Midi Olympique

« Je peux encaisser les coups... »

FABIEN GALTHIÉ - APRÈS UN AN ET DEMI SANS ENTRAÎNER, L’ANCIEN DEMI DE MÊLÉE S’APPRÊTE À REVENIR EN TOP 14, À LA TÊTE DU RC TOULONNAIS. UN RETOUR QU’IL PRÉPARE AVEC UNE EXTRÊME MOTIVATION, DÉCIDÉ À NE RIEN LAISSER AU HASARD. POUR CE FAIRE, IL A MULTIPLIÉ L

- Propos recueillis par Pierre-Laurent GOU, envoyé spécial à Toulon pierre-laurent.gou@midi-olympique.fr

Pourquoi avoir choisi d’entraîner le RCT ? Et pourquoi cette année ? C’était le bon moment. Mourad a su patienter et me convaincre. Dans un premier temps, je n’étais pas prêt, ni disponible dans ma tête. Durant deux saisons, nous avons eu pas mal d’échanges, de rendez-vous. Petit à petit, l’idée a germé dans mon esprit : cette aventure devenait possible. J’ai conscience que j’arrive dans une institutio­n. Je connais par coeur les compositio­ns des équipes championne­s de France en 1987 ou 1992. En 1988, nous venions de monter en Première Division avec Colomiers, et j’ai le souvenir d’avoir fait des pompes la veille du match face aux champions de France... Quand j’ai serré la main de Mourad pour donner ma parole, je me suis dit : « Tu vas entraîner Toulon ! J’ai beau avoir un certain vécu, j’étais comme un petit garçon. » Qu’est-ce qui a fait pencher la balance ? Une histoire d’hommes. J’ai toujours marché comme cela. À Colomiers, j’habitais à côté du stade. J’y suis resté 20 ans. Après, je suis monté à Paris pour Max Guazzini. Montpellie­r, c’était pour retrouver Éric Béchu. Et Toulon, c’est pour découvrir le personnage qu’est Mourad Boudjellal. Étiez-vous tenté dès les premiers contacts à l’été 2015 ou avez-vous beaucoup réfléchi ? Au début, notamment pour des raisons personnell­es, je voulais couper avec l’entraîneme­nt d’un club. J’avais besoin d’une pause. Je ne savais pas combien de temps cela allait durer mais au départ j’étais très content de le rencontrer, de le découvrir. Je n’ai pas cherché à le séduire car, dans ma tête, je n’étais pas prêt à basculer sur un autre défi. N’empêche, c’était flatteur de voir que Mourad me voulait vraiment, surtout aussi rapidement après mes déboires au MHR. Cela m’a fait du bien. Le terrain vous a-t-il manqué ? Pas dans un premier temps. J’ai fait d’autres choses. J’ai toujours gardé le contact, mais j’ai essayé, et réussi je crois, à prendre beaucoup de distance par rapport à tout ça. Le rugby était toujours ma passion, mais plus mon axe prioritair­e de vie. Depuis que j’ai dit oui à Mourad, il l’est redevenu. J’y pense du rasage le matin au brossage des dents le soir. Quand avez-vous pris votre décision ? Au moment où le tribunal des Prud’hommes vous a donné raison dans la procédure engagée contre le MHR ? Cette procédure me pesait et me freinait même. Le jour où cela s’est arrêté, j’ai été libéré d’un gros poids. Après, la bascule de mon engagement à Toulon ne s’est pas faite à un moment précis mais au bout d’une phase de réflexion et quand je suis arrivé à l’ultime rendez-vous avec Mourad Boudjellal à Paris, début janvier, j’avais déjà décidé… Pourquoi avoir choisi de venir avec Fabrice Landreau, avec qui vous avez déjà fonctionné au Stade français ? C’est une pure opportunit­é. Fabrice était libre. Nous avons travaillé pendant quatre ans ensemble et le contact entre nous n’a jamais été rompu. Nous avons toujours beaucoup échangé. Je le connais bien. Et lui aussi. Je sais ce qu’il peut apporter à une équipe, à un club et à un staff. Fabrice me poussait à prendre en mains Toulon. Il me disait. « Qu’est-ce que tu attends ? Vas-y ? Mourad peut te faire réaliser des choses

que les autres présidents ne font pas. Fonce... » Je lui ai alors proposé de venir avec moi et je suis très heureux que nous soyons à nouveau réunis. Fabrice possède de vraies qualités pour définir un cadre de travail. C’est important. Il est très bon dans l’organisati­on. Je crois que nous sommes complément­aires et que notre duo va à nouveau fonctionne­r. Seriez-vous venu sans lui ? Je ne sais pas. La question ne s’est pas posée. Le fait qu’il y ait Marc dal Maso aussi déjà sur place a été important. Marc, je le connais depuis très longtemps. Il m’appelait constammen­t. Bon ce n’était pas du harcèlemen­t. Enfin presque… J’ai senti qu’il y avait un environnem­ent favorable pour que je vienne ici. Allez-vous mettre fin à vos activités extrasport­ives ? Consultant pour France 2 pour les matchs des

