« L’impression d’un immense gâchis »
Comment imaginez-vous ce derby ? Ce sera un match difficile car les deux équipes seront extrêmement motivées pour de nombreuses raisons. D’abord, après l’histoire de la fusion avortée, il y a probablement une rivalité un peu exacerbée. Ensuite, il y a surtout l’enjeu du match. Les deux équipes peuvent encore se qualifier. Le Racing a un petit avantage sur nous mais tout est possible. Craigniez-vous un match heurté ? C’est un derby ! Il y aura peut-être quelques échanges d’amabilités, il y en a souvent au cours de ces rencontres. Mais les joueurs savent aussi qu’ils doivent contrôler leurs nerfs, leurs émotions. Il y a encore des matchs à jouer après ce derby. Comment vivez-vous la situation sportive de votre équipe qui semble transformée depuis cet épisode de fusion ratée ? La saison n’était pas non plus catastrophique, nous n’avions perdu qu’un seul match à domicile avant l’épisode de la fusion. Mais il y a eu comme un électrochoc après cette période de grève et ce match déclic contre les Ospreys. Cette victoire à Cardiff a fait comprendre aux joueurs qu’ils étaient encore capables de jouer ensemble et de faire du beau rugby. Ça prouve que le rugby est un sport dans lequel les valeurs de sacrifice et de solidarité sont encore importantes. Malheureusement, quand on s’embourgeoise un peu, on a tendance à l’oublier. Cela vous rend-il amer ? Oui, il y a beaucoup d’amertume. Quand je vois l’équipe aujourd’hui, j’ai l’impression que les deux dernières saisons relèvent d’un immense gâchis. On m’a beaucoup dit que ce groupe n’était pas terrible, qu’il n’avait pas de qualité, qu’on n’avait pas assez recruté. On s’aperçoit que ce groupe n’est pas si faible que ça. Il a même de très bons joueurs et quelques belles valeurs quand elles veulent bien se révéler. Avez-vous été meurtri par certains commentaires ? Meurtri, c’est excessif. J’ai été déçu par certaines remarques mais surtout par le manque d’ouverture d’esprit et d’écoute. Il me semblait que j’avais au moins mérité le respect d’une écoute minimum et d’une bienveillance, ne serait-ce que passive. J’aurais dû avoir l’opportunité de pouvoir m’expliquer. Personne n’a voulu écouter, ni entendre, ni voir la réalité en face. Avez-vous le sentiment qu’avant cette grève, une forme de déresponsabilisation avait frappé vos joueurs ? C’est le propre du sport professionnel. Il arrive parfois que les joueurs s’occupent plus d’eux-mêmes, de leur carrière, de leur futur que de leur club. Ce projet de fusion a au moins eu le mérite de provoquer une prise de conscience. On a réussi à leur faire croire que le club allait disparaître. Ce n’était pas vrai mais ils l’ont cru quand même. Du coup, ils se sont approprié ce combat qu’ils ont transposé au terrain. Tant mieux. Mais il est de la responsabilité des staffs etdes dirigeants d’arriver à gérer, à motiver, à faire travailler ensemble des gens dont la tendance générale est plus tournée aujourd’hui vers l’individualisme. Ce n’était sans doute pas le cas il y a trente ans lorsque le rugby était amateur. Jules Plisson disait dimanche dernier des performances sportives actuelles du Stade français que c’était la meilleur « com » pour convaincre d’éventuels repreneurs. Vous confirmez ? Très franchement, je ne sais pas. Une qualification pour les phases finales, c’est surtout très bien pour les finances du club. Ensuite, il y a un principe de réalité. Les éventuels repreneurs vont regarder la situation financière, le modèle économique. C’est donc toujours mieux de gagner que de perdre, mais je ne suis pas sûr que ce soit déterminant. Justement, où en êtes-vous des négociations avec d’éventuels repreneurs ? Il y a des gens qui regardent et il est préférable de les laisser travailler en toute discrétion. C’est plus efficace. Le collectif des anciens joueurs semble en mesure de proposer un dossier de reprise le 4 mai prochain. On prendra une décision rapidement car nous sommes convoqués devant la DNACG le 11 mai. Où en sont les projets de reprise que vous pilotez ? Je ne pilote pas, j’essaie simplement d’aider les gens qui s’intéressent au dossier. Je mets à leur disposition les informations nécessaires. Mais je n’en dirai pas plus. Sinon que c’est une opération qui ouvre un peu les yeux sur la réalité du modèle économique du rugby en France et de tous les paramètres à intégrer pour diriger un club de sport professionnel. Partir sur un titre serait-il une revanche pour vous ? À partir du moment où l’équipe est en finale de la Challenge Cup, rêver d’un titre est légitime. Mais ce ne serait pas une revanche. Je n’ai de revanche à prendre sur personne. Décrocher un titre en cette fin de saison serait-il susceptible de vous faire changer d’avis ? Non, absolument pas. Le problème n’est pas de savoir si je prends du plaisir dans le rugby, si je prends plaisir à voir gagner le Stade français. Ça, c’est évident. Le sujet, c’est que j’ai proposé deux directions pour l’avenir du club et que presque personne ne m’a suivi. On m’a dit : « On préfère aller en Fédérale 1 plutôt que de fusionner ». On m’a dit : « On ne veut pas former des jeunes, on préfère avoir des stars. » Dont acte. Mais ce n’est pas ce que je veux faire. Mon engagement n’a donc plus de sens. Je ne serai plus au Stade français le 30 juin prochain.