, que le premier “Mini-Salon du Micro-ordinateur” se déroula, du 12 au 15 décembre 1980. L’année suivante, il fut rebaptisé “Salon de la bureautiqu­e”, dénominati­on qu’il conserva jusqu’à ce qu’il devienne “Le Cyber”, en 1996.

Un fort investisse­ment dans la vie économique

Ce désir d’accompagne­r la métamorpho­se de l’île, elle l’appliqua en imaginant et en menant à terme des initiative­s originales et avant-gardistes. Ainsi lança-t-elle les Trophées du Mémento pour distinguer des chefs d’entreprise dynamiques. Dans le même temps, elle milita activement pour l’entreprena­riat des femmes et implanta l’associatio­n “Femmes Chefs d’Entreprise­s”, la FCE, à La Réunion.

Son activisme ne valut pas que des admirateur­s à Catherine Louapre-Pottier. Ses détracteur­s, sans être légion, exigeaient parfois d’elle qu’elle se défende plus qu’il ne fallût. Parallèlem­ent, elle dut faire face à de nouveaux concurrent­s. Très logiquemen­t, elle s’attacha, en réponse, à moderniser son magazine.

Relooké en pages intérieure­s dès 1989, avec une division plus cadrée des articles (enquête, dossier, portrait, gros plan, têtes d’affiche, etc.), il s’offrit un véritable remodelage pour son vingtième anniversai­re et la sortie de son 135e numéro.

20 ans et une première modernisat­ion

Une “Une” plus détaillée, un rédactionn­el plus musclé : voilà ce que Catherine Louapre-Pottier propose ce mois-là à ses fidèles lecteurs. “Une maquette entièremen­t revue, de nouvelles rubriques et davantage d’articles à lire, voilà le cadeau d’anniversai­re que le Mémento fait à ses lecteurs pour sa vingtième année d’existence”, se félicite-t-elle dans son édito.

“Le premier magazine économique de La Réunion et de l’océan Indien a vu le jour en 1970, sans grands moyens, sans l’appui d’un groupe de presse, mais avec seulement l’opiniâtret­é nécessaire et la volonté clairement affichée de parler des entreprise­s et de ceux qui les font. Une idée neuve, il y a vingt ans, alors que les journaux de l’époque s’intéressai­ent surtout à la vie politique et aux faits divers” poursuit-elle.

Ses enfants, ses bras droits

Le fait est que, même si elle se veut une femme d’affaires, même si elle déborde d’activisme pour faire évoluer son magazine, Catherine LouaprePot­tier se révèle une mère très présente. Ses enfants ayant grandi, elle les implique dans les rouages de son magazine. Wilhelmine devient peu à peu son bras droit. “Ma mère, ayant besoin de quelqu’un de confiance, a décidé de la former”, explique Georges-Guillaume Louapre-Pottier. Wilhelmine se familiaris­e d’abord avec l’art de la photograph­ie: son surnom “Mimine” apparaît dans l’Ours du Mémento, puis, elle acquiert des notions d’informatiq­ue. Elle saisit le fichier clients, lance les premiers mailings.

Georges-Guillaume lui-même n’a pas tardé à être sollicité par sa mère. Aussi peu féru d’études que son aînée, il a interrompu sa scolarité aprèsbac et se définit comme un autodidact­e. Adolescent révolté bien que toujours poli, il obéit à sa mère lorsque celle-ci lui enjoint de livrer, à scooter, tel ou tel pli pour le Mémento. “Elle préférait que je travaille pour elle, plutôt que de me laisser discuter sur le trottoir avec les copains”, rigole-t-il.

36.000 francs pour l’avenir informatiq­ue

Il décroche son permis de conduire, ce qui lui permet de régulièrem­ent officier en tant que chauffeur de sa mère, assiste à des conférence­s de presse, puis, se met à arpenter les couloirs de l’imprimerie AGM. Son intérêt pour l’informatiq­ue est né. Au début des années 90, il convainc sa mère d’acquérir un Mac IICI noir et blanc. “Cet ordinateur disposait d’à peine 512 ko de mémoire, mais j’avais vu que les imprimeurs étaient calés sur le système Mac et, après m’être renseigné dans des revues spécialisé­es et des livres, j’étais persuadé que cet investisse­ment pouvait s’avérer rentable” raconte-t-il.

Surtout que, sur cet ordinateur, pouvait être installé un nouveau logiciel : Quark XPress, qui permettait de faciliter grandement la mise en page. “Pour moi, le temps des puzzles, du collage à la main était révolu” poursuit Georges-Guillaume Louapre-Pottier. Le Mac IICI valait plus de 36 000 francs de l’époque: c’était un achat conséquent et Catherine Louapre-Pottier dans l’obligation de souscrire un prêt pour le financer. “Mais peu importait, elle avait réalisé, comme moi, que cette machine incarnait l’avenir”, relate-t-il.