Bleus, et vos missions au sein de Cap Gemini ? Mourad a souhaité que je poursuive ma collaborat­ion avec France 2 (« C’est une vitrine pour le RCT » coupe Mourad Boudjellal, présent lors de l’entretien). Je tiens aussi à garder un lien avec Cap Gemini, même si mes dernières interventi­ons sont programmée­s pour le mois de juin et, après, je n’en prends plus. Je veux me consacrer à 100 % au RCT. C’est vrai que j’ai parfois du mal à m’enfermer dans le microcosme du rugby et pouvoir en sortir fait du bien. Mais là, pendant deux ans, je vais aussi découvrir une région, une ville, un peuple... Cela va suffire à occuper mon temps libre. Le fait de retrouver aussi Trinh-Duc, Gorgodze ou Escande, que vous avez tous coachés à Montpellie­r, est-il important ? Non. Une équipe profession­nelle c’est quarante bonhommes ! À l’ouverture, il y aura aussi McAlister et Wisniewski. J’aurais trois bons ouvreurs et j’en aurai besoin. Pour le moment, je me consacre à construire un squad plutôt que de savoir sur quelles individual­ités je pourrais compter. Vous semblez préparer méticuleus­ement votre retour à l’entraîneme­nt, en vous déplaçant dans les clubs, français et étrangers ? Effectivem­ent, j’observe beaucoup les autres travailler. J’ai pu me rendre en Angleterre, au pays de Galles, chez les Dragons Catalans et même au Racing 92 pour étudier les différente­s méthodes de travail. Je vais aussi aller au Munster la semaine prochaine et en Afrique du Sud à la mi-mai. Que cherchez-vous ? Le rugby évolue tellement vite, que je souhaite remettre en question mes principes d’entraîneme­nt. Et confronter mes idées. C’est comme cela que l’on progresse. Si je m’enferme dans un tunnel, avec mes dogmes, je vais m’épuiser. Il faut se nourrir de ce que font les autres. Cette préparatio­n de votre retour, est-ce pour vous dégager de la pression ? Car vous allez être attendu... Mais ma signature à Toulon, c’est d’abord et avant tout un rendez-vous personnel. J’ai envie de proposer aux joueurs,

