Le prix de la différence
Samedi à Rome, le XV de France va brusquement rentrer dans le rang : rattrapé par le business qui s’affiche désormais sur le plastron des Bleus, avec le groupe Altrad pour soutenir le projet France 2023. En cédant au grand jeu du « Qui veut gagner des millions » comme tant d’autres l’ont fait auparavant, la direction fédérale a projeté son vaisseau amiral dans la normalité et, somme toute, l’indifférence. Il sera désormais trop tard pour vanter cette singularité dont nous étions si fiers et qui nous ressemblait tellement. Les temps changent, évidemment.
Nous ne cracherons pas dans la soupe. Et ne comptez pas sur nous, non plus, pour souligner la flamboyance qu’aurait eu le président Laporte s’il avait défendu la virginité de ce maillot qu’il n’a jamais porté après s’être levé face à son patron toulonnais pour défendre la cause des joueurs français contre ces étrangers-qui-bouchent-l’horizon-tricolore… Ne ricanez pas trop fort avec vos utopies, il serait injuste de considérer l’affaire sous le seul prisme du cynisme au regard de l’énergie déployée par « Bernie » depuis qu’il a coiffé sa casquette fédérale. Nouveaux ou anciens, ses combats seront toujours jusqu’au-boutistes.
Ceci dit, rien ne nous empêchera de considérer le piédestal « offert » à Mohed Altrad comme un drôle de message envoyé à la face du rugby pro. Ce monde qui, jusqu’ici, considérait le président montpelliérain tel un ambitieux prêt à tout pour connaître la gloire. Le candidat au rachat de Gloucester qui rêve d’un Bouclier de Brennus avec le MHR serait un trouble-fête, dérégulateur patenté du marché « rugby » au point de mettre tout l’édifice en danger. Trop simple, là encore. Altrad ressemblerait pour de bon à Guazzini, Boudjellal ou Lorenzetti, successivement décriés pour avoir repoussé des limites par ailleurs considérées impossibles à dépasser. Voilà le pouvoir de la transgression. Et, sans doute, par ricochet, l’expression des qualités de contorsionniste d’un milieu rugbystique archidoué pour adouber les anciens ennemis de la « famille ».
Tous n’y parviennent pas si l’on en juge les difficultés de Mourad Boudjellal à trouver sa place dans la mêlée malgré les titres accumulés comme autant de gages de respectabilité. Mais le président du RCT veut-il seulement entrer dans la norme, au risque d’être rattrapé par l’indifférence ? C’est ici tout l’antagonisme avec un Altrad animé par sa quête de reconnaissance et son besoin viscéral de renvoyer l’ascenseur à ceux qui l’ont aidé : Montpellier, la France, Saint-André, Laporte…
En venant au soutien de la candidature pour l’organisation de la Coupe du monde 2023, Altrad s’impose au-dessus de la mêlée alors que s’annonce musclé le conflit Ligue-Fédé autour de la libération des internationaux. Entre le marteau et l’enclume, il s’achète comme tant d’autres une forme de normalité qui ne l’empêchera pas d’avoir, un jour ou l’autre, à trancher. En attendant, il paraît emprunter les patins de Serge Kampf dans la peau de l’argentier providentiel du rugby français. Sauf que lui ne cache pas son nom et s’affiche tel un soutien de poids pour Laporte et le projet France 2023. Reste à savoir s’il fera également le bonheur des partenaires majeurs de la fédé, désormais contraints de partager le magot bleu.