COUSINS (TRÈS) ÉLOIGNÉS
CES DEUX PORTS - ATLANTIQUE ET MÉDITERRANÉEN - AUX IDENTITÉS TRÈS MARQUÉES, POSSÈDENT DEUX DES PUBLICS LES PLUS CHAUDS ET FIDÈLES DU RUGBY FRANÇAIS. MAIS, À L’HEURE DES RETROUVAILLES DANS UNE DEMI-FINALE QUI S’ANNONCE EXPLOSIVE, LES SIMILITUDES S’ARRÊTENT
Mourad Boudjellal a le sens des priorités. Sportives, économiques et populaires.Voilà pourquoi, fin 2016, il clamait déjà dans ces colonnes : « Les demi-finales auront lieu à Marseille cette année. Être au Vélodrome est une obligation morale pour Toulon. » Mais le président varois a surtout le sens de la formule et de la provocation, aussi affectives soient-elles. D’où son conseil aussi envieux que taquin adressé aux supporters maritimes, le 28 janvier dernier, quand ils étaient venus s’imposer à Mayol : « Avec le résultat de ce soir, si j’étais Rochelais, je réserverais déjà mon billet pour Marseille car ils sont moins chers si on les prend à l’avance. » Visiblement, le boss du RCT aurait aussi des talents de visionnaire. Enfin, si ce dernier assurait le week-end passé que même Stevie Wonder aurait vu un en-avant non signalé par M. Ruiz, nul doute que Gilbert Montagné aurait également parié sur la présence de la troupe de Uini Atonio dans le dernier carré. Ce même 28 janvier, il n’y avait que Gabriel Lacroix, dont seules la jeunesse et la réserve seraient retenues devant le tribunal de la mauvaise foi, pour se poser la question : « Est-on encore une surprise ? » Puis d’y répondre, avec la franchise d’un ado pris la main dans le sac : « Je ne sais pas. » Cela faisait belle lurette que le Stade rochelais n’était plus à classer au rang des coups de théâtre. Cette saison, le club charentais a pris la direction de la pièce pour en écrire le scénario et se tenir à bonne distance d’éventuels rebondissements. Là-haut, au sommet du Top 14, loin d’un Toulon empêtré dans un mélodrame permanent et le one man show de son président. Mais pour son plus grand bonheur, moins de 70 km séparent Mayol du Vélodrome et, si les plateformes de la SNCF sont saturées, il lui reste le covoiturage. Ce vendredi, il retrouvera le cousin rochelais pour un duel de feu. Les deux ports, méditerranéen et atlantique, face à face. Deux publics bouillants et fidèles. Deux identités marquées à l’excès. Deux euphories douces, lesquelles confèrent parfois à l’isolationnisme et flirtent avec la paranoïa.
CULTURE DE LA DISCRÉTION ET EXHIBITION ASSUMÉE
Pour autant, il convient de s’arrêter là pour ce qui est des ressemblances et autres convergences. Aujourd’hui, tout - ou presque - oppose les deux clubs. À commencer par leur actualité récente. Pendant que les Toulonnais, lesquels ont placé leur destin sportif entre les mains de Richard Cockerill ces dernières semaines, ont cravaché pour arracher un barrage à domicile puis pour venir à bout d’un Castres décidément tenace, leurs adversaires apprenaient les vertus de nouveau cador. À savoir un épilogue de phase régulière sans grande pression avant deux week-ends d’inactivité. Situation inédite et donc une parenthèse enchantée qu’il convient de gérer avec succès pour qu’elle le reste. D’autant plus qu’au contraire de Varois qui montent désormais en puissance (dans tous les sens du terme…) après des mois de doutes et même d’enlisement, les Rochelais ont vu leur état de grâce s’interrompre brutalement un soir de demi-finale de Challenge Cup, voilà un peu plus d’un mois, et une défaite à domicile face à Gloucester. Paradoxalement, dans la foulée, la victoire in extremis face à Montpellier a jeté un autre trouble quand le revers convaincant à Clermont a rassuré. Mais si un contraste a habillé les exercices du RCT et de l’ASR, il se mesure bien sur le terrain, au coeur des productions respectives. Le Toulon de Dominguez puis surtout celui de Ford ont (trop) longtemps bafouillé leur rugby avant de revenir aux ingrédients de base sous Cockerill : conquête, fixation, physique et pragmatisme. Cocktail qui, il est vrai, manque d’élégance pour les romantiques, mais a eu le mérite de ramener de l’efficacité et permis à cette équipe chancelante d’être toujours vivante. Certes, les partenaires de Vito sont tout aussi capables d’imposer un terrible rapport de force à leurs rivaux, de les écoeurer sur les fondamentaux de ce sport. Mais, à la différence de leurs frères ennemis, ils ont aussi brillé par la pