Revaloriser plutôt qu’exporter : vers une alternative
Après des échecs, de nombreux refus et d’âpres négociations, le projet “Glass’ternatives” porté depuis trois ans par Mathieu Troubé, remporte enfin un appel à projets de l’État dans le cadre du plan “France Relance”. Une subvention de 600.000 euros qui lui permettra d’accélérer les choses.
En 2018, le Mémento avait rencontré Mathieu Troubé, dans les locaux de Seyes, à La Mare. Il débarquait de Guyane avec dans ses valises un projet de revalorisation du verre. “À l’époque, ce n’était qu’une idée : trouver un exutoire aux déchets de verre pour les territoires insulaires”, raconte alors le jeune homme.
Le constat est le même partout : le verre ne peut être revalorisé sur les îles parce que les fonderies industrielles telles qu’elles existent en Europe sont bien trop coûteuses à l’échelle de ces territoires. Pourtant, les gisements sont là. “Pas moins de 20.000 tonnes de verre sont exportées annuellement par containers depuis l’île de La Réunion vers l’Afrique du Sud” rappelle Rémi Voluer, associé au projet Glass’ternatives.
On y retrouve aussi bien les bouteilles et contenants que les résidus de déconstruction du BTP et de l’automobile, ainsi que les verres dits spéciaux (cristal et vitrocéramique). Alors, si fondre le verre est impossible, quelle alternative reste-t-il ? “Il existe plusieurs exutoires au verre. On peut en faire du sable, de l’abrasif et de la poudre de verre” poursuit Mathieu Troubé.
Le verre ainsi transformé devient un substitut du ciment plus écologique, plus durable et plus performant
L’ÉQUATION PARFAITE. C’est là que l’ingéniosité du projet de Glass’ternatives prend tout son sens. En s’alliant à une chercheuse, Mathieu Troubé, Rémi Voluer et Julie Blanchard réalisent une multitude de tests en laboratoire pour créer un composant durable. Jusqu’ici, le granulat de verre ajouté au ciment posait un problème d’alcali-réaction. L’objectif est donc de réaliser une poudre de verre dont la granulométrie, la pureté et le dosage soient parfaits. “Le verre ainsi transformé devient un substitut du ciment plus écologique, plus durable et plus performant” soutient Rémi Voluer.
Une fois le produit élaboré, Mathieu Troubé et Rémi Voluer ont écumé les concours en tout genre, “parce que même si l’entreprise avait trouvé sa forme juridique et son équipe, il fallait encore convaincre les investisseurs et trouver des subventions” poursuit Mathieu Troubé. Et malgré un capital de départ de 20.000€, l’outil industriel nécessaire à la revalorisation du verre à La Réunion coûte
4 millions.
TROUVER DES INVESTISSEURS. Si l’obtention de nombreux prix leur assure une notoriété - “Prix Spécial du Jury” du Start-Up Total, bourse French Tech de la BPI et prix Synergie Jeunes - les fonds manquent. “Toutes ces reconnaissances et la valeur pécuniaire qui
les accompagnait nous ont aidés tant dans la recherche que dans l’élaboration d’un schéma usinier du procédé” reprend Rémi Voluer. Pour autant, c’était encore insuffisant pour concevoir la chaîne de production d’une quarantaine de machines, les unes derrière les autres.
La période longue et difficile qui s’en suit sera mise à profit pour travailler la validité, la faisabilité et trouver des prestataires locaux qui voudront bien exploiter cette poudre de verre pour leur ciment. En effet, si l’île produit environ 5.000 tonnes de ciment par an, Glass’ternatives devrait, grâce à son usine de revalorisation fournir 10% de ce besoin. “Même si pour l’heure, cela relève de la production de substitution à l’importation, ce serait déjà un poids considérable pour l’économie locale”. D’autant que les premiers tests réalisés par les cimentiers péi, et validés par le CEREMA (Centre d’études et d’expertise sur les risque, l’environnement, la mobilité et l’aménagement) sont très positifs.
L’ÉTAT, EN SOUTIEN. “Le plus dur c’est de ne pas perdre espoir et de ne pas lâcher”, confie Mathieu Troubé qui sait pouvoir compter sur ses associés, Rémi Voluer et Julie Blanchard. Tous deux lui permettent d’avoir une autre vision et un autre point de vue pour aborder plus sereinement les coups durs. Ses fonctions de directeur commercial de l’agence Triax sont également un plus, “parce que ça permet au projet de prendre tout le temps de maturer mais surtout de convaincre”.
Paradoxalement, l’innovation est à la fois attirante et répulsive. “Glass’ternatives séduit autant qu’elle effraie les potentiels investisseurs” assure le directeur du projet. Pour autant, loin de baisser les bras, ce dernier souhaite convaincre l’État. En décembre 2020, le gouvernement lance un appel à projets dans le cadre de son “Plan de Relance” pour l’industrie des territoires d’Outre-Mer. Glass’ternative se positionne alors et devient lauréat pour l’île de La Réunion aux côtés de “Archipel Bourbon Bois” porté par Bourbon Bois (lire encadré).
À la clé de cette “consécration”, une subvention de 600.000 euros. “C’était en décembre 2020” relate Mathieu Troubé, et “c’est un nouveau départ pour le projet”. Les associés peuvent désormais soumettre une demande de prêt auprès des banques, pour enfin obtenir le capital qui leur manquait pour lancer les travaux de leur usine de revalorisation du verre. Laquelle prendra ses quartiers à Saint-Benoît et devrait être mise en service en 2022.
Pas moins de 20.000 tonnes de verre sont exportées annuellement par containers depuis l’île de La Réunion vers l’Afrique du Sud