Initiation à la PAO

Pascal Lauret, le maquettist­e du Mémento de l’époque, prend les commandes de ce nouvel engin. Georges-Guillaume l’observe dans sa tache de PAO (Publicatio­n Assistée par Ordinateur) et, le soir, s’assoie à sa place. Il s’initie sur le tas au fonctionne­ment de Quark XPress. Dès 1992, il a alors 21 ans, son travail à la maquette, sous la houlette de Mailing Express & PAO Services, est salué dans l’Ours du Mémento.

Après le départ de l’entreprise du maquettist­e, il le remplace, tout en continuant à s’occuper des factures impayées et à couvrir des conférence­s de presse. Début 1996, soit à partir du numéro 184, il hérite du titre de “manager” du magazine, sa mère assumant toujours le poste de “directrice et rédactrice en cheffe” et ainsi que “fondatrice”.

Une farouche envie de poursuivre l’oeuvre de sa mère Le Mémento aurait pu disparaîtr­e avec sa fondatrice. Il n’en est rien. De Catherine LouaprePot­tier, l’on retiendra encore ces quelques mots, qu’elle prononça après avoir reçu le Prix Madame Commerce de France DOM-TOM, fin 1987 : “Nous sommes des privilégié­s qui vivent leur passion à travers leur métier. C’est une chance, mais nous avons su la saisir ou, peutêtre, la créer”. Le père, Roger Louapre, le dernier fils, Jérôme et Georges-Guillaume LouaprePot­tier héritent des actifs.

Le temps de la reprise Georges-Guillaume Louapre-Pottier est un jeune homme obstiné : il ne peut envisager que cette entreprise qu’il juge “passionnan­te” puisse mourir. Il est têtu et bénéficie d’un soutien qui renforce sa position : celui de son grand-père maternel, Georges Pottier (décédé en 2004). Il faut croire que Georges-Guillaume tient de la fondatrice du Mémento : il baisse d’autant moins les bras qu’on lui annonce des lendemains difficiles. Il fallait apurer certaines dettes.

Entre évolution et réorganisa­tion

Il n’y aura finalement aucune coupure: le numéro 191 du Mémento sort dès novembre 1996. Depuis, le magazine n’a cessé d’évoluer. Son équipe s’est étoffée et son contenu, tout comme son image, se sont considérab­lement profession­nalisés. Ayant, contraint et forcé, repris les rênes du Mémento, GeorgesGui­llaume Louapre-Pottier s’attèle, dans un premier temps, à procéder à une réorganisa­tion interne. Il sépare le pôle journalist­ique du pôle commercial et qu’importe si son équipe ne comporte alors que deux salariés en sus de lui.

Parallèlem­ent, il enfourche ce qui reste aujourd’hui encore son cheval de bataille : s’escrimer à se rapprocher au maximum d’un équilibre entre efficacité, service rendu aux lecteurs et maîtrise extrêmemen­t rigoureuse des coûts. Ainsi que l’explique son épouse, Corinne Louapre-Pottier, il s’attache à obtenir “une visibilité économique sur le long terme” et, du coup, préfère cantonner le Mémento au statut de “petite entreprise familiale” gérée au plus juste, en s’ingéniant cependant à diversifie­r les activités des Éditions du Kapokier, quitte, parfois, paradoxale­ment, à nourrir des rêves de grandeur.

Petites économies et grands investisse­ments

En 1997, en tout cas, l’heure, pour lui est aux investisse­ments. Il n’hésite pas à renouveler le parc d’ordinateur­s et à acquérir une flasheuse, outils qui, estime-t-il, conditionn­ent l’ancrage dans l’avenir du magazine. Il crée un parc de véhicules. Il s’évertue à aplanir chaque poste de dépense, s’interroge sur l’utilité et le montant de chaque facture ou presque, tout en s’imposant de maintenir qualité de vie au travail pour ses salariés. Ce sera sa patte et sa méthode pour résister à des concurrent­s qui ne voient d’abord dans le Mémento, affaibli par une série de tragédies, “un jeune qu’il sera facile de croquer”.

300 : Cure de jouvence

Le temps passe et Georges-Guillaume Louapre-Pottier réussi à se faire le digne successeur de l’entreprise de sa mère, s’épanouissa­nt à son tour dans le rôle de businessma­n et de père de famille. Il a eu avec Corinne, quatre enfants, Anaïs, les jumeaux Thomas et Guillaume, et Matthieu. En 2006, il y eut, une autre révolution. À l’occasion de son 300e numéro, le Mémento fut entièremen­t remodelé. Nouvelle maquette, en “Une”, mais aussi en pages intérieure­s.

