En entreprise, l’illectronisme existe, mais il se soigne
Au même titre que les difficultés liées à l’équipement ou la connexion, l’illectronisme constitue un élément de fracture numérique. La problématique a émergé en même temps qu’Internet, tant dans la sphère personnelle que professionnelle. La généralisation
L’illectronisme désigne le défaut ou l’insuffisance de connaissances nécessaires à l’utilisation des outils électroniques. Il se manifeste par une difficulté à manipuler les outils numériques et engendre une situation souvent vécue comme un handicap, du point de vue personnel, (du fait de la dématérialisation des démarches administratives notamment), et professionnel dans la mesure où, dans le monde de l’entreprise, un éventail de compétences digitales est aujourd’hui requis, qu’il s’agisse de chercher/ décrocher un travail, ou de conserver le sien.
Une problématique, de multiples facettes.
Au-delà de cette définition générique, l’Association Régionale pour l’Amélioration des Conditions de Travail envisage la problématique d’illectronisme de la même manière qu’elle le fait pour l’illettrisme, à savoir à différents niveaux :
“En entreprise, une situation d’illectronisme se caractérise par une non- pratique ou une pratique insuffisamment régulière de l’outil numérique. Cela ne veut pas dire que le salarié ne connaît pas l’outil. Aujourd’hui personne ne se trouve véritablement dans l’incapacité d’utiliser un téléphone portable. Pour autant, certains, s’ils maîtrisent parfaitement l’utilisation de l’outil en mode voix/sms, rencontrent des problèmes lorsqu’il s’agit de surfer sur le web ou de télécharger une application”.
Cela signifie-t-il pour autant que ces personnes sont en situation d’illectronisme dans leur travail ? “Pas nécessairement, explique l’ARACT. Chaque entreprise développe sa propre vision de l’illectronisme. Quand certaines y intègrent les soft et hard skills, d’autres considèrent uniquement les compétences historiquement regroupées sous le terme “bureautique”. Là où auparavant un recruteur vous demandait si vous maîtrisiez le Pack Office, il s’enquiert aujourd’hui de votre maîtrise des logiciels métiers”, explique Laurence Mauxion-Waï-Lune, chargée de développement ARACT Réunion.
Pour toute ces raisons, il est difficile de procéder à cette évaluation du nombre de salariés en situation d’illectronisme. Un constat a cependant été établi par l’ARACT sur la base de remontées de terrain : “La majorité des salariés n’est pas à jour sur tout ou partie d’un logiciel ou d’une compétence métier” confirme Corinne Dubois,
directrice ARACT.
Télétravail et autonomie numérique.
Le confinement a contraint de nombreux salariés à travailler depuis leur domicile. La problématique d’illectronisme a-t-elle été amplifiée sur le territoire du fait de la généralisation du
télétravail ? “On peut le dire pour les activités qui n’étaient pas télétravaillées auparavant” note
l’ARACT. Et de poursuivre : “D’autant qu’en même temps que l’administration réseau et les fonctions supports dédiées à la résolution des problèmes techniques, l’aide informelle apportée par les collègues sur site a disparu dans le cadre du travail à distance. Cependant, l’impact est resté très lié aux secteurs d’activités. Le service bancaire par exemple, a très peu été impacté par les logiques d’illectronisme. La plupart de leurs salariés opérant à partir de logiciels métiers
Toute l’aide informelle apportée par les collègues sur site a disparu dans le cadre du travail à distance...
complexes, les sociétés accompagnent la montée en compétences de leurs équipes, sur le volet cybercriminalité notamment. D’autres secteurs ont l’habitude de gérer des Plans de Continuité d’Activité. La Réunion a en effet développé solide culture d’anticipation et de gestion de crise” confirme Corinne Dubois.
Concernant la détection des difficultés digitales de leurs salariées, encore une fois, chaque entreprise apporte une réponse différente.
“Quand vous êtes une société de services, la part bureautique de votre activité réside essentiellement sur la gestion support, l’administration des ventes, le CRM… des outils pratiqués tous les jours par les salariés dont la compétence a été actée lors du recrutement. Là où il peut y avoir une difficulté c’est lorsque l’on positionne son salarié sur un nouvel outil technique digital (appli mobile, tracé GPS, système d’orientation…). Dans cette situation, un manque ou défaut d’accompagnement peut s’accompagner de difficultés. L’avantage des situations d’illectronisme, par rapport à l’illettrisme, c’est qu’elles sont moins taboues. De manière générale, un salarié n’a pas véritablement de crainte à dire : je ne sais pas utiliser tel logiciel, installer telle application sur mon ordinateur” confirme l’ARACT.
Se former “en situation”.
La prise en main de certains outils ne nécessite ainsi pas obligatoirement la mise en place d’actions de formation,
du moins pas pour tout le monde : “On l’a notamment observé dans le domaine de l’aide à la personne où les intervenants sont désormais invités à renseigner les données relatives à leurs interventions, à partir d’applications mobiles. Pour s’approprier leur nouvel outil-métier, certains se contenteront d’un tuto, d’autres non” explique l’ARACT. plus “Au-delà personne du ne fait peut qu’aujourd’hui, dire qu’il ne sait quasiment pas utiliser au un digital portable, est rapide. l’acculturation Nous sommes de la population tous obligés de nous mettre à jour, continuellement”.
Une obligation facilitée par des outils digitaux de plus en plus ergonomiques et intuitifs.
“Quand les logiciels d’autrefois nécessitaient une formation parfois longue, les applications métiers d’aujourd’hui sont plus ergonomiques et intuitives. Leur appropriation s’effectue ainsi dans la simplicité, pour la grande majorité des salariés” explique Corinne Dubois. Dans le cas contraire, l’idéal est que l’entreprise ait intégré un plan de formation tenant compte de cette problématique.
“La question de l’illectronisme reste particulière dans le sens où, pour en sortir, il n’y a rien de mieux que de travailler directement sur le sujet digital. C’est la meilleure manière d’apprendre” explique Patrick Issartelle, responsable grands projets et référent ANACT Réunion. L’établissement public est à l’origine du développement de la méthode pédagogique “Action de Formation
en Situation de Travail”. “L’idée de mettre en place une AFSET est particulièrement judicieuse dans une situation d’illectronisme puisque la méthode offre de mettre le salarié directement en situation face à l’outil méthodologie et d’accompagner sa montée en compétences au travers du tutorat”.
Dès son origine, la méthode AFSET a été pensée pour l’entreprise et non pour le salarié ou le demandeur d’emploi qui peut compter sur d’autres dispositifs pour améliorer sa compétence digitale notamment. “Avec cette méthodologie, nous ne sommes pas sur une formation descendante. On travaille le geste professionnel, on
travaille sur le travail” conclut Patrick Issartelle.