Cases créoles du XVIIIe siècle et leur héritage
On qualifie souvent une case créole sur la base d’attributs tels que la varangue, le lambrequin ou encore le jardin. Pourtant, au sens historique, l’architecture domestique réunionnaise est le fruit d’une longue évolution qui repose sur la transmission de savoir-faire artisans, mobilisés dans l’île dès le XVIIIe siècle.
Jusqu’à la moitié du XXe siècle, la majorité des constructions à La Réunion se réfère au modèle de la “case en paille” élaborée à partir de chaume, de roseau et essentiellement de paille de canne à sucre lorsque se développent les grandes plantations au XIX siècle.
Les habitations “en dur” resteront longtemps réservées à une élite. En outre, si la pierre est largement mobilisée dans le cadre de la construction des édifices publics et religieux, son travail exige une technicité et des outils dont ne disposent pas les premiers colons. Aussi, si dès la seconde moitié du XVIIIe siècle, on commence à voir apparaître quelques habitations privées pour lesquelles la pierre est mise en oeuvre, les blocs de basalte sont alors très sommairement taillés et le matériau est enduit, jamais apparent, du fait du manque d’étanchéité lié à la porosité du basalte.
Un matériau, deux techniques de mise en oeuvre
À La Réunion, au XVIIIe siècle, on construit essentiellement avec du bois. Des forêts entières de petit natte, grand natte et bois de fer sont mobilisées pour ériger les ossatures des maisons créoles. On compte alors deux techniques de construction. La première consiste à simplement empiler le bois débité en madriers afin de former une sorte de “caisse”. L’édifice étant maintenu à l’aide d’encoches réalisées aux deux extrémités des poutres.
La seconde consiste à la mise en forme d’une charpente à l’aide de tenons et de mortaises.
“Un lieu commun consiste à dire que l’architecture créole traditionnelle est le fruit de charpentiers de marine. S’il y en a eu certainement quelques-uns, souvenons-nous que de nombreux menuisiers ont débarqué dans l’île sous contrat, le père de Henri Paulin Panon Desbassayns, par exemple, était charpentier tout court. Certes la technique employée est originaire d’Europe, ce type d’assemblage fait notamment penser aux maisons de Bretagne ou de Normandie, mais il faut savoir que parmi les esclaves, mozambicains et malgaches, certains maîtrisaient également la construction du bois. Dire que l’architecture créole repose sur les charpentiers de marine est donc une erreur historique. Elle repose sur la transmission de techniques de construction entre individus” confirme Bernard Leveneur.
Une porte, deux fenêtres, une toiture à 4 pans
Quelle que soit la technique mobilisée, l’habitat domestique commun du XVIIIe siècle se caractérise par des volumes simples, une forme cubique, un sousbassement en pierre, une toiture à 4 pans, mais aussi par l’absence de varangue et de bardeau en façade.
À noter : une disposition verticale des planches dans l’objectif de faciliter l’écoulement de l’eau. Reste que cette disposition favorise le pourrissement des planches dans leur partie basse, raison pour laquelle la disposition horizontale lui sera préférée dès le XIXe.
Au final, une fois montées, les maisons créoles du XVIIIe ressemblent à des gros cubes. De manière très classique, la distribution des pièces s’organise autour d’une grande salle centrale. Toutes les pièces communiquent entre elles, il n’y a pas de couloir, pas d’intimité. Pour permettre une meilleure circulation de l’air, les portes et les fenêtres se font face.
Caractérisé par sa grande symétrie, ce modèle de façade : 1 porte, 2 fenêtres, 1 toiture à 4 pans fortement inclinés, n’est pas sans rappeler les petites maisons-pavillons françaises basées sur un principe architectural classique. “Ce modèle de maison va perdurer tout au long du XIXe siècle et sera décliné dans une multitude de matériaux. Cette architecture est encore présente au travers d’habitations qui sont les héritières d’un plan apparu au milieu du XVIIIe siècle à La Réunion” se réjouit le conférencier. Plan qui se diffusera par l’intermédiaire des colons européens, dans l’ensemble des Mascareignes, à Madagascar et jusque dans les Caraïbes.
À partir de ce plan-type, se développent de nombreuses variantes. Des plans plus complexes apparaissent : une porte centrale, avec symétriquement 2 ou 3 fenêtres de part et d’autre et des lucarnes dans le toit, preuves que les combles ont été aménagés. Les modifications ne s’appliquent pas seulement à la façade de l’édifice. Les proportions de l’habitation évoluent. On ajoute des auvents, des appentis, un nouveau corps de bâtiment, des élévations… “Les maisons en bois à étage existent dès le XVIIIe siècle. Pour autant, on retrouve toujours les formes rectangulaires, les toitures à 4 pans. Des formes dont on ignore la manière dont elles se sont transmises, mais qui puisent toutes, leur origine dans quelque chose qui remonte au XVIIIe siècle” confirme Bernard Leveneur.
Des modèles atypiques
À partir de ce modèle de maison de notable des bourgs ruraux : la maison typique de planteur de café et d’épices, se développent des bâtisses plus imposantes présentant étages et parfois, varangues sous-combles. L’une d’entreelles subsiste : la Maison de Stella. Le bâtiment, construit par la famille Hibon, restera propriété de la famille Dussac jusqu’au début du XXe siècle. Plus connu sous le nom de “Maison Bédier”, le bâtiment abrite aujourd’hui le FRAC, et mérite d’être visité, notamment pour la beauté de sa cage d’escalier.
Parmi les modèles les plus atypiques, figure feu le château du Gol construit par le fils du premier Deforges-Boucher, ingénieur de son état. Célèbre pour avoir été la plus grande maison créole du XVIIIe, la bâtisse comptait une ménagerie et intégrait du mobilier très luxueux. Érigé en pierre, le bâtiment, avec sa toiture mansardée à 8 pans était la copie d’un château métropolitain de la même époque. La seule différence : ses galeries s’élevant depuis le rez-de-chaussée jusque dans les étages, sans doute pour profiter du point de vue.
Autres modèles atypiques, les maisons Desbassayns : l’actuel collège de Maison Blanche (totalement modifié mais dont le coeur est encore là) et le musée historique de Villèle Saint-Gilles les hauts, troisième maison construite par la famille sur la commune de Saint-Paul à l’extrême fin du XVIIIe. Un bâtiment en pierre, signe de la richesse de ses propriétaires. Des constructions qui, selon l’hypothèse de l’historien, constituent avec la maison Desbassayns (actuelle école franco-chinoise) du centre-ville de Saint-Paul, les prémices de l’architecture néo-classique à La Réunion.
Des villes-jardins
Si l’on aborde le milieu urbain, les choses se structurent également au XVIIIe siècle avec le “terrain d’emplacement”, une notion très forte utilisée pour désigner la propriété urbaine.
Au travers des plans établis par François Chandelier fin du XVIIIe début du XIXe, on prend conscience que Saint-Denis était une ville entièrement construite en bois. Les maisons du centre-ville prenaient place au sein de très grandes parcelles et répondaient à un grand principe d’organisation : grande allée arborée menant à l’habitation, jardin à l’avant, dépendances à l’arrière. Le tout, dans le respect d’une grande symétrie. Toutes les descriptions de l’époque font état de l’importance du végétal autour des maisons créoles et ce, dès le XVIIIe siècle. Une caractéristique de “ville jardin” que l’on retrouve d’ailleurs dans chaque ville de La Réunion.