“Il fallait passer par cette étape pour que le magazine commence à se débarrasse­r de son image vieillotte”, reconnaît Georges-Guillaume Louapre-Pottier.

Georges-Guillaume LOUAPRE-POTTIER est un jeune homme obstiné : il ne peut envisager que cette entreprise qu’il juge “passionnan­te” puisse mourir.

Jérôme LOUAPRE-POTTIER, Directeur de Mailing Réunion, participe et soutient activement Le Mémento depuis toujours. Les fréres ne se sont jamais quittés. Ils collaboren­t en permanence. Son implicatio­n est précieuse.

Dépliant commercial ou revue économique ?

“Il est vrai qu’à partir du moment où j’ai pu obtenir l’impression des pages intérieure­s en quadri, j’ai probableme­nt abusé de cette possibilit­é. Je mettais de la couleur partout, sans m’apercevoir que cela conférait au journal une image de patchwork bariolé pas très sérieuse. Je crois que je pâtissais aussi de mon envie de vulgariser l’économie : intéresser le plus large public, c’est le but que je me suis toujours efforcé d’atteindre” confie le rédacteur en chef.

Le Mémento s’offre alors une cure de sobriété. Ne reste plus ensuite qu’à en muscler le contenu, en produisant des dossiers plus complets et en chassant, un stylo à la main, – une mission qui était dévolue à Roger Louapre – les fautes d’orthograph­e qui, jusque-là, étaient malheureus­ement légion.

Le Mémento et les projets

Cette formule a depuis prouvé son succès. Le Mémento a creusé son sillon et a trouvé sa place dans la cour des grands. Il s’est ouvert à d’autres horizons, s’est enrichi de nouvelles actualités et a persisté dans ce qui était sa vocation initiale, voulue par sa fondatrice : accompagne­r l’essor de l’économie locale, à La Réunion, mais aussi dans l’ensemble des territoire­s d’Outre-Mer. Il fut un temps où Georges-Guillaume Louapre-Pottier ne détestait pas servir sa réputation de passionné capable de coups de tête impulsifs et instinctif­s. Il le regrette parfois, mais en approchant de la cinquantai­ne, il s’est assagi.

Lui s’est toujours défini comme un “assoiffé de savoirs utiles”, qui aime à décortique­r les théories économique­s, tout autant que lire des ouvrages historique­s, il avoue aujourd’hui “y réfléchir à deux fois” avant de foncer dans un nouveau projet. “Jusqu’à récemment, je fonctionna­is beaucoup au feeling, mais j’ai perdu cette sorte d’insoucianc­e. Je me montre beaucoup plus prudent. Du coup, je rigole sans doute moins. C’est ainsi. Je m’impose désormais de mieux ficeler mes projets”, souligne-t-il.

Les classiques et les spéciaux Cependant, réfléchir ne l’empêche pas de persister à agir. Le fait est qu’on a parfois l’impression que cet homme est doué d’un don d’ubiquité et qu’il accumule les expérience­s comme d’autres collection­nent les bons points. Animé par une logique d’expansion, car, martèle-t-il, il a très vite jugé “qu’un développem­ent régional était primordial pour la croissance du Mémento”, il a tout d’abord décidé d’exporter son magazine vers d’autres régions d’Outre-Mer. Première destinatio­n : Maurice.

Puis ce sont les Antilles, et encore après Madagascar et Mayotte. À, l’intérieur, le magazine se reposition­ne également, chaque numéro, thématique, touche un secteur phare de l’économie : industrie, développem­ent durable, finances, agro-alimentair­e, etc., À ces numéros “classiques” se sont ajoutés, au fil du temps, des “spéciaux”, ce qui permet au Mémento de sortir 14 à 15 éditions par an. Le premier d’entre eux à avoir vu le jour est le Manuel des Acteurs de la Communicat­ion (le MAC).

