Les créateurs de problèmes
Comment justifier notre énorme système administratif si ce n’est pour légitimer ses acteurs qui en fin de compte ne créent que des problèmes, pour entretenir leur inutilité.
Si notre chère patrie est sans nul doute le pays des droits de l’homme, le berceau de la démocratie, ou encore la terre de la libre expression, elle est aussi à l’origine d’un système qui a tendance à créer plus de problèmes administratifs que de solutions. La finalité de l’entreprise privée est organisée de façon à être efficace et productive plutôt que de brasser de l’air. Mais qu’en est-il des services publics ? A écouter nombre d’entrepreneurs, nos fonctionnaires et autres assimilés du service public, seraient plus enclins à vouloir exister de façon virtuelle. Quezaquo ? Les services administratifs sont de plus en plus fréquemment amenés à mettre sèchement en demeure - avec menaces de sanctions financières - les entreprises pour des raisons hypothétiques, souvent inexistantes, en dehors de toute corrélation avec le dialogue réel entreprise-administration ! Il ne s’agit pas d’un bug erratique mais d’une nouvelle systémique.
À l’exemple d’une “erreur” du Centre des Formalités des Entreprises (CFE) qui déclare à l’insu de votre plein gré une gérance majoritaire, alors que le chef d’entreprise a bien coché sur son formulaire M3 qu’il s’agit d’une gérance minoritaire… eh bien la galère démarre, les Urssaf vous réclament indûment des dizaines de milliers d’euros. Résoudre le problème ? Il faut que le CFE régularise l’erreur sans pour autant l’admettre, quand l’Urssaf réclame une formalité du CFE. Autre exemple, une entreprise, à jour de ses prélèvements sociaux, se voit réclamer des sommes faramineuses pour des années antérieures parce qu’il existe un problème informatique dans un logiciel. Un bug, comme ils disent, mais personne ne sait comment sortir la vertueuse entreprise du harcèlement de cette infâme relance ! Un responsable ? Une malchance immanente… car en dépit des propos lénifiants tenus par les interlocuteurs virtuels nichés en bout de ligne, qui ne sont jamais les mêmes, et auprès desquels il faut retracer par le menu, c’est au chef d’entreprise, qui lui ne varie pas, de résoudre le nouveau problème suscité par la résistance molle au progrès de la litanie de fonctionnaires, certes tous bienveillants, mais pas responsables pour deux sous.
La répétition de ces errances administratives contribue à la fatigue mentale et au stress des chefs d’entreprise qui en viennent à éprouver le sentiment de travailler uniquement pour les administrations. Parce que si l’entrepreneur ne réagit pas et ne comprend pas l’origine du problème, il s’engouffre dans un véritable labyrinthe semé d’écueils. Ah oui, il faut aussi savoir que la partie - adverse? - ne comprend pas vraiment quel est LE problème et qu’elle est affectée d’un tropisme qui tend à situer systématiquement la cause première dudit problème, dans ce qui serait le pêché originel de l’entreprise, à savoir sa seule existence, sa nature privée et non étatique. Comme de bien entendu, si le chef d’entreprise est impuissant à signifier, identifier et convaincre, de la nature du potentiel contentieux, il fera la connaissance de l’huissier sympathique, lequel ne fera qu’exécuter sa mission.
Et quand même la réaction de l’entreprise est transmise à la vitesse de la lumière, parce que telle est la vitesse de propagation de l’information par la fibre optique, les services administratifs, dématérialisés, anonymes ou presque, s’avèrent souvent aussi lents que chaotiques dans leurs arborescences internes. Car dans tout ça, il faut qu’à la fin, il y ait quelqu’un derrière l’écran. Or certains services, municipaux par exemple, qui n’ouvrent que 21h30 par semaine, comment caler ou prévoir un rendezvous sous 3 mois pour refaire votre passeport ? Dans le bon vieux temps, quand les ordinateurs étaient rares, et le personnel aussi, il suffisait de se pointer pour déposer ses papiers avec la possibilité d’obtenir son nouveau passeport en moins d’un mois, sans passe-droit. Et au besoin, on pouvait faire appel à une procédure d’urgence auprès du cabinet du Préfet… Sans doute avions-nous à faire à des gens compétents…
Bref, l’efficacité des services publics s’avère souvent inversement proportionnelle à leur modernisation. Plus ils sont modernes, plus ils sont lents ! Plus ils créent des problèmes… Et par une inversion orwellienne des réalités, justifient leur lenteur par leur incapacité, et leur incapacité par leur présumée saturation, laquelle serait la preuve de ce qu’ils sont indispensables.
On en vient à rêver d’un retour à la machine à écrire, avec papier à en-tête, carbone et minutes, le tout distribué en retour par le facteur, afin que les chefs d’entreprise puissent se concentrer sur leur travail plutôt que d’être traités en sous-traitants de services publics uberisés.