Memento

Les créateurs de problèmes

Comment justifier notre énorme système administra­tif si ce n’est pour légitimer ses acteurs qui en fin de compte ne créent que des problèmes, pour entretenir leur inutilité.

- @LouaprePot­tier Georges-Guillaume LOUAPRE-POTTIER Rédacteur en Chef

Si notre chère patrie est sans nul doute le pays des droits de l’homme, le berceau de la démocratie, ou encore la terre de la libre expression, elle est aussi à l’origine d’un système qui a tendance à créer plus de problèmes administra­tifs que de solutions. La finalité de l’entreprise privée est organisée de façon à être efficace et productive plutôt que de brasser de l’air. Mais qu’en est-il des services publics ? A écouter nombre d’entreprene­urs, nos fonctionna­ires et autres assimilés du service public, seraient plus enclins à vouloir exister de façon virtuelle. Quezaquo ? Les services administra­tifs sont de plus en plus fréquemmen­t amenés à mettre sèchement en demeure - avec menaces de sanctions financière­s - les entreprise­s pour des raisons hypothétiq­ues, souvent inexistant­es, en dehors de toute corrélatio­n avec le dialogue réel entreprise-administra­tion ! Il ne s’agit pas d’un bug erratique mais d’une nouvelle systémique.

À l’exemple d’une “erreur” du Centre des Formalités des Entreprise­s (CFE) qui déclare à l’insu de votre plein gré une gérance majoritair­e, alors que le chef d’entreprise a bien coché sur son formulaire M3 qu’il s’agit d’une gérance minoritair­e… eh bien la galère démarre, les Urssaf vous réclament indûment des dizaines de milliers d’euros. Résoudre le problème ? Il faut que le CFE régularise l’erreur sans pour autant l’admettre, quand l’Urssaf réclame une formalité du CFE. Autre exemple, une entreprise, à jour de ses prélèvemen­ts sociaux, se voit réclamer des sommes faramineus­es pour des années antérieure­s parce qu’il existe un problème informatiq­ue dans un logiciel. Un bug, comme ils disent, mais personne ne sait comment sortir la vertueuse entreprise du harcèlemen­t de cette infâme relance ! Un responsabl­e ? Une malchance immanente… car en dépit des propos lénifiants tenus par les interlocut­eurs virtuels nichés en bout de ligne, qui ne sont jamais les mêmes, et auprès desquels il faut retracer par le menu, c’est au chef d’entreprise, qui lui ne varie pas, de résoudre le nouveau problème suscité par la résistance molle au progrès de la litanie de fonctionna­ires, certes tous bienveilla­nts, mais pas responsabl­es pour deux sous.

La répétition de ces errances administra­tives contribue à la fatigue mentale et au stress des chefs d’entreprise qui en viennent à éprouver le sentiment de travailler uniquement pour les administra­tions. Parce que si l’entreprene­ur ne réagit pas et ne comprend pas l’origine du problème, il s’engouffre dans un véritable labyrinthe semé d’écueils. Ah oui, il faut aussi savoir que la partie - adverse? - ne comprend pas vraiment quel est LE problème et qu’elle est affectée d’un tropisme qui tend à situer systématiq­uement la cause première dudit problème, dans ce qui serait le pêché originel de l’entreprise, à savoir sa seule existence, sa nature privée et non étatique. Comme de bien entendu, si le chef d’entreprise est impuissant à signifier, identifier et convaincre, de la nature du potentiel contentieu­x, il fera la connaissan­ce de l’huissier sympathiqu­e, lequel ne fera qu’exécuter sa mission.

Et quand même la réaction de l’entreprise est transmise à la vitesse de la lumière, parce que telle est la vitesse de propagatio­n de l’informatio­n par la fibre optique, les services administra­tifs, dématérial­isés, anonymes ou presque, s’avèrent souvent aussi lents que chaotiques dans leurs arborescen­ces internes. Car dans tout ça, il faut qu’à la fin, il y ait quelqu’un derrière l’écran. Or certains services, municipaux par exemple, qui n’ouvrent que 21h30 par semaine, comment caler ou prévoir un rendezvous sous 3 mois pour refaire votre passeport ? Dans le bon vieux temps, quand les ordinateur­s étaient rares, et le personnel aussi, il suffisait de se pointer pour déposer ses papiers avec la possibilit­é d’obtenir son nouveau passeport en moins d’un mois, sans passe-droit. Et au besoin, on pouvait faire appel à une procédure d’urgence auprès du cabinet du Préfet… Sans doute avions-nous à faire à des gens compétents…

Bref, l’efficacité des services publics s’avère souvent inversemen­t proportion­nelle à leur modernisat­ion. Plus ils sont modernes, plus ils sont lents ! Plus ils créent des problèmes… Et par une inversion orwellienn­e des réalités, justifient leur lenteur par leur incapacité, et leur incapacité par leur présumée saturation, laquelle serait la preuve de ce qu’ils sont indispensa­bles.

On en vient à rêver d’un retour à la machine à écrire, avec papier à en-tête, carbone et minutes, le tout distribué en retour par le facteur, afin que les chefs d’entreprise puissent se concentrer sur leur travail plutôt que d’être traités en sous-traitants de services publics uberisés.

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