Covid et garantie des pertes d’exploitation
La Cour de cassation vient de rendre quatre décisions importantes dans le contentieux qui opposait des restaurateurs à leurs assureurs, à propos de la garantie des pertes d’exploitation subies pendant la période de fermeture des commerces liée à la Covid-19.
Le droit occupe une place prépondérante dans les relations économiques. Jean-Baptiste Seube, Professeur agrégé des Facultés de droit et avocat au barreau de Saint-Denis, et les étudiants du Master droit des affaires qu’il dirige, attirent l’attention des entrepreneurs sur certaines difficultés juridiques, à travers l’évocation de décisions de justice ou de lois récentes.
En l’espèce, les contrats prévoyaient la garantie des pertes d’exploitation en cas de fermeture administrative qui était la conséquence d’une épidémie mais ils précisaient que la garantie ne serait pas due “lorsque, à la date de la décision de fermeture, au moins un autre établissement fait l’objet sur le même territoire départemental que celui de l’établissement assuré, d’une mesure de fermeture administrative, pour une cause identique”.
Alors que la cour d’appel avait annulé la clause d’exclusion de garantie en considérant qu’elle avait pour effet de vider l’obligation de l’assureur de sa substance, la Cour de cassation la valide, en application de l’article L. 113-1 du Code des assurances, en jugeant l’exclusion de garantie formelle et limitée (Cass. civ. 2ème, 1er décembre 2022, n°21-19341, n°21-15392, n°21-19342, n°21-19343).
La Cour de cassation a sans doute été sensible à la dimension politique du contentieux : l’Etat ayant choisi de verser des aides substantielles aux commerçants victimes des mesures administratives, il était difficile d’admettre qu’ils puissent tout de même se retourner contre les assureurs. C’est le même motif qui avait conduit la Cour de cassation à juger que les locataires commerciaux devaient payer les loyers, en dépit de la fermeture des locaux (Cass. civ. 3ème, 30 juin 2022, n°21-20190, n°21-20127). A cela s’ajoute un motif propre à l’opération d’assurance : l’activité d’assurance suppose en effet que les assurés soient exposés à des risques dispersés et divisés ; cela permet à l’assureur de mutualiser le risque et de le diluer sur l’ensemble de ses assurés ; tel n’est plus le cas dans l’hypothèse d’un risque épidémique qui, par son caractère systémique, interdit à l’assureur de pouvoir utilement exercer son activité.
Compréhensible d’un point de vue politique, la solution laisse cependant un goût amer d’un point de vue contractuel : elle revient à dire que les assurés sont couverts contre le risque d’épidémie, sauf lorsque l’épidémie s’étend sur le territoire… ce qui est une aporie puisque l’épidémie suppose nécessairement une certaine expansion territoriale. Le contrat est comme vidé de sa substance par la clause d’exclusion. L’article 1170 du Code civil aurait dû conduire à la neutralisation de la clause d’exclusion de garantie.
De tels contentieux, qui illustrent le décalage entre une approche technique et une approche politique, pourraient demain se multiplier avec les risques “climatiques” ou “cyber”… Si l’on estime que ces risques sont inassurables en raison de leur dimension générale, qu’on interdise alors aux compagnies d’assurances de faire miroiter aux assurés une quelconque garantie en la matière ! Donner et retenir ne vaut !