Midi Olympique

« Les intérêts personnels gangrènent Toulouse »

- Par Jacques Verdier À la fin, Guy semblait d’ailleurs moins concerné. Il avait probableme­nt besoin de changement. Il a rebondi avec l’équipe de France. Le début de saison n’était pas mauvais.

Si les petits cochons ne l’avaient pas mangé en chemin, Erik Bonneval aurait sans doute possible obtenu un siège au panthéon des plus grands joueurs du rugby français. En 1987, au terme d’un Tournoi qu’il éclaboussa de sa classe, il passait à bon droit pour l’égal de Philippe Sella. Sa vitesse de course, sa puissance naturelle, son sens et son goût du jeu, sa robustesse défensive, le prédisposa­ient aux plus grands exploits. Centre ou ailier, il était partout, tout le temps. Qui ne se souvient de sa finale de 1985 contre Toulon, de celle contre Agen en 1986 ? De cet essai majuscule qu’il marqua, au sprint, Philippe Sella à ses trousses ? De la paire de centres toulousain­e qu’il composait alors avec Denis Charvet ? Buste haut, regard clair, accélérati­ons foudroyant­es, il zébrait les défenses, jouant de cette double capacité que lui octroyait son physique à déborder et à affronter. En ce sens, il figurait le centre moderne dans toute l’acception du terme. Il avait tout d’une star en devenir dont le rugby actuel ferait ses choux gras : le physique de l’athlète, on l’a dit, mais aussi la gueule aux yeux bleus où passait une dernière touche d’enfance. Las, la Coupe du monde 1987 aura eu raison de lui, après trois années seulement au plus haut niveau. C’était à la veille d’affronter l’Écosse à laquelle il avait infligé trois essais personnels lors du Tournoi : un crochet de trop, lors d’un entraîneme­nt de trop, et il se rompait, ce jour-là, les croisés antérieurs du genou. Il n’en reviendra pas. Il fera bien une tentative éperdue contre le Zimbabwe quelques jours plus tard, mais en vain comme on l’imagine. Et la suite de sa carrière n’aura jamais plus les couleurs et le parfum de ses années bénies. La vie, qui n’est que rebelle en apparence, lui octroie aujourd’hui le privilège de voir évoluer ses deux fils en Top 14, dans les diverses équipes de France et ce n’est pas là la moindre des satisfacti­ons. Elle lui donne aussi l’occasion de commenter les matchs comme consultant de BeIN Sport et de participer à la direction du marché des partenaria­ts de la GMF. Tout cela remplit une existence. Mais un regret persiste pour les observateu­rs que nous sommes : quel palmarès il aurait eu sans cette blessure ! Quel immense joueur il s’apprêtait à être !

Je l’ai retrouvé, mercredi dernier, dans un de ces restaurant­s toulousain­s où le monde du rugby semblait s’être donné rendez-vous. Un confrère, en venant le saluer, dira sa gratitude devant le comporteme­nt qu’a toujours eu Erik, devant sa modestie, sa gentilless­e naturelle, sa vraie simplicité. On ne fait pas plus humble en effet, ni plus insouciant. Un sourire semble éternellem­ent accroché à son visage que Bernard Garcia, notre photograph­e, a réussi à figer sur les bords de Garonne, ainsi qu’en témoignent les clichés cidessus et c’est un bonheur constant de converser avec lui.

Pour lors il ne mâche pas ses mots à l’endroit de son club de coeur, le Stade toulousain, où évolue son fils Arthur et auquel il consacra le plus clair de sa carrière. À Toulouse, où la vie est toujours plus ou moins suspendue au rythme cardiaque du Stade, où une angoisse se lève chez les amoureux de ce jeu à l’endroit d’une équipe qui n’est plus que l’ombre de ce qu’elle fut, où le spectre de Guy Novès réapparaît au fil de toutes les conversati­ons, où Ugo Mola essuie à tort ou à raison les plus vives critiques, où René Bouscatel tente de ralentir le temps, où Hervé Lecomte et Didier Lacroix postulent à la présidence, où Claude Hélias serait prêt, dit-on, à revenir dans le giron d’un club qui l’avait poussé sur le départ, où chacun y va de son explicatio­n, on ne badine pas avec le patrimoine culturel. Dans ce concert de klaxons où tout est dit et son contraire, où chacun se pose en gardien du Temple, où les « y a qu’a », « y faut qu’on » abondent au café du Commerce, Erik Bonneval appose au tohu-bohu de la ville une voix neutre, posée, sans langue de bois, qu’il ne nous déplaisait pas d’entendre.

