Lutter contre la solitude du dirigeant
Psychologue du travail depuis 2008, Sophie Palma d’Amore a créé un cabinet de conseil en santé au travail, Elfie Social Lab. Forte de son réseau et accompagnée de consultants, son expertise en innovation sociale et son regard affuté éclairent dirigeants, managers et salariés sur les thèmes de la stratégie d’entreprise responsable (RSE), des risques psychosociaux, de la gouvernance, des conflits au travail.
“Il est difficile de prévenir le burn-out du chef d’entreprise car il passe son temps à solutionner des problèmes, à être exemplaire. Ce n’est pas quelqu’un qui demande de l’aide facilement”, fait remarquer Sophie Palma d’Amore. À cela s’ajoute une charge mentale croissante dans un système volatil où il est compliqué d’élaborer une stratégie à long terme.
Depuis 2020, la professionnelle a rejoint le réseau Apesa, dispositif de prise en charge psychologique pour les entrepreneurs en grande souffrance morale. Elle est aussi très active au sein du Centre des jeunes dirigeants d’entreprise (CJD) où l’on veille au bien-être du dirigeant : quel temps s’accorde-t-il pour se reposer, se ressourcer ? Référente solidarité et formée en psychotraumatologie, elle accompagne les situations de crise et les dirigeants fragilisés. “De la résilience il y en a oui mais de la solitude aussi”, note la consultante santé. D’où l’importance de les aider à s’insérer dans un réseau, une communauté d’entraide. Aborder la question de la santé mentale des entreprises par l’axe de ceux qui la dirigent, c’est important.
D’ailleurs, les cadres et cadres intermédiaires osent plus qu’avant pousser la porte de son cabinet. “Nous vivons une sorte d’accélération de la vie et l’accompagnement des équipes s’est complexifié”, souligne-t-elle. Entre les remontées des salariés, les injonctions des actionnaires et celles réglementaires, les managers subissent de fortes pressions. Mais leur posture managériale a évolué vers plus d’accompagnement et de délégation que de contrôle. Leur charge mentale s’en trouve par conséquent allégée. Pour perdurer et s’étendre, “ce changement doit venir d’en haut. La stratégie d’entreprise se focalise trop souvent sur le volet économique mais on
La stratégie d’entreprise se focalise trop souvent sur le volet économique mais on en vient à oublier l’aspect humain et social
en vient à oublier l’aspect humain et social”, considère Sophie Palma d’Amore.
Cela peut se manifester par différents engagements et démarches qualité dans les domaines suivants : compétences, organisation du travail, télétravail, impact social, handicap, en gros tout ce qui touche à la responsabilité sociétale des entreprises (RSE). Sur toutes ces questions ainsi que les valeurs de transparence et de confiance accordée aux salariés, les patrons d’aujourd’hui sont fortement attendus… surtout par les nouvelles générations. Cela peut effrayer les responsables tant les chantiers sont nombreux, engageants, impactants. Mais pas de panique, la stratégie des petits pas et un peu de courage managérial permettent de réaliser de belles avancées.
Dans bien des cas de plaintes pour harcèlement, il y a à la base un conflit du travail qui se transforme en conflit de personnes
Nuances.
Créer une entreprise et savoir la diriger, sont deux choses bien différentes nuance la professionnelle dans un contexte où “l’esprit startup” florissant a fait croire à beaucoup de jeunes qu’ils pouvaient devenir entrepreneur. “On peut être un très bon entrepreneur et un piètre manager”. En effet, l’art de la direction ne fait pas appel aux mêmes qualités que l’entrepreneuriat. L’entrepreneur doit savoir prendre du recul alors que la posture du manager fait appel à l’intelligence émotionnelle (écoute active par ex.), la délégation et l’esprit d’équipe, la justice sociale, la responsabilité et l’exemplarité.
“La notion d’arbitraire avec des décisions pas ou mal expliquées ont fortement augmenté les risques psychosociaux dans les entreprises”, explique la psychologue, spécialisée dans l’analyse des défaillances systémiques. Ces défaillances viennent en grande partie de mauvaises postures managériales, d’une charge de travail mal répartie ou d’un défaut de compétences. Il existe des outils pour performer sur ces aspects, trop souvent peu investis par les chefs d’entreprise qui manquent par ailleurs de méthode et de moyens. Un exemple est celui de l’entretien annuel, qui faute de structuration des services RH au sein des PME, passe souvent à l’as. Une étude sur l’absentéisme pour les petits arrêts maladie a montré que la raison est liée à la non prise en compte des demandes formulées par le collaborateur et à son épuisement.
“Quand des Réunionnais se présentent, je les encourage à dire les choses pour éviter l’effet cocotteminute. Beaucoup n’osent pas s’exprimer et restent résignés ou aigris suite à des situations problématiques non résolues”, révèle Sophie Palma d’Amore qui s’inscrit dans un courant de la psychologie du travail appelé “clinique de l’activité”. Il s’agit de mettre en place des espaces de discussion pour s’exprimer sur des problèmes directement liés au travail. Dans bien des cas de plaintes pour harcèlement, il y a à la base un conflit du travail qui se transforme en conflit de personnes. Et cela est dommageable pour tout le monde. Avec d’autres professionnels, elle met en valeur les vertus de “la dispute professionnelle” au sens médiéval de disputatio, c’est-à-dire l’organisation réglée et l’instruction d’un dossier technique dans lesquelles les points de vue divergent et sur lesquels il faut argumenter pour convaincre.
Décloisonner l’entreprise.
La semaine de 4 jours est évoquée pour attirer de jeunes talents en quête de sens. “Les employeurs qui la mettent en place sont déjà dans une logique sociale dynamique, c’est pour cela que ça marche ! Et pas à cause de l’action en elle-même” est persuadée la psychologue. Experte en innovation sociale, elle met en avant le mécénat de compétences. Ce dispositif permet à une entreprise de verser un don, sous forme d’aide financière, matérielle ou de compétences à un organisme pour soutenir une oeuvre d’intérêt général (cancer du sein, agriculture biologique, lecture pour les personnes âgées, etc.). Cet engagement citoyen s’effectue sur le temps de travail salarié et non sur le temps personnel. En plus de décloisonner l’entreprise et d’augmenter son attractivité, cela peut participer au bonheur des salariés. Quand on sait qu’un salarié heureux apporte 20% en plus de productivité à l’entreprise, cela vaut le coup de s’y impliquer.