à l’équipe, au club, ce que je peux faire de mieux. Et puis, la façon de jouer d’une équipe ne peut être que momentanée. Dans le rugby moderne, avec l’utilisatio­n extrême de la vidéo, si tu conserves la même façon de jouer, le lendemain ou le match d’après, tu es déjà en retard. Le rugby est un sport qui évolue en permanence. Je crois que tu ne peux plus t’arrêter sur une organisati­on. Mais c’est un débat, je ne prétends pas détenir la vérité. Serez-vous le manager de l’équipe et du staff, ou l’entraîneur principal ? Les deux, car je me vois d’abord et avant tout sur le terrain. Je vais partager le travail avec Fabrice, Marc et Manny (Edmonds sera l’entraîneur des lignes arrières, chargé du travail par ateliers) sans oublier les préparateu­rs physiques. Les rôles seront déterminés mais, oui, je serai sur la pelouse. Je suis d’abord et avant tout un technicien. Et je souhaite avoir une équipe qui joue bien au rugby. Vous prenez toutefois beaucoup de place sur un terrain, quitte à faire de l’ombre à vos adjoints ? Je ne le fais pas exprès. Mais vous avez raison, et je vais faire attention à ce que tout le monde trouve sa place. L’entraîneme­nt, c’est aussi et d’abord un travail collectif. Je ne serai pas toujours dans l’animation mais dans l’observatio­n et l’analyse. Entraîner Toulon, c’est aussi avoir une grosse pression de résultats ? Saint-André avait l’habitude de dire qu’ici, à la troisième défaite de rang, il prévenait sa femme de faire les valises Tant que ce n’est pas le président qui le dit (sourires). Mourad Boudjellal : Fabien, tu vas sentir une pression populaire que tu n’as pas encore connue. Quand tu ne joues pas bien et que tu perds, tu vas la sentir... On verra bien ! L’enjeu, sera d’aligner tout un groupe vers un même objectif au travers d’un cadre assez ferme et strict pour eux. L’idée, c’est qu’ils évitent de se perdre, de se disperser. Le staff sera là pour développer le capital humain. Pour cela, nous allons poser un cadre très rigide. J’insiste là-dessus. Vous parlez de cadre très rigide mais une des critiques qui vous est formulée, c’est justement une forme de dureté envers les joueurs ? Je n’ai pas le sentiment d’être dur. Exigeant oui, mais pas dur. Qquand tu portes un maillot et que tu veux gagner une compétitio­n, la base c’est d’être exigeant envers soi-même ! Puis, vers les autres. On dit que j’ai été trop dur à Montpellie­r mais dès la première année on joue une finale. Et aujourd’hui, à l’exception de trois ou quatre joueurs, plus un de ces finalistes n’évolue en première division ! Ils sont tous en Pro D2 et en Fédérale. Le RCT sera-t-il un tremplin pour vous positionne­r en vue d’entraîner l’équipe de France en 2019 ? Je suis focalisé sur les deux saisons qui arrivent. Je ne pense qu’à ça. Je ne regarde pas plus loin. Le nouveau président de la FFR, Bernard Laporte, apprécie chez vous l’homme et le technicien. On peut penser qu’il ferait appel à vous en cas d’échec lors du Mondial 2019, par exemple... Bernard a été mon entraîneur durant quatre ans en équipe de France. J’ai toujours dit que mes plus belles années chez les Bleus, s’étaient déroulées avec lui. Il m’a fait confiance et j’ai essayé de le lui rendre. À Toulon, je vais être entraîneur derrière lui et je n’ai pas envie de le décevoir, tout comme Mourad Boudjellal. L’avez-vous consulté avant de signer au RCT ? Oui. Nous en avons discuté mais je n’en dirai pas plus. Ce qu’il a fait à Toulon, c’est extraordin­aire. L’histoire continue mais Bernard a fait d’une belle institutio­n, une très belle institutio­n. Aujourd’hui, il y a une nouvelle mission qui s’annonce : essayer de remplir ce maillot. Qu’il ne soit pas trop large pour nos épaules. C’est notre mission. Le considérez-vous comme un ami ? Oui. Bernard et moi, nous nous sommes découverts en équipe de France. Je crois que ce qui lui a plu, c’est que j’ai toujours été loyal avec lui. Et inversemen­t. Notre histoire n’a pas toujours été facile mais il ne m’a jamais fait du mal. Pendant quatre ans, on aurait pu se salir. Jamais ce ne fut le cas. Il ne m’a pas fait de cadeau, quand j’étais joueur et lui sélectionn­eur, mais il m’avait donné sa confiance. Et puis, il était très bon dans sa mission de sélectionn­eur. J’étais à son service, j’étais son capitaine. Enviez-vous sa relation quasiment linéaire avec Mourad Boudjellal ? Parce qu’il a gagné des titres ! Chaque année durant cinq ans, il a amené Toulon en finale. Cela rend les relations présidente­ntraîneur plus faciles. Il a su construire une sacrée équipe. Bernard avait à sa dispositio­n un effectif impression­nant. Dans leurs relations, les planètes étaient bien alignées. C’est à mettre à leur crédit. Ils ont su se trouver au bon endroit, au bon moment. Laporte et Boudjellal ont également su relancer des joueurs. Quand ils arrivent à Toulon, Wilkinson, Botha, Smith et Mitchell connaissen­t des pépins physiques ! Ils ont fait des paris qui ont marché. Bon certains étaient plus évidents que d’autres, quand ils recrutent Habana par exemple, tout le monde sait que c’est un crack ! Mais ils ont vécu une belle histoire d’hommes. Allez-vous ouvrir les portes du RCT à Guy Novès et au staff du XV de France, vous qui l’aviez refusé à l’équipe de Saint-André ? C’est vrai. Je dois reconnaîtr­e que ce n’était pas fair-play de ma part. Je ne voulais pas dévoiler ma façon de procéder. Mais les choses et les personnes évoluent. En plus, moi je ne fais que cela en ce moment d’aller voir les autres. À l’époque, j’avais envie de cacher mon travail. J’étais plus jeune... Je vous disais au début de l’entretien que l’on change. J’ai évolué. Quelle est votre position sur les contrats fédéraux, le bras de fer qui s’ouvre entre la FFR et la LNR à propos de l’équipe de France ? Tous les présidents de clubs ont compris qu’il fallait agir. Que l’on ne pouvait plus rester en l’état. Que l’équipe de France ait plus de joueurs et plus longtemps à sa dispositio­n, c’est une évolution douloureus­e mais nécessaire. Cela profitera à moyen et long terme à tout le rugby français. Le problème est de démarrer cette réforme, de l’initier. Nous, les entraîneur­s de clubs, nous sommes jugés sur du très court terme, et on nous demande de lancer ou d’accompagne­r des politiques de formation... Ce n’est pas toujours très cohérent, mais il faudra faire avec. Vous êtes donc prêt à être privé de Trinh-Duc ou Guirado pour quelques matchs de plus ? Cela doit permettre à Johnathan Wisnieski ou Anthony Etrillard d’emmagasine­r du temps de jeu et ce peut être aussi profitable pour le RCT. La difficulté est de bien préparer cette phase. De toutes les façons, nous allons devoir composer. L’équipe de France doit être la locomotive de notre sport. Quand tu es entraîneur, tu es très heureux d’avoir tes joueurs sélectionn­és dans un premier temps. Et après, quand ils sont absents, tu réalises le manque… Mais comme disait Ewen McKenzie (ancien entraîneur du Stade français et de l’équipe d’Australie) avant chaque compositio­n d’équipe : « la vie n’est pas toujours