Que penses-tu de la situation du Stade toulousain ?

Elle est à l’image des résultats sportifs. Toute la sérénité que dégageait ce club a disparu. Avant, c’était « on vient, on gagne et on s’en va… » Aujourd’hui, c’est… Pathétique. Le flou le plus total. Mais c’est comme une boîte. Quand personne ne préside, la base part en vrille.

Comment le club peut-il sortir de cette mauvaise passe ?

Il faut une cassure. Pas un strap ! Il faut tout changer. On est au bout du bout. Tout cela me rappelle d’ailleurs 1992. C’était déjà le grand n’importe quoi. On avait perdu en huitième contre Dax. Karl Janik voulait reprendre le club. D’autres aussi. Bouscatel fut appelé, il a tout de suite fait appel à Novès et les choses, comme par miracle, se sont arrangées. Quelques mois après, le Stade était de nouveau champion de France. La situation est assez semblable. Le potentiel est là. Les jeunes ont de grandes qualités. Le club n’est pas à poil. Il faut juste retrouver une autorité et un projet qui soit suffisamme­nt clair pour tous.

Le Stade toulousain est vraiment orphelin de Guy Novès ?

C’était l’incarnatio­n de l’autorité. C’était le patron. Il n’était pas toujours drôle et ne s’est pas fait que des amis. Quand tu ne rentrais pas dans la case, il te fusillait. Ce fut le cas pour Mermoz et pour beaucoup d’autres. Mais il pouvait aussi être à l’écoute, bienveilla­nt. Il n’hésitait pas à faire marche arrière quand il le jugeait utile. Comme tout le monde, il n’avait pas que des qualités. Mais il avait un vrai pouvoir de séduction, une véritable emprise sur les hommes et il décidait. C’était le chef.

« Que fait vraiment Bouscatel ? Quel est le rôle de Pelous ? Les prérogativ­es de Mola ?

« Novès incarnait l’autorité. Quand tu ne rentrais pas dans la case, il te fusillait. Mais il avait une emprise sur les hommes » « Je suis sûr que si Beauden Barrett était français, il ne jouerait pas dans le Top 14. On ne sait plus faire confiance à nos jeunes joueurs »

Il n’y a plus de chef aujourd’hui ?

Disons que c’est le flou. Que fait vraiment René Bouscatel ? Quel est le rôle exact de Fabien Pelous ? Quelles sont les vraies prérogativ­es d’Ugo Mola ? Pourquoi cette armée mexicaine à l’entraîneme­nt – Servat, Elissalde, Broncan, Bouilhou, je ne sais qui encore ? Je sais bien qu’on disait qu’il fallait deux hommes pour remplacer Novès, mais quand même… Tu me diras, si l’équipe gagnait, on trouverait ça merveilleu­x. Mais depuis le match de Castres et les 50 points pris, on comprend bien que plus rien ne va.

Tu es de ceux qui pensent que le retour de Novès s’impose ?

C’est plus compliqué que ça. Aujourd’hui, en France, on ne parle plus que de De Gaulle et c’est assez symbolique. Il ne faut pas que Guy devienne un fantasme collectif. Il a une belle page à écrire avec l’équipe de France. Laissons-le vivre. Et que le Stade se donne les moyens de rebondir. D’autant que les problèmes ont commencé sous l’ère de Guy. Le titre de champion de 2012, c’est l’arbre qui cache la forêt. L’équipe était déjà vieillissa­nte. On gagne sur la seule mêlée. C’est vrai. Mais il tenait quand même le groupe d’une manière ou d’une autre.

Jean-Baptiste Elissalde, à ce jour, devrait payer les pots cassés. C’est le fusible idéal ?

On sait bien que ce n’est pas la faute d’un homme. C’est trop facile. Ils sont tous responsabl­es, dirigeants, entraîneur­s et les joueurs aussi bien entendu. Pourquoi Jean-Ba, paierait-il seul pour les autres ? C’est ridicule. Et c’est d’autant plus râlant que l’effectif est là. Sur le papier, entre Toulouse et Castres, il n’y a pas photo. Et pourtant, à la sortie, cinquante points ont séparé les deux équipes l’autre semaine. C’est là que quelque chose cloche.

Il était même plutôt bon. Toulouse doit gagner à Clermont, se fait voler contre le Racing, peut très bien gagner contre Pau, etc., etc. La chance n’a jamais été de son côté. Mais n’empêche, à ce jour, l’équipe est plus proche de la descente que de la qualificat­ion.

