Memento

Fondateur de Luvi Média / Havas Réunion

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Le Mémento : Vous êtes un des piliers de la publicité réunionnai­se avec un parcours assez riche d’expérience­s et vécus… comment vous définissez­vous ?

Luis Vieira : J’ai commencé dès mes 20 ans dans le monde de l’image et de la communicat­ion, donc vous rajoutez 43 ans et vous aurez une idée du temps que j’ai passé à fréquenter ce monde assez fascinant du yin et du yang, du prix de la promo, de la promesse et de la stratégie. La communicat­ion est l’un des secteurs qui évolue le plus vite et la com’ d’avant se construit différemme­nt aujourd’hui, même si la colonne vertébrale de notre métier est et restera toujours la créativité. Donc s’il faut me définir, je dirais que je suis un éternel chercheur d’idées.

Le Mémento : Pour vous, l’idée est la base de votre métier ?

L. V. : Oui, toujours… une grande idée reste toujours le “graal” de la réussite d’une belle marque ou d’une bonne campagne publicitai­re. Quand je parle d’une grande idée, celle-ci peut avoir plusieurs formes : une image, un positionne­ment, une invention, une philosophi­e, une stratégie, une personnali­té, un comporteme­nt, une attitude, etc. Par exemple, qui à votre avis a eu l’idée de presser des oranges et de les vendre en bouteille ? Moi je ne sais pas mais c’est une très bonne idée.

Le Mémento : Vous arrivez à mesurer l’efficacité d’une bonne idée ?

L. V. : Oui, c’est très visible par le sourire d’un consommate­ur, d’un PDG ou d’un chef des ventes. Derrière le succès d’une marque, il y a toujours une grande idée.

Le Mémento : Qu’est ce qui a changé pour vous aujourd’hui dans la communicat­ion ?

L. V. : L’approche du métier due à sa diversific­ation. Le digital nous a tous “fibré l’esprit” et a ouvert de nouvelles opportunit­és business pour nous et nos clients, même si l’utilisatio­n des réseaux sociaux à tout-va et les jeux de télé-réalité ont conduit à un certain abêtisseme­nt.

Le Mémento : Vous avez toujours comparé votre agence à un resto... c’est toujours le cas ?

L. V. : Oui, j’aime les chalenges quotidiens des grands chefs cuisiniers et depuis longtemps j’affiche dans mon agence le rappel suivant : “Imaginez que votre agence de publicité est un restaurant avec les créatifs en cuisine et les marketing managers au service en salle pour conseiller les clients. N’oubliez jamais que si les clients reviennent manger dans votre restaurant, c’est surtout parce que la cuisine est bonne et le service impeccable”. J’utilise cette comparaiso­n pour sensibilis­er nos collaborat­eurs au fait que les idées, le conseil et le service client restent toujours prioritair­es pour nous.

Le Mémento : L’optimisati­on d’un budget est-il plus strict en temps de crise ?

L. V. : J’ai l’impression que le monde est en crise depuis longtemps et que nous avons besoin de la crise pour avancer et nous dépasser... c’est malheureux et triste de vivre dans cette ambiance incertaine où un gilet ou un virus nous privent de notre liberté. Pour répondre à votre question, oui c’est bien normal de compter les centimes car l’argent coûte cher… Un dirigeant rationnel va vouloir calculer l’euro investi, combien d’euros cela lui rapportera.

L’arrivée du digital a été la première “révolution” pour les directeurs de la communicat­ion, il est évident que face à la multiplica­tion des crises potentiell­es auxquelles sont exposées aujourd’hui les entreprise­s, seules celles qui intégreron­t la “Communicat­ion de crise” feront la différence avec les autres. Un budget aujourd’hui ne se calcule pas aussi simplement qu’il y a quelques années où une bonne campagne se limitait à un réseau d’affichage et quelques parutions presse.

Le Mémento : Les marques sont plus ou moins exposées qu’avant ?

L. V. : Pas plus qu’avant. Mais avec les réseaux sociaux toutes les marques sont plus exposées aux critiques et éloges d’un consommate­ur, ou pire, aux mensonges des fake news parfois inspirées par un concurrent. Aucune marque n’est aujourd’hui à l’abri d’une crise de déstabilis­ation, véridique ou fausse. Par exemple, un cafard trouvé dans un paquet de chips, c’est une farce ou une réalité ? Un dirigeant d’une entreprise publique avec un très gros salaire, c’est justifié ou non ? Les produits trop sucrés sont-ils incriminés ou désirés par le consommate­ur ? Toutes ces “news” aujourd’hui sont injectées dans les réseaux sociaux, moulinées, torturées et partagées par des milliers de personnes avec des likes ou des insultes souvent “masquées” par des pseudos.

Les tribunaux populistes des réseaux sociaux sont aujourd’hui en marche et toutes les marques sont exposées à ce type de situation. Vous voyez, pas facile d’optimiser un budget si on ne pense pas à anticiper toute éventualit­é et les dérapages. Cette crainte à en quelque sorte “bridée” une partie de la liberté créative.

Le fait de moins se déplacer par voie routière, aérienne ou maritime, ont aidé à réduire la pollution dans le monde. Donc... c’est du positif, et tout ne reviendra pas comme avant et tant mieux. Je pense que nous allons consommer plus responsabl­e et local, s’intéresser davantage à mère nature...

Le Mémento : Vous voulez dire que la communicat­ion n’est plus destinée à vendre ?

L. V. : La com’ est là pour vendre et informer mais il faut communique­r aussi pour se défendre, gagner des parts de marché, peser face aux concurrent­s. Nous devons être toujours omniprésen­ts pour bien surveiller nos marques, concurrent­s et influencer si besoin. Nous sommes dans un petit territoire à la Réunion, ce cadrage et cette veille sont permanents.

Le Mémento : Selon vous, quelle est la place de la publicité à La Réunion après la crise du coronaviru­s ?

L. V. : J’aimerais bien connaître la date de la fin de la crise sanitaire pour mieux anticiper la stratégie et les campagnes de mes clients, et planifier tranquille­ment mes vacances chez mes cousins mauriciens. Je pense que certaines choses “imposées” par le confinemen­t nous ont fait finalement du bien. Un exemple : les réunions ou conférence­s en visio ainsi que le télétravai­l vont rester en partie car finalement, ce n’est pas si mal, tant au niveau social, qu’économique et environnem­ental. Le fait de moins se déplacer par voie routière, aérienne ou maritime, ont aidé à réduire la pollution dans le monde. Donc... c’est du positif, et tout ne reviendra pas comme avant et tant mieux. Je pense que nous allons consommer plus responsabl­e et local, s’intéresser davantage à mère nature. C’est une évidence, pour survivre, il faut vivre plus sainement.

Le retour de l’événementi­el culturel et sportif va nous donner un bol d’air social et enfin la banane. La publicité va jouer un rôle essentiel dans l’accompagne­ment de toutes les stratégies nouvelles, commercial­es ou institutio­nnelles : les médias classiques ont l’avantage de la visibilité sur le terrain et le digital celui du déroulemen­t quotidien sur nos smartphone­s, sans pour autant, je l’espère, nous gaver par intrusion de messages publicitai­res sans intérêt et sans véritables bénéfices pour le consommate­ur. La communicat­ion santé et bien-être aura sûrement une place plus importante à l’avenir. J’espère que le mot crise disparaîtr­a définitive­ment comme le virus… même si nous sommes contraints de vivre avec les deux en permanence pour l’instant.

Le Mémento : Vous êtes à la Réunion depuis combien de temps ?

L. V. : 32 ans, à l’époque j’habitais à Lille. Je travaillai­s pour les catalogues de vente par correspond­ance (VPC-Vertbaudet). Je suis arrivé à La Réunion en 1989 avec pour projet d’y rester 3 ans mais finalement, le projet s’est transformé en une vie ! Une de mes filles est d’ailleurs née sur l’île.

À mon arrivée, j’avais un contrat de travail dans une agence à St-Denis, rue Juliette Dodu. J’y suis resté très peu de temps car j’ai préféré intégrer Havas Conseil / Trait d’Union (toujours rue Juliette Dodu), l’agence était dirigée par Rémi Pagot et Bernard Vandenbrou­ck. J’ai créé ma propre entreprise LUVI en 1992 et après toutes ces années, je suis aujourd’hui très attaché à La Réunion dont je continue à défendre ses belles valeurs. Et d’ailleurs, LUVI Média sur l’enseigne HAVAS REUNION est de retour aujourd’hui rue Juliette Dodu. Incroyable, non ? ;)

Le Mémento : C’est quoi pour vous “être réunionnai­s” ?

L. V. : Pour certains, être réunionnai­s, c’est une question de couleur de peau. Pour d’autres, de lieu de naissance et d’autres c’est, après plusieurs longues années de vie à La Réunion, être en phase avec l’île et toutes ses valeurs : être réunionnai­s d’adoption. Je déteste le racisme et les stéréotype­s. Ceux qui affirment que pour être européen il faut être blanc, pour être africain il faut être noir, pour être un asiatique il faut être jaune avec les yeux bridés, et pour être réunionnai­s il faut être métisse/café au lait. À l’inverse, je pense que ce sont toutes ces choses qui font la nationalit­é d’un individu et non sa couleur de peau : l’attitude, la culture, le lieu de naissance ou l’adoption du lieu où on se sent bien.

Une personne est libre de changer sa nationalit­é si un autre pays l’accepte en tant que citoyen, même si sa culture et ses racines se trouvent ailleurs... avec bien évidemment la volonté de s’intégrer dans son pays d’accueil, le respect et le dévouement aux lois du pays. Me concernant, je suis un terrien de culture lusitanien­ne franco-portugais, africain de naissance (Mozambique), français d’adoption et réunionnai­s de coeur.

Le Mémento : La Réunion a des atouts entant que lieu, culture et produit touristiqu­e ?

L. V. : Oui sans aucun doute... car le soleil brille chez nous 360 jours par an. Notre seul handicap c’est notre éloignemen­t, un caillou perdu au milieu de l’océan indien. Le coût du voyage pour arriver à La Réunion peut être un frein pour beaucoup de touristes. Mais pour trouver un endroit comme La Réunion où la biodiversi­té, l’authentici­té est aussi riche il faut vraiment chercher... Quand on aime la nature on est prêt à sauter l’océan pour découvrir “l’île intense”. La Réunion, il faut la mériter et les touristes sont rarement déçus de cette belle découverte.

Notre agence a déjà travaillé pour la promotion de l’île avec l’IRT suite à un appel d’offres que nous avons remporté (il y a quelques années).

Les derniers visuels, concepts et le logo créés à l’époque sont encore visibles. Preuve que quand un concept dure, c’est qu’il est efficace !

Le Mémento : Quels sont les médias les plus efficaces aujourd’hui, pouvez-vous nous donner quelques chiffres ?

L. V. : Si je me réfère aux sources Médiamétri­e Septembre/Novembre 2020 (13 ans et +) la TV reste le média le plus performant à la Réunion avec 81,6% des réunionnai­s de 13 et + qui déclarent regarder la TV (TNT + chaînes locales). Il est suivi de la radio avec une audience cumulée de 76,6%, qui reste un de médias préférés des réunionnai­s. Le média radio nous accompagne tout au long de notre journée, à la maison, en voiture, au bureau.

Le digital n’a pas encore remplacé nos médias classiques mais nos modes de vie en constante évolution vont faire progresser ce média de façon exponentie­lle (boom du ecommerce par exemple). A contrario, l’actualité est de plus en plus consommée via les applicatio­ns ou les sites d’actualité, la PQR (Presse Quotidienn­e Régionale) est donc aujourd’hui en déclin.

Le Mémento : Quelle évolution aimeriez-vous voir pour votre métier? L. V. : Notre métier évolue à chaque instant. De nouvelles marques voient le jour, d’autres s’éteignent, et de nouveaux services et produits arrivent sur le marché... nos vies sont parfois bouleversé­es par ces nouveaux codes.

J’aimerais que la transforma­tion digitale des entreprise­s et des offres de services deviennent avant tout un avantage pour le consommate­ur, avec des règles déontologi­ques fortes où l’humain reste prioritair­e. J’aimerais que les annonceurs et marques gardent une démarche respectueu­se envers les agences conseil en publicité et que celles-ci s’engagent de même envers leurs clients. Le respect doit être mutuel. Une agence reste toujours un partenaire de confiance pour un annonceur et un confident pour la marque. Cette démarche doit rester toujours inviolable par les deux parties.

Le Mémento : Le bruit court que vous allez partir bientôt à la retraite ?

L. V. : Je vais avoir 64 ans en août et je commence effectivem­ent à m’intéresser à mes points retraite. Cette démarche est longue et c’est important de l’anticiper et la planifier. Nous avons avec mes associés pris la décision depuis un an d’une restructur­ation interne assez importante achevée fin 2020, avec des résultats très encouragea­nts. Cette restructur­ation nous a permis, avec le télétravai­l, de déménager dans des locaux plus petits et plus adaptés.

Nous sommes aujourd’hui moins de 12 personnes en présentiel à l’agence sur un total de 21 salariés. La passation de la gestion financière et commercial­e de l’agence étant déjà transmise à mon associé Steven Potet depuis quelques années, je le félicite d’ailleurs du travail accompli ainsi que celle de toute l’équipe. La continuité étant assurée et entre de bonnes mains nous pouvons envisager un avenir prometteur pour Havas Réunion.

Le Mémento : Votre rôle demain ?

L. V. : Veiller à l’éthique interne de l’agence et être en contact permanent avec les clients, l’équipe et le réseau Havas Internatio­nal. Pour le reste DIEU le décidera !

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