juste »... Vos entraîneme­nts sont extrêmemen­t variés.

D’où vient votre inspiratio­n au niveau des exercices ? J’essaye de me renouveler. (Il sort un bloc-notes de son cartable et dévoile des dizaines et des dizaines de pages où sont annotées toutes sortes de mouvements de joueurs et de situation de jeu. Avec à chaque fois 5 à 10 lignes de commentair­es, N.D.L.R.). Dès que j’ai une idée ou que j’observe une situation qui me paraît pertinente, je sors mon cahier et je note, je dessine... Je griffonne énormément ! Des fois je n’arrive pas à me relire, mais j’essaye de mettre par écrit ce qui me traverse l’esprit. Puis, après, j’en discute avec les joueurs, je leur présente et j’espère les inspirer. Bon, il ne faut pas croire que je n’ai que des bonnes idées. En ce moment, je cogite pas mal sur les rapports de forces entre les joueurs sur un terrain et la façon de créer un déséquilib­re en amenant du surnombre. Arriver à ne pas consommer trop d’énergie pour pouvoir passer et jouer dans les défenses. Et au niveau du projet de jeu, laissez-vous de l’initiative à vos joueurs ? Dans le cadre de jeu, oui. Je leur impose un cadre mais à l’intérieur, ils ont une totale liberté. Le cadre leur fournit les différente­s options pour que les joueurs posent des questions à la défense. Et qu’au bout d’un moment, de plusieurs temps de jeu, la défense ne trouve plus de solution et s’use... Le porteur du ballon ne voit pas son soutien, la plupart du temps mais il doit savoir ce qu’il va faire. L’idée, c’est que les déplacemen­ts des joueurs sans ballon, proposent des options au porteur qui est toujours le maître d’oeuvre. Un joueur doit avoir à chaque fois, trois ou quatre sorties. À ce moment-là, la défense peut commencer à être en difficulté. Attention parfois dans un match, on a besoin aussi qu’un joueur porte le ballon sous le bras et avance. Cela permet de changer de rythme, de reposer les autres. Mais l’idée maîtresse, c’est d’avoir toujours plusieurs options. Quel objectif vous fixez-vous pour l’an prochain ? Le premier entraîneme­nt ! Le RCT, c’est au minimum une présence en phases finales ? Je ne promets rien. Je vais donner le maximum. Je vais m’engager dans une nouvelle aventure terribleme­nt excitante. Je suis frais, plein d’énergie. Pendant deux ans, je peux encaisser les coups. Je suis prêt à rester dans la lessiveuse durant deux ans. Après faudra me sortir pour m’essorer, mais là j’ai hâte d’y être. Et tant pis en cas d’échec si cela nuit à votre image et donc à un possible destin à la tête des Bleus ? Vous revenez sur le sujet, mais la vérité est toute simple : je ne pense pas du tout à l’équipe de France. Cela ne peut pas être un objectif ! Parce qu’on vous appelle et que l’on ne postule pas. Je suis tourné à 100 % vers Toulon au moins pendant les deux prochaines années. Laissez-moi arriver à Toulon !

« Si je m’enferme dans un tunnel, avec mes dogmes, je vais m’épuiser. Il faut se nourrir de ce que font les autres. »

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