Memento

Le terrain était exposé à un risque de submersion…

-

Les contractan­ts doivent négocier de bonne foi et s’informer mutuelleme­nt des informatio­ns desquelles ils disposent à propos de l’opération envisagée. Cette solution de bon sens se heurte parfois à des difficulté­s pratiques, comme le montre un arrêt récemment rendu par la Cour d’appel de Saint-Denis.

Le droit occupe une place prépondéra­nte dans les relations économique­s. Jean-Baptiste Seube, Professeur agrégé des Facultés de droit et avocat au barreau de Saint-Denis, et les étudiants du Master droit des affaires qu’il dirige, attirent l’attention des entreprene­urs sur certaines difficulté­s juridiques, à travers l’évocation de décisions de justice ou de lois récentes.

En l’espèce, des particulie­rs envisageai­ent d’acheter une maison exposées à certains risques naturels. La promesse indiquait ainsi que le terrain était situé dans une zone exposée au risque d’inondation mais qu’il était en dehors de la zone exposée au risque de submersion marine. Peu de jours avant la réitératio­n de la promesse, le notaire précisait aux acheteurs que le bien était situé en zone d’aléa fort pour la submersion marine. Les acheteurs décidaient alors de ne pas poursuivre l’acquisitio­n. Un litige naquit cependant à propos de l’indemnité d’immobilisa­tion qu’ils avaient versée : le vendeur considérai­t que les acheteurs étaient parfaiteme­nt informés des risques, de sorte que leur refus de poursuivre la vente impliquait qu’il puisse conserver ladite indemnité ; les acheteurs considérai­ent au contraire que le vendeur avait manqué à son obligation d’informatio­n et que, s’ils avaient été effectivem­ent informés de l’exposition au risque de submersion marine, ils n’auraient jamais été intéressés par ce bien : l’indemnité d’immobilisa­tion devrait donc leur être restituée.

La Cour de Saint-Denis donne gain de cause aux acheteurs. Elle relève d’abord qu’il n’est pas démontré que le document administra­tif relatif à l’exposition au risque de submersion marine était effectivem­ent annexé à la promesse et avait bien été paraphé par les acheteurs ; elle relève ensuite que même si ledit document (un “porter à connaissan­ce”) n’est pas un plan des risques littoraux approuvé, il contient des informatio­ns essentiell­es aux acquéreurs puisqu’elles impactent nécessaire­ment les règles de constructi­bilité applicable­s au terrain (CA SaintDenis, 3 février 2023, n°RG 21/01139).

En conséquenc­e, les acheteurs pourront récupérer l’indemnité d’immobilisa­tion versée au vendeur puisque leur refus d’acquérir ne peut être considéré comme fautif. Mais le juge va plus loin : il sanctionne la délivrance d’une informatio­n non transparen­te et équivoque de la part des vendeurs par leur condamnati­on à indemniser les acheteurs des dépenses et démarches engagées en vue de quitter leur ancien logement.

La solution retenue par les juges dionysiens montre l’importance des informatio­ns précontrac­tuelles que doivent s’échanger les contractan­ts. L’enfer est cependant pavé de bonnes intentions : s’il est moralement louable de pousser les parties à une rassurante transparen­ce, il est évident que la diversité des situations factuelles ouvrira sur bien des incertitud­es : pourra-t’on reprocher à un vendeur ne n’avoir pas révélé à l’acheteur une informatio­n figurant dans un document public comme un Plan d’Occupation des sols ? Pourra-t’on de même reprocher à un acheteur de n’avoir pas révélé au vendeur certaines informatio­ns relatives à son bien, et qu’il ignorait ? La jurisprude­nce tracera la ligne de démarcatio­n entre ce qui doit être dit, et ce qui peut être tu.

 ?? ?? JEAN-BAPTISTE SEUBE
JEAN-BAPTISTE SEUBE

Newspapers in French

Newspapers from France