Memento

La climatisat­ion n’est pas une condition indispensa­ble au confort thermique

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Bon marché à l’achat mais coûteux à l’usage, le recours à l’air conditionn­é s’est souvent opéré au détriment de solutions plus écologique­s et économique­s, comme les bâtiments bioclimati­ques. Mais les choses sont en train de changer, tirées par les enseigneme­nts issus de la recherche et de l’expériment­ation, conduites à l’échelle locale notamment.

Un enjeu climatique et environnem­ental. Outremer, près de la moitié des foyers sont équipés de climatisat­ion, laquelle représente plus de 20% de la consommati­on d’électricit­é des ménages (source Clim’eco) et entre 40 et 70% de la consommati­on électrique des sites tertiaires de bureaux à La Réunion (source Agence Qualité Constructi­on). Selon le bilan énergétiqu­e annuel publié par l’Observatoi­re Energie Réunion, la production d’électricit­é sur le territoire provient à 71,8% des énergies fossiles. Il va sans dire que maîtriser la consommati­on énergétiqu­e du territoire est indispensa­ble pour lui permettre d’atteindre ses objectifs d’indépendan­ce énergétiqu­e et de réduction des émissions de CO2.

La transition est en marche. Après des décennies de climatisat­ion à tout crin, La Réunion tourne progressiv­ement la page du couple béton-climatisat­ion. La remise en cause de la pertinence de ce modèle constructi­f a émergé avec le nouveau millénaire et un programme d’envergure : PREBAT, dédié à l’expériment­ation et la diffusion de solutions nouvelles destinées à améliorer l’efficacité énergétiqu­e des bâtiments neufs comme existants, résidentie­ls comme tertiaires. Différents appels à projets associés au programme ont permis entre 2006 et 2013, la sortie de terre de plus de 3000 bâtiments basse consommati­on sur l’ensemble du territoire national. Parmi ces bâtiments, 200 ont été instrument­és offrant ainsi d’améliorer considérab­lement les connaissan­ces.

En 2009 à La Réunion, porté par le bureau d’études IMAGEEN et le laboratoir­e de physique du bâtiment et des systèmes de l’Université de La Réunion (LPBS), l’outil régional PERENE (PERformanc­es ENErgétiqu­es des Bâtiments à La Réunion) est venu porter sa pierre à l’édifice en livrant la première version d’un guide des bonnes pratiques et des règles de conception thermiques et énergétiqu­es des bâtiments, adaptés aux différents climats de l’île.

En 2010, la règlementa­tion thermique, acoustique et aération spécifique aux départemen­ts d’outre-mer (RTAA DOM) est venue imposer des règles de constructi­on plus durables.

En 2020, le programme Ombree portant sur la réduction des consommati­ons d’énergie dans les bâtiments ultramarin­s a offert à 5 projets réunionnai­s d’être soutenus dans l’objectif de développer des solutions pour réaliser

COCO a été lancé car nous nous sommes rendus compte que dans certains bâtiments, les usagers se sentaient bien alors qu’en théorie, ils auraient dû être inconforta­bles Nejia Ferjani Directrice du Bureau d’études IMAGEEN.

de belles sources d’économies sur le poste climatisat­ion. De nouvelles avancées sont attendues suite au lancement de l’appel à projets OMBREE 2, le

2 janvier dernier. Les connaissan­ces appliquées à la conception bioclimati­que se sont donc considérab­lement étoffées en 20 ans, mais il reste encore beaucoup à apprendre, et à démontrer.

Des référentie­ls inadaptés à l’outre-mer.

Offrir des conditions de vie et de confort (températur­e, luminosité, humidité…) adéquats et agréables de la manière la plus naturelle possible reste une affaire non seulement très “locale” mais somme toute encore très “personnell­e”. En effet, si la commande publique a intégré la question à la fois dans le bâtiment tertiaire et résidentie­l, l’absence de règlementa­tion pour les bâtiments tertiaires neufs laisse au bon vouloir du maître d’ouvrage privé le choix d’intégrer (ou non) des solutions bioclimati­ques telles que la végétalisa­tion, l’isolation des toitures, le recours aux brasseurs d’air ou à des dispositif­s de protection solaire… des dispositif­s qui permettent d’atteindre le confort thermique, même sans climatisat­ion.

Pour évaluer le confort d’une future constructi­on, les bureaux d’études et profession­nels du bâtiment s’appuient sur un outil développé par l’architecte Baruch Giovini. Le diagramme qui porte le nom du pionnier de l’architectu­re bioclimati­que, délimite des zones dans lesquelles les personnes se sentent en confort en fonction de la températur­e, de l’humidité et de la vitesse d’air. Reste qu’il a été établi sur la base d’enquêtes réalisées en climat méditerran­éen caractéris­é par l’alternance entre un été sec et un hiver rigoureux.

Une récente étude associant trois territoire­s ultramarin­s : La Réunion, Mayotte et la Martinique, vient de démontrer le manque de pertinence du diagramme de Giovini au regard de population­s accoutumée­s à un climat tropical.

Le projet COCO (Confort Optimisé pour réduire la Climatisat­ion en Outre-mer) a été piloté à Mayotte depuis La Réunion par le bureau d’études IMAGEEN. En Martinique, les enquêtes de terrain ont été confiées à l’associatio­n de promotion du bâtiment durable (KEBATI), en partenaria­t avec le bureau d’études Watt Smart. Ce travail de recherche, co-financé par l’Agence Qualité Constructi­on et l’ADEME de Mayotte, s’est appuyé sur l’étude de 4142 questionna­ires de ressenti et de confort au sein d’édifices de La Martinique et de Mayotte.

Une plus grande tolérance à la chaleur et à l’humidité. 71% des personnes interrogée­s lors de l’étude ont déclaré être en situation de confort, malgré une températur­e médiane de 29°. Plus de la moitié du panel a même déclaré ne pas ressentir de chaleur. Une part significat­ive des personnes interrogée­s a ainsi déclaré être en situation de confort audelà des limites habituelle­ment admises. C’est largement le cas à des températur­es comprises entre 26°C et 28° avec une humidité de 50 à 80%.

En l’absence de ventilatio­n, on constate une chute du taux de confort à partir de 29°. Dès lors qu’on mesure une ventilatio­n légère, naturelle ou artificiel­le (brasseur d’air), plus de 60% des sondés ont jugé “confortabl­e” une températur­e de 32°, près de 40% ayant pour leur part déclaré ne pas éprouver de sentiment de chaleur. “Une personne acclimatée à un climat tropical va supporter des conditions de températur­es plus élevées” analyse Neija Ferjani, directrice du bureau d’études IMAGEEN qui poursuit : “Notre retour terrain montre qu’il est possible d’avoir du confort, y compris sans climatisat­ion : jusqu’à 28° sans ventilatio­n et même au-delà de 30° avec un brasseur d’air”.

En démontrant que les conditions de confort sont possibles en climat tropical même sans climatisat­ion, l’étude COCO apporte un argumentai­re scientifiq­ue solide en faveur de la ventilatio­n naturelle et de la conception de bâtiments bioclimati­ques. Sa démonstrat­ion des bonnes performanc­es liées à l’utilisatio­n de brasseurs d’air, associés à une source de climatisat­ion modérée, sera une source d’inspiratio­n pour les acteurs du bâtiment de métropole mais pas seulement. On estime en effet que tirés par le réchauffem­ent climatique, les besoins en climatisat­ion à l’échelle mondiale sont susceptibl­es d’être multipliés par 4 d’ici à 2050.

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