Memento

ERICKA BAREIGTS

Maire de Saint-Denis

- MAIRE DE SAINT-DENIS Ericka Bareigts

Lors des dernières élections municipale­s, six femmes ont brigué des mairies à La Réunion. À l’occasion de la journée internatio­nale des Droits des Femmes, le Mémento a rencontré l’une d’entre elles afin d’échanger sur la place et la représenta­tivité des femmes dans la sphère politique.

Le Mémento : Vous vous êtes engagée très jeune, qu’est ce qui a motivé cet engagement ?

Ericka Bareigts : L’injustice et l’ambition. L’injustice est quelque chose qui m’insupporte depuis toujours. C’est aussi quelque chose qui décuple mes forces. Je me suis toujours dit que si on ne peut pas réparer toutes les injustices, elles peuvent en revanche être corrigées par l’engagement politique.

Ma deuxième source de motivation est l’ambition. Il y a tellement de gens qui ont des capacités et qui ont fini par ne plus croire en leur ambition parce qu’on leur a répété que ce n’était pas pour eux. Avec le projet éducatif global que je porte depuis toujours, je ne vois plus d’enfants qui se disent que ce n’est pas pour eux.

Le Mémento : Avez-vous rencontré des difficulté­s dans votre vie politique, parce que vous étiez une femme ?

E. B. : Oui, toujours. S’il n’y avait pas eu la loi sur la parité portée par le gouverneme­nt Jospin, avec une obligation de mettre sur les listes autant de femmes que d’hommes, je ne serais pas là. Oui, les femmes ont toujours eu des problèmes, parce qu’elles doivent travailler dix fois plus que les hommes pour montrer leurs compétence­s, et qu’elles sont toujours soupçonnée­s d’avoir été cooptées. Lorsqu’un homme devient ministre, on dit de lui qu’il est brillant, lorsqu’il s’agit d’une femme, ont dit toujours que quelqu’un l’a aidée. C’est quelque chose que les femmes alimentent, parce qu’elles sont mal à l’aise avec le pouvoir.

C’est un rôle qu’elles n’assument pas parce que ça fait des siècles qu’on leur dit que pour être une bonne mère, il faut qu’elles rentrent le soir, préparent à manger, fassent le ménage, s’occupent de leur maison, etc. C’est faux ! Il faut casser les idées reçues qui sont faites pour nous enfermer dans la culpabilit­é.

Le Mémento : Vous avez été la première femme à diriger une intercommu­nalité en 2008. Comment avez-vous été accueillie ? E. B. : Comme un chien dans un jeu de quilles. Jusqu’en 2008, tous les maires étaient présidents d’une intercommu­nalité à La Réunion. J’ai été accueillie bizarremen­t parce que je n’étais ni maire, ni une personnali­té, ce qui était nouveau à la CINOR. Je cumulais un peu les exceptions. Je n’étais pas connue, j’étais une femme, jeune, j’arrivais donc sans grande légitimité dans cette maison qui avait eu essentiell­ement des hommes à sa tête. Non seulement j’ai été nommée à la tête de la CINOR, mais j’ai pris en plus une DGS qui était une femme. Nous avons réalisé toutes les deux un travail laborieux. Je n’ai rien fait qui brillait beaucoup, mais j’ai réalisé un vrai travail de fond. J’ai programmé toute la dépense d’investisse­ment de la CINOR sur 6 ans, fais l’appel d’offres sur la station du Grand Prado, mis en place un concours d’architecte­s pour la création de la Cité des Arts. Lorsque j’ai rendu ma copie au conseil communauta­ire, tout a été voté à l’unanimité. J’ai gagné mon pari et j’ai sorti tous les projets que je devais sortir en deux ans de mandat.

Le Mémento : Que voudriez-vous dire aux femmes qui hésitent à s’engager en politique ?

E. B. : Si vous avez envie d’émancipati­on, de vous épanouir, de réaliser des rêves pour les autres, peu importe le domaine : le sport, la culture, l’éducation, le tissu associatif, il y a de la place pour les femmes. C’est utile pour les génération­s qui viennent. Plus on sera des femmes épanouies dans notre engagement d’intérêt général, plus ça deviendra comme une évidence pour celles qui viendront après nous.

Le Mémento : Avez-vous monté des actions précises envers les femmes à la mairie de Saint-Denis ?

E. B. : Pour mon mandat municipal, l’éducation est une action en faveur de l’égalité fille-garçon. Par exemple, lorsque je suis arrivée en 2008, il n’y avait que des toilettes mixtes. Les écoles ont été réaménagée­s pour que les petites filles et les petits garçons aient leur intimité. Avec Chance Égale, nous avons mené des actions autour de la médiation égalité fille-garçon, sur le sport, nous avons soutenu et soutenons une section féminine. À SaintDenis, 80% de nos activités sportives sont au féminin. Dans les centres pour sans domicile fixe, il y a désormais des espaces réservés aux femmes, et nous avons un élu délégué à la lutte contre les discrimina­tions et à l’égalité homme/ femme.

Le Mémento : Vous avez deux filles. Qu’avez-vous envie de leur transmettr­e ?

E. B. : La liberté. Liberté de faire ce qu’elles veulent, de choisir, de voyager, d’exercer le métier qu’elles veulent, d’avoir leur vie intime. C’est important qu’elles aient de l’assurance dans l’exercice de leur liberté. Dire : je ne veux plus vivre avec toi, je ne veux pas me marier, avoir des enfants, c’est une grande liberté que l’on a pas du tout acquis. La future génération est porteuse de cette liberté. Quand les gens sont libres, ils peuvent transmettr­e le bonheur.

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© Photo Mémento

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