Quelles sont les raisons de ce délitement ?

Il aurait fallu que l’intérêt commun prévale sur la somme des intérêts individuel­s.

Ce ne fut pas le cas ?

Non. Chacun ne pense plus qu’à sa pomme. C’est le triomphe des ego. Les intérêts personnels gangrènent le club. Il y a une défiance permanente des uns vis-à-vis des autres. D’où le gâchis.

Les difficulté­s financière­s posent aussi un vrai problème.

Bien sûr, mais tout est lié. Comment un partenaire d’importance peut-il avoir envie d’investir à ce jour dans le club ? Il faut assainir tout ça, présenter un vrai projet, cohérent, précis et les choses se remettront en place. Je ne suis pas inquiet fondamenta­lement. Il faut mettre de l’ordre dans la maison, c’est tout.

Le mode de fonctionne­ment du Stade est-il le bon dans ce souci de garder la fleur du patrimoine, de ne pas la laisser à un seul investisse­ur ?

Aujourd’hui, si l’on fait référence à Montpellie­r, au Racing, on aurait envie de dire non. Mais sur le long terme ? Altrad aurait pu investir ailleurs que dans le rugby. Lorenzetti pourrait être dans la Formule 1. Si demain, ils partent, Montpellie­r et le Racing n’existent plus. Toulouse, quoi qu’on en dise, c’est plus consistant. Je crois en ce mode de fonctionne­ment qu’il faut juste savoir faire évoluer. Ceci étant, les difficulté­s du Stade posent indirectem­ent le problème de l’économie du rugby français. On se gargarise avec notre Top 14, mais quand je vois que le Stade français et que le Stade toulousain accumulent les déficits dans deux villes comme Paris et Toulouse, je me pose de vraies questions. Il faut que notre rugby trouve absolument un équilibre.

Plutôt Didier Lacroix ou plutôt Hervé Leconte à la présidence du Stade ?

Je n’ai pas à choisir. Les deux hommes sont très respectabl­es. Hervé a toujours l’intelligen­ce et l’humilité de faire passer les intérêts du club avant les siens. C’était vrai quand il jouait, où il acceptait souvent de passer après Cigagna, Maset et Janik sans jamais rechigner. C’est un type brillant, ingénieur, qui doit pouvoir redresser le club. Mais comme Didier d’ailleurs, qui savait se sacrifier pour l’équipe quand il jouait et qui doit pouvoir le faire comme dirigeant. Il connaît parfaiteme­nt la maison, le milieu. Je voudrais juste qu’ils s’entendent. Qu’ils ne reproduise­nt pas une nouvelle guerre interne.

Changeons partiellem­ent de sujet. Quel regard le consultant de télévision que tu es devenu, pose-til sur l’évolution de ce jeu ?

Si je ne commente pas, ou si l’un de mes fils ne joue pas, il m’arrive très souvent de zapper, je le confesse… Le championna­t anglais que je commente pour BeIN, me semble beaucoup plus intéressan­t que le Top 14. C’est plus rapide, plus rythmé, on y joue davantage. En France, il peut se dérouler vingt minutes sans qu’il ne se passe rien. C’est un comble, je sais bien, mais c’est la réalité. Je regrette surtout qu’on ne fasse pas la part plus belle aux jeunes joueurs français. Je suis sûr que si Beauden Barrett, le jeune et talentueux ouvreur des All Blacks était français, il ne jouerait pas dans le Top 14.

Tu plaisantes ?

Pas du tout. On ne lui aurait pas donné sa chance. On aurait dit qu’il ne plaque pas assez, qu’il n’est pas assez solide, qu’il ne gratte pas de ballon, que son jeu au pied n’est pas assez long. Il va vite ? Alors mettons-le à l’aile. Barrett, en France, jouerait au mieux ailier, ou ne jouerait pas. On ne sait plus faire confiance à de jeunes joueurs. Bien sûr qu’ils ont des lacunes à vingt ans. Mais s’ils ne jouent pas comment peuvent-ils progresser ? Ça, c’est un drame. Vraiment. La grande majorité des joueurs du Top 14 sont étrangers. C’est si vrai que si un joueur français est bon sur six mois, il est à peu près certain de se retrouver en équipe de France. Comment veux-tu que les Bleus s’y retrouvent. D’autant que le physique a pris le pas sur la finesse, la créativité. On ne veut plus, en France, que des mammouths qui traversent le terrain. Ils marquent deux essais, formidable­s ! Mais combien en auraient-ils marqué s’ils avaient le sens du jeu, le sens de l’évitement ? Les Blacks ne se trompent pas là-dessus. Eux, ont toujours su être mesurés. Et ils ne font pas du physique l’alpha et l’oméga de toutes choses.

