Avec le temps

Le temps bouffe tout. Le corps, l’innocence et la gloire. Surtout la gloire. Pour la génération qui vient, Blanco ne sera jamais qu’un col blanc un rien ventru, Dallaglio un consultant télé et Christian Cullen un joueur parmi d’autres sur les compilations YouTube. Parce que le temps, c’est aussi l’oubli. Pourquoi ces lignes ? Un sentiment, passé dans le week-end : qui se souvient encore qu’il y a dix-huit mois, Vincent Debaty disputait toutes les rencontres de la Coupe du monde pour la France, qu’il y défendait pas plus mal que les autres nos couleurs et que, même en cherchant bien, on ne saurait jamais lui reprocher une quelconque faute d’investissement. Oh bien sûr, il ne demeurera pas comme le plus grand gaucher que la terre ait porté. Mais la carrière du Belge, personnage ô combien attachant de ce Top 14, a de quoi faire bien plus d’envieux que de moqueurs. Et l’indifférence générale dans laquelle il quittera Clermont, dans quelques semaines, a de quoi interpeller.

Pour lui, comme un hommage que le rugby semble lui plaindre, on se souviendra de ses charges d’ogre, buste en avant pour balancer son coffre de 130 kg dans l’imprudence des défenseurs. Aussi de son abnégation à ne pas se contenter, ad vitam eternam, de ce titre honorifique d’impact-player qu’on passe comme une pommade aux joueurs incapables de tenir soixante minutes de jeu. Il avait fini par obtenir gain de cause, devenu titulaire, comme une preuve que le Belge n’était pas seulement un super mec, il était aussi un super joueur. Un acteur de toutes les campagnes clermontoises de l’époque Vern Cotter, nationales et européennes. Mais de tout ça, on ne se souvient pas toujours. Les blessures de l’âge l’ont rattrapé, l’appétit des plus jeunes que lui l’a grignoté. Et Vincent Debaty rejoindra Oyonnax, cet été, où il terminera certainement sa carrière. Dans une forme d’anonymat. « Avec le temps, va, tout s’en va » chantait Ferré. Et ce n’est pas toujours une justice.