LA COURSE CONTRE LA MONTRE AUX TAUX BAS
Après avoir stagné ces dernières années à des niveaux extrêmement bas, les taux de crédit immobilier semblent résolument engagés dans une tendance haussière. Alors que les conditions d’octroi se sont franchement resserrées pour certains particuliers, les autres s’interrogent : faut-il acheter maintenant ou attendre ?
Après avoir stagné ces dernières années à des niveaux extrêmement bas, les taux de crédit immobilier semblent résolument engagés dans une tendance haussière. Alors que les conditions d’octroi se sont franchement resserrées pour certains particuliers, les autres s’interrogent : faut-il acheter maintenant ou attendre ?
Le phénomène pointait son nez depuis le dernier trimestre 2021. Il s’est franchement accéléré au cours des derniers mois. Les taux de crédit immobilier connaissent une hausse inédite. De novembre à mars, les taux d’intérêt moyens (hors frais et assurances et toutes durées confondues) sont passés de 1,06% à 1,18%, avant d’atteindre 1,27% en avril, selon les dernières données de l’observatoire Crédit Logement/csa (voir tableau par ailleurs). Une progression qui semble partie pour durer, lentement mais sûrement. « Les taux pourraient atteindre 1,75 à 1,80% à la fin de l’année », prédit Michel Mouillart, économiste spécialiste du logement.
« FIN DES SOLDES ! »
« C’est la fin des soldes ! », lance Ludovic Huzieux, cofondateur d’artémis Courtage, qui, à l’instar des autres acteurs du courtage, note que les taux de crédit sur vingt ans ont augmenté en moyenne d’un demi-point de base depuis le début de l’année. « Dans ce même laps de temps, les Français ont perdu environ 10.000 euros de capacité d’emprunt : ainsi, pour une même mensualité de 1.000 euros par mois, le montant que vous pouvez emprunter s’élève aujourd’hui à 207.000 euros, contre 217.000 euros en janvier », décrypte de son côté Sandrine Allonier, directrice des études chez Vousfinancer. « À chaque fois que le taux remonte de 10 points de base, toute chose égale par ailleurs, les mensualités augmentent de 1% », constate Olivier Lendrevie, président du réseau Cafpi.
Parmi les raisons de cette évolution rapide des taux de crédit figurent l’inflation - de l’ordre de 5% actuellement en France -, la situation géopolitique (le conflit russo-ukrainien, en premier lieu), mais aussi l’envolée des taux d’intérêt des emprunts de l’état. « Les fameux OAT 10 ans, qui servent de référence pour les taux de crédit aux particuliers, ont dépassé début mai les 1,50% pour la première fois depuis 2014, alors qu’ils atteignaient 0,5% en mars », explique Sandrine Allonier, qui rappelle au passage qu’il y a huit ans, les taux de crédit étaient en moyenne à 3%.
TAUX TOUJOURS ATTRACTIFS
Car si la parenthèse des « taux historiquement bas » semble bien sur le point de se refermer, les taux immobiliers demeurent toutefois attractifs.
Certes, comme le fait remarquer Ludovic Huzieux, « il est désormais difficile d’emprunter à moins de 1,20% sur vingt ans ou à 1,50% sur vingt-cinq ans ». Mais le recours à l’emprunt reste encore accessible pour les ménages qui ont démarré un projet d’achat ou envisagent d’en entamer un dans les prochains mois, dans la mesure, bien sûr, de leurs capacités financières.
« En tenant compte des taux de crédit inférieurs à l’inflation et de la perspective de leur montée dans les mois à venir, mieux vaut ne pas attendre pour emprunter », conseille Olivier Lendrevie. D’autant que les conditions d’octroi d’un prêt se sont durcies depuis le 1er janvier dernier, date à laquelle les nouvelles recommandations du Haut Conseil à la stabilité financière (HCSF) sont devenues obligatoires. Les banques doivent ainsi respecter des ratios en matière de taux d’endettement des candidats à l’emprunt (plafonné à 35% des revenus net avant impôt, assurance comprise) et de durée des crédits (limitée à 25 ans ou à 27 ans dans certains cas exceptionnels, comme l’acquisition d’un bien acheté sur plan). Elles peuvent s’affranchir de ces règles pour 20% des dossiers de financement. Mais ces largesses restent en général réservées aux meilleurs dossiers. « Dans le cas où l’offre de banque rentre dans votre budget, ne tardez pas pour signer : selon les établissements de crédit, les propositions de taux ne sont valables que de huit à quinze jours », avertit Sandrine Allonier.
APPORT PERSONNEL PLUS IMPORTANT
La course contre la montre est donc engagée pour les acquéreurs potentiels qui finalisent leur dossier et valident leurs conditions d’emprunt avant que les taux de crédit ne poursuivent leur ascension. « Les ménages à l’aise financièrement peuvent se permettre une petite hausse de leur mensualité dictée par la hausse des taux. En revanche,
dès lors que vous voisinez ou dépassez les 35% de taux d’endettement, vous devez réviser à la baisse votre capacité d’emprunt (en cherchant un bien moins cher ou en faisant une concession sur la surface initialement souhaitée), allonger votre durée d’emprunt ou encore augmenter votre apport financier personnel », affirme Olivier Lendrevie. Le président de Cafpi rappelle que l’apport d’argent exigé par une banque doit aujourd’hui représenter jusqu’à 20% de la valeur totale de l’opération immobilière, contre 15% en moyenne en 2021.
« Une durée des prêts élevée a permis jusqu’à présent d’atténuer les conséquences de la hausse des prix des logements, et de garder possible l’accès au crédit pour de nombreux candidats à l’accession à la propriété et à l’investissement locatif, qui sont les emprunteurs les plus impactés par l’augmentation des taux d’apport personnel exigés », note de son côté l’observatoire Crédit Logement.
L’EMBÛCHE DU TAUX D’USURE
Dans le contexte actuel, les banques se retrouvent prises entre deux feux. « Pour conserver des marges raisonnables, elles se trouvent dans l’obligation de
durcir leurs conditions d’octroi de crédit et de répercuter la hausse des taux sur leurs clients, au risque de briser la dynamique de la production de crédit », explique Sandrine Allonier, qui constate que peu de banques ont encore totalement fermé le robinet du crédit.
Sans compter qu’un autre obstacle se dresse devant les emprunteurs : la baisse du taux d’usure, à savoir le taux annuel effectif global (TAEG) maximum au-delà duquel les établissements bancaires ne peuvent pas octroyer de prêt. Pour le deuxième trimestre 2022, les banques ne peuvent proposer un prêt avec un TAEG dépassant 2,40% pour les prêts à taux fixes d’une durée de vingt ans et plus, contre 2,41% auparavant.
Problème majeur : les taux d’usure sont fixés pour chaque trimestre par le ministère de l’économie à partir des taux moyens d’emprunt constatés sur les crédits décaissés au trimestre précédent, euxmêmes correspondant à des décisions prises le trimestre antérieur. Ce décalage de six à neuf mois entre la hausse des taux de marché et sa répercussion dans le temps est à l’origine d’un « effet ciseaux », qui pénalise certains profils d’emprunteurs, au premier rang desquels les primo-accédants et les profils les plus âgés. « Alors que le taux d’usure visait, à l’origine, à protéger les emprunteurs, il se retourne aujourd’hui contre eux », déplore Olivier Lendrevie.