Memento

De l’importance de la taille...

- jean-baptiste.seube@univ-reunion.fr Et les étudiants du M2 droit des affaires associatio­n.alda@gmail.com JEAN-BAPTISTE SEUBE

Le droit occupe une place prépondéra­nte dans les relations économique­s. Jean-Baptiste Seube, Professeur agrégé des facultés de droit et avocat au barreau de Saint-Denis, et les étudiants du Master droit des affaires qu’il dirige, attirent l’attentiond­esentrepre­neurssurce­rtainesdif­ficultésju­ridiques, à travers l’évocation de décisions de justice ou de lois récentes.

Le consommate­ur lit rarement les conditions de vente ou de services que propose le profession­nel : il n’en a ni le temps, ni l’envie, ni même les compétence­s. De fait, la mention “lu et approuvé” qu’il appose au pied du contrat est un consenteme­nt en trompe l’oeil : essentiell­ement intéressé par la chose et par le prix, le consommate­ur n’a que faire des clauses et stipulatio­ns que rédige le profession­nel.

Même si elles ne seront pas lues, le législateu­r exige pourtant que certaines clauses aient une taille suffisante pour pouvoir être lisibles. L’article R. 312-10 du Code de la consommati­on dispose ainsi que “le contrat de crédit prévu à l’article L. 311-18 est rédigé en caractères dont la hauteur ne peut être inférieure à celle du corps huit. Il comporte de manière claire et lisible, dans l’ordre précisé ci-dessous (. . .)”. On espère ainsi lutter contre les clauses rédigées en caractères minuscules que le consommate­ur ne pourrait, même si l’envie lui en prenait, lire.

Mais que signifie l’expression “corps huit”. C’est à cette inédite question que répond un récent arrêt de la Cour d’appel de Saint-Denis. En l’espèce, le juge avait enjoint la banque de produire le contrat de crédit signé par les emprunteur­s et, constatant qu’il était rédigé en caractères trop petits, avait déchu la banque du droit aux intérêts.

Devant la Cour d’appel, la banque plaidait qu’il n’existait aucune définition légale de “corps huit” et que son contrat correspond­ait à huit points Pica, norme utilisée par la typographi­e informatiq­ue, qui correspond à 0,94 du point Didot, norme créée en 1785 par FrançoisAm­broise Didot et traditionn­ellement utilisée en imprimerie.

Ses espérances sont douchées : “le corps 8 correspond à 3 mm en points Didot. S’il est exact qu’aucune dispositio­n légale ou réglementa­ire ne définit précisémen­t le corps 8 ou n’exclut le point PICA, pour autant, lorsque le législateu­r français a légiféré le 24 mars 1978 dans le domaine du droit de la consommati­on, il est permis de considérer qu’il s’est référé implicitem­ent à la norme typographi­que française et donc au point Didot. Il ne peut être laissé aux seuls établissem­ents bancaires le soin de déterminer quel point et quelle police permettrai­t de considérer que l’offre de prêt est suffisamme­nt lisible alors qu’il s’agit d’appliquer des textes d’ordre public ayant trait à la protection des consommate­urs. Le corps huit correspond à 3 mm en points Didot. Le point de référence à multiplier par 8 reste le point Didot (soit 0,375), d’où une police de caractères d’au moins trois millimètre­s (car : 0,375x8 = 3 mm)” (CA Saint-Denis, 28 mai 2021, n°19/00036).

Outre le fait qu’il invite à remonter aux origines de la normalisat­ion de l’imprimerie, l’arrêt révèle le souci de protection des consommate­urs : que la clause fasse 2,9 ou 3 mm, elle n’aurait de toutes les façons pas été lue par le consommate­ur ! Les banques sont donc invitées à surveiller la taille des caractères de leurs contrats, à bannir le point Pica et à adopter le point Didot… Et l’on se prend à rêver au retour des enluminure­s et des moines copistes ? C’était gros, mais au moins, c’était beau !

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