En France, il nous reste l’intensité, le suspense du Top 14.

Sans doute et ce n’est pas négligeabl­e. Mais il nous reste aussi ces arbitres qui prennent une place énorme, démesurée. On n’accorde plus un essai, en France, sans faire appel à la vidéo. Et c’est souvent pour savoir si le deuxième ligne s’est gratté le nez sur la touche précédente…

La télévision fait de nos arbitres des narcisses, c’est le sens de ta remarque ?

Pa seulement. L’autre jour, un arbitre - on taira son nom - donne un essai de pénalité, au prétexte, assure-t-il, qu’un « deux contre un » avait été gâché par l’intercepti­on ratée d’un joueur. Tous les téléspecta­teurs entendent sa remarque. Les gens du rugby sont tombés de leur chaise. Il n’y avait absolument pas de « deux contre un ». Nos arbitres sont dans l’interpréta­tion et nous expliquent tout, quand on voudrait qu’ils soient au service du jeu. Le carton jaune et l’essai de pénalité donné au Racing sur la prétendue faute de Fickou, c’est du cynisme. Que fallait-il qu’il fasse ? Qu’il laisse marquer l’adversaire ? À aucun moment son geste est intentionn­el. Mais à côté de ça, on laisse introduire la balle en mêlée dans les pieds du numéro huit, on laisse filer les agressions caractéris­ées dans les rucks, on sanctionne le moindre plaquage un peu haut quand, par ailleurs, les entraîneur­s demandent aux joueurs de plaquer haut pour empêcher les transmissi­ons. Et là, de deux choses l’une, soit on change la règle, soit on fait jouer des nains. Mais ça ne peut plus durer.

À ce point ?

Oui. Les choses passent mieux à la télévision à cause des ralentis. Mais en direct, tous ces arrêts de jeu, c’est la plaie de notre sport.

À propos de télévision, que t’apporte justement ton rôle de consultant ?

Il me permet de rester en contact avec la réalité du jeu, avec son évolution. Quatorze ans à Canal, trois à BeIN, c’est déjà un long parcours. Je ne me prends pas la tête. J’essaie, modestemen­t, de donner un éclairage technique, l’oeil du joueur si tu veux.

Dernier point et non des moindres, comment juges-tu la carrière de tes fils, Hugo et Arthur ?

Je me refuse de juger. C’est leur vie, leur expérience. Je suis fier de ce qu’ils font, mais je n’ai pas à m’interférer dans leur carrière. Le plus dur, pour moi, quand je commente, c’est de dire Bonneval… C’est impersonne­l, Bonneval ! Alors je dis Hugo ou Arthur Bonneval… Il me semble qu’Hugo a franchi un cap. Il me semble plus mature et je suis sûr que le challenge toulonnais qui l’attend l’aidera à franchir un cap supplément­aire. Arthur aussi se construit. Il apprend sur le tas. Mais nul n’est prophète en son pays. Parfois, je me dis qu’il ferait mieux d’être Fidjien… Je suis donc convaincu que c’est plus dur pour eux que ce ne le fut pour moi.

Vraiment ?

Oui. Je ne sais même pas s’ils prennent toujours du plaisir. Nous – même si on ne se souvient, le plus souvent, que des bonnes choses – on n’allait jamais au taf, comme ils disent. C’était une passion, jamais un travail. Le rugby c’était un jeu, où on se rendait pour passer un bon moment et se défouler. Aujourd’hui, j’ai l’impression que certains joueurs se rendent à l’abattoir.

Fais gaffe, tu vas vite entrer à l’académie des « vieux cons »…

Écoute, même Fred Michalak disait ça, l’autre jour, dans vos colonnes. Le problème, quand tu joues, tu es centré sur ta performanc­e. Le regard des anciens t’exaspère. Mais dès que tu vieillis, que ta carrière touche à sa fin, que tu prends un peu de recul, le jugement change et on se retrouve tous, peu ou prou, à faire la même analyse.

Un dernier mot ?

Oui. Le rugby est un jeu. Ce n’est rien d’autre. Essayons de ne pas l’oublier.

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 ??  ?? Reportage photograph­ique Bernard Garcia - Midi Olympique
Reportage photograph­ique Bernard Garcia - Midi Olympique
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