Le métier de Designer industriel
Marc Van Der Loo est un designer industriel, implanté à l’île de La Réunion. Si aujourd’hui le secteur fait encore trop peu appel à ces professionnels aguerris, l’expert qui a su rebondir en créant sa boutique, envisage la transmission. Portrait.
C’est dans sa boutique, rue du Musée à Piton Saint-Leu, que Marc Van Der Loo passe son temps. Il y conçoit, dessine et crée avant de vendre. On lit d’emblée dans le regard pétillant de ce grand gaillard, la cinquantaine au visage avenant et souriant, l’envie de raconter, d’expliquer. Marc van Der Loo est designer industriel. Et après avoir travaillé en tant que tel dans des sociétés de notoriété mondiale (Apple, Whirpool, Motorola pour ne citer qu’elles), il décide en 2014 de s’installer à La Réunion.
UN DES MÉTIERS LES PLUS COMPLEXES. Là, il ouvre son shop dans lequel il a “réinventé un peu son métier, dans l’objet de la maison” confie celui qui n’a jamais cessé de designer, créer. “C’est juste l’échelle et les matériaux qui ont changé”. Le design reste, et l’industriel sommeille, dira-t-on.
Mais c’est bien volontiers que ce professionnel aguerri parle de son métier, osant même le qualifier en rigolant de “discipline de schizophrène”.
Le métier de designer industriel est l’un des plus complexes qui existent, tant il intervient sur différents champs d’application. Sa définition est la suivante : activité qui consiste à imaginer et créer, visualiser et concevoir un objet ou un produit, son dessin, ses matériaux, ses fonctionnalités, ses valeurs, son utilité, son ergonomie avec pour objectif d’augmenter son attractivité, sa pertinence, son efficience, sa fiabilité, en intégrant et utilisant les arts et les sciences, en considérant ou optimisant des processus d’industrialisation.
DESIGNER INDUSTRIEL, UN PLÉONASME ? Pour se former, Marc Van Der Loo a étudié à l’Art Center College of Design de Californie (États-Unis). “Il faut savoir qu’à l’époque, un designer était fatalement un designer industriel qui travaillait ensuite dans trois secteurs : la création de produit, l’automobile ou le nautique” raconte le professionnel. Et de citer dans ses références Raymond Loewy, le pionnier du design industriel qui a notamment pensé l’aménagement intérieur du Concorde, le réfrigérateur moderne Coldspot (1935), revu le paquet de cigarettes Lucky Strike, imaginé les logos Shell et LU, etc.
“Il y avait dans cette formation une obligation indispensable au métier, celle de la compréhension du produit. Il faut le décortiquer, le désar
ticuler, l’analyser et le mettre en rapport avec le contexte” poursuit Marc Van Der Loo. Le résultat d’une concordance entre une demande et une offre, et d’un équilibre entre une faisabilité et une rentabilité, en relation avec tout ou partie des intervenants (marketing, design, études R&D, ingénierie, méthode, commercialisation, production, etc.).
UN MÉTIER FRAGMENTÉ, AVEC LE TEMPS. Pendant très longtemps, “ce fut un métier polyvalent avec une formation longue” explique Marc Van Der Loo, “aujourd’hui il s’est spécialisé”. Un exemple de spécialisation à laquelle on a assisté récemment est celle de l’interface. En 2021, le métier n’est plus le même qu’il y a trente ou vingt ans, “il s’est fragmenté”. Mais ce qu’il apprécie particulièrement c’est qu’il l’amène à faire porter plusieurs casquettes. “C’est être au centre des métiers de la création et de la technique, entre l’artisanat et les sciences, avec une multitude d’interlocuteurs avec qui collaborer et co-créer” poursuit-il.
S’installer à La Réunion était pour lui l’occasion d’ouvrir un nouveau chapitre de sa carrière. Après avoir travaillé dans la technologie et les matériaux de pointe, il façonne désormais les matières dites “nobles” : bois, cuir, bronze, fer, pierre. Et souhaiterait à terme collaborer localement avec le secteur industriel, mais celui-ci est encore trop frileux ou pas assez au fait de ce que peut apporter un designer industriel. “Ils vont faire appel à des designer marketing ou packaging pour penser un aspect du produit ou de l’objet mais rarement l’ensemble” regrette-t-il. Qu’importe, Marc Van
Der Loo met ses services à disposition et s’est même fait référencer par NEXA, l’agence régionale pour le développement et l’innovation pour tenter de toucher ce public et il collabore notamment avec des architectes et des bureaux d’études. “Ma structure “Abstract Form” est une structure hybride combinant à la fois agence de conseil en design industriel et shop où l’on peut découvrir mes créations dans le mobilier et les objets de la maison”.
Le plus compliqué selon lui, aujourd’hui ? “Réussir à créer un objet qui soit économiquement viable, différencié et qui plaise”. Soit la définition même du design par Raymond Loewy : les produits industriels se vendent mieux s’ils sont esthétiques, en induisant des réductions dans les coûts de fabrication grâce à un design simplificateur. Pensée tirée de son livre culte, “La laideur se vend mal” (1953).
Le métier de designer industriel est une discipline de schizophrène
UNE PASSION INTARISSABLE. Marc Van Der Loo a par exemple créé de magnifique flûtes de champagne en verre borosilicate en forme de sablier, “qui rappelle le passage du temps, en prenant un temps très agréable” philosophe-t-il ; mais aussi des gourdes en titane, des objets en pierre pour la salle de bain, etc. “Je continue à dessiner des pièces” témoigne -til un carnet et un crayon posés devant lui. “Et c’est ce qui fait me rendre compte que je suis resté passionné par mon métier même si je ne peux pas tout créer”. Une passion bien ancrée qu’il souhaiterait désormais transmettre. D’où son rapprochement de l’École des Beaux-Arts et d’Architecture du Port, dans la démarche de pouvoir un jour enseigner le métier.