Vivre avec le temps
En 2013, le jardin de l’État à Saint-Denis accueillait la Case Démété – un prototype d’habitation expérimentale qui appliquait tous les principes de l’architecture bioclimatique pour un habitat écologique à l’île de La Réunion. Presque dix ans plus tard, son concepteur Antoine Perreau livre sa vision de l’habitat idéal pour le territoire.
Avec une surface habitable de 80 m2, une large ouverture sur la façade sud, des brise-soleil sur la façade nord qui se veut plus close et embellie d’un mur végétal, du bardage en bois, une structure en tôle, des brasseurs d’air, des panneaux photovoltaïques étanches, un système de récupération d’eau de pluie, un composte ainsi qu’un chauffe-eau solaire doté de capteurs, la maison Démété présente tout ce que l’architecture bioclimatique fait de mieux à l’île de La Réunion.
Exemplaire & remarquable.
“C’est du bon sens”, insiste Antoine Perreau, architecte et concepteur* de cette habitation expérimentale. Le même [sens] qui suit les [bons] principes ancestraux : ventilation naturelle, logique d’économie en matière d’espaces, de matériaux et de consommation d’énergies et des pièces à vivre qui s’ouvrent là où il y a moins d’ensoleillement, le tout en harmonie avec l’environnement naturel. Cette case est un exemple pour les bâtis en milieu tropical.
“Il s’agissait d’un exercice théorique, d’éduquer sur la construction écologique en milieu tropical, d’appliquer les solutions existantes”, rappelle l’architecte. Si dix ans plus tard, cette maison continue d’être exemplaire, remarquable, innovante en quelque sorte, elle n’est en rien la définition de l’habitat idéal. “Parce que la maison individuelle n’a pas d’avenir” affirme Antoine Perreau.
Selon lui, la seule construction de maisons bioclimatiques ne suffira pas à régler les questions environnementales, c’est persister dans l’erreur. La solution ? L’application de ces mêmes principes et solutions à l’habitat collectif, “densifier et éviter l’étalement urbain” explique-t-il. Et Antoine Perreau et son cabinet d’architecture – Laboratoire d’écologie Urbaine de La Réunion (LEU LAB) de démontrer que c’est possible.
La preuve avec l’Ilet du Centre, un ensemble de 60 logements, en plein centre-ville de SaintPierre, qui reprend toutes les techniques de la Case Démété mais à l’échelle du collectif. “Et cela fonctionne” assure l’architecte. Dans cet ensemble, on retrouve aussi les bureaux du LEU LAB, premiers bureaux bioclimatiques, “sans climatisation électrique et où le végétal et le vent jouent leur rôle” poursuit Antoine Perreau.
Savoir-faire reconnu.
Le savoir-faire en la matière est reconnu, il se diffuse avec quelques réalisation emblématiques (amphithéâtre, école, immeuble, etc.) mais le problème reste qu’il n’est toujours pas appliqué à grande
échelle. “Sans engagement de la part des politiques et sans la volonté de quelques acteurs, le passage à l’acte ne peut se faire. Voilà où se situent les freins” déplore Antoine Perreau.
Difficile également pour le professionnel d’évoquer le sujet sans citer l’alarmant rapport du GIEC, “qui montre bien que les décisions et les actes politiques impactent à 75% l’environnement, contre 25% pour les comportements individuels”. Ces mêmes études macro-économique indiquent par ailleurs que l’inaction s’avère un très mauvais calcul économique (lire encadré).
Volonté politique.
Mais la méconnaissance peut être, le manque de volonté certainement, et de moyens, expliquent qu’à l’heure actuelle rien ne va dans ce sens, dans le bon sens. “La solution magique n’existe pas, mais les petites actions mises bout à bout changent les choses”, reprend Antoine Perreau. Pour rappel, en France, le secteur de la construction est responsable de 30% des émissions de gaz à effet de serre.
Si construire différemment est plus qu’une nécessité, “améliorer l’existant sera toujours ce qu’i y a de moins impactant”. Construire certes, mais rénover, réhabiliter et améliorer un certain nombre de bâtiments pour qu’ils deviennent confortables, c’est là l’enjeu. Les logements neufs sont une infime partie en comparaison de l’existant qui constitue un levier d’action important.
“Il faut de la rénovation indispensable – peinture, plomberie, étanchéité, mais aussi de la rénovation lourde, thermique qui doit augmenter les surfaces d’ouverture, généraliser les protections solaires, les bardages, les sur-toitures, etc.” argumente Antoine Perreau. L’île de La Réunion possède un climat favorable à l’architecture bioclimatique, il faut donc en user. Et cesser par là même d’opposer ventilation naturelle et confort, d’autant que l’air conditionné est un non-sens environnemental et sociétal. Car il consomme de l’énergie, surchauffe la ville, émet des gaz à effet de serre et pollue l’air.
La fin de la maison individuelle, du rêve de propriété tel qu’il existe depuis soixante ans va de pair avec un monde plus écologique, économique et collectif. Un monde plus dense, plus urbain, certes mais qui préserve la ressource et les matières premières. “Limiter l’usage massif du béton, et lui préférer des matériaux de substitution – car il se faire rare et cher, lui aussi et il est important de l’utiliser pour des usages spécifiques et pour ce qu’il est” poursuit l’architecte.
Mais là encore, de nombreux obstacles à surmonter subsistent ; pour créer des filières, sécuriser les éléments, il faut cesser avec la demi-mesure et la pusillanimité. Le changement est-il possible ? “Je me considère comme une génération perdue qui n’a pas assez milité pour faire évoluer les choses”, avoue Antoine Perreau. Alors, à son échelle il tente d’influer sur les générations à venir. Ainsi, l’architecte intervient également comme maître de conférence à l’École Supérieure d’Architecture de La Réunion, “pour leur permettre de le faire, eux”.
*Architecte : Antoine Perrau LAB Réunion – co-traitant paysage et bet QEB LEU Réunion - maître d’ouvrage CBO Territoria.