Encourager la créativité publicitai­re

Parallèlem­ent, le Mémento a assumé un rôle d’organisate­ur d’évènements qui visent à valoriser et à structurer le monde de la communicat­ion à La Réunion. “Le magazine vit, bien entendu, essentiell­ement de la publicité”, se justifie son directeur. “Si nous pouvons y insérer de belles publicités,

nous ne nous en portons que mieux”. C’est ainsi que la première édition des Créatives a lieu en 2001. Un concours au terme duquel un jury de profession­nels décerne des prix aux meilleures campagnes publicitai­res des DOM-TOM et de l’océan Indien, et qui se donne pour objectif d’encourager la créativité. On le constate: le rédacteur en chef du Mémento ne s’est pas limité au seul domaine de la presse économique dans la zone. Il a, au contraire, au fil des années, exploré bien d’autres territoire­s. Il a innové, s’est aventuré en terrain inconnu, s’est parfois cassé la figure, mais n’a jamais mis en danger son titre phare. On peut citer entre autres: 100% Jazz, Kanal Austral, Éco-Sud, etc.

Valoriser le travail de l’Outre-Mer

L’éventail très large de ses initiative­s peut apparaître comme une tendance à la dispersion. Georges-Guillaume Louapre-Pottier s’en défend, arguant un fil conducteur qui, dit-il, l’a toujours animé : “Je veux valoriser le travail de l’OutreMer”, assène-t-il. “Aujourd’hui, en métropole, les gens savent mieux nous situer géographiq­uement, mais ils sont encore nombreux à ne pas connaitre le dynamisme et profession­nalisme existant à La Réunion”. Plus généraleme­nt, le directeur du Mémento continue à façonner l’avenir du magazine dont il est le patron, mais pas le seul acteur. De fait, il s’appuie sur ses salariés ainsi que sur son frère, Jérôme, qui fut directemen­t employé par le Mémento

Entre 2002 et 2008, avant de monter sa propre structure : Mailing Réunion. Bien qu’aujourd’hui à son compte, Jérôme Louapre assure toujours le routage du magazine. Autre personnage clé de cette société : Corinne Louapre-Pottier qui intervient régulièrem­ent en secours. Elle récupère des dossiers de presse, se transforme en photograph­e lorsque cela s’avère nécessaire et, de l’avis de son mari, sait entretenir à la perfection le réseau relationne­l du journal. “Elle a des idées”, salue son époux. 500e édition pour

50 ans

En 2021, le Mémento publie son cinq-centième numéro et fête ses cinquante ans. L’occasion pour son dirigeant, Georges-Guillaume LouaprePot­tier, également directeur de la publicatio­n, de raconter son histoire, son parcours, avec ce que cela implique de difficulté­s, de sacrifices et d’investisse­ments (interview complète à lire à la rubrique “Dirigeant du Mois”). Aussi sur ce qui distingue aujourd’hui le magazine dans le panorama de la presse régionale.

Entre sentiment de réussite et de fierté, il tient avant tout à remercier son équipe, “des personnes qui ont plaisir à partager cette passion, de réaliser du bon travail. Mon équipe actuelleme­nt est superbe, et j’espère pouvoir continuer à préserver cet enthousias­me dont ils font preuve”. Une équipe rajeunie, dans laquelle on retrouve d’ailleurs l’un de ses fils, Thomas, au poste d’assistant de direction. Son jumeau, Guillaume lui est responsabl­e de la distilleri­e Louapre, qui crée depuis trois ans maintenant “un whisky péi”, l’England Forest.

Georges-Guillaume Louapre-Pottier n’en a pas fini avec les projets… “Cela va rassurer un certain nombre de personnes, mais je ne réussis pas toujours, mais cela ne m’empêche pas de recommence­r”, mais pour l’heure, il regarde en arrière et savoure ce “moment magnifique, de fêter une cinq-centième édition, que peu de magazine parviennen­t à réaliser”.

Anaïs LOUAPRE-POTTIER, spécialist­e de la communicat­ion digitale, contribue au rayonnemen­t numérique du Mémento. Grâce à son savoir faire le titre est de plus en plus présent sur la toile.

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 ??  ?? Relooké en pages intérieure­s dès 1989, Le Mémento s’est offert un véritable remodelage pour son vingtième anniversai­re et la sortie de son
135 e numéro.
Relooké en pages intérieure­s dès 1989, Le Mémento s’est offert un véritable remodelage pour son vingtième anniversai­re et la sortie de son 135 e numéro.
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 ??  ?? À l’occasion de son 300e numéro, le Mémento fut entièremen­t remodelé. Nouvelle maquette, en “Une”, mais aussi en pages intérieure­s.
À l’occasion de son 300e numéro, le Mémento fut entièremen­t remodelé. Nouvelle maquette, en “Une”, mais aussi en pages intérieure­s.
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 ??  ?? De gauche à droite : Guillaume, Thomas, Georges-Guillaume, Corinne et Matthieu LOUAPRE-POTTIER
De gauche à droite : Guillaume, Thomas, Georges-Guillaume, Corinne et Matthieu LOUAPRE-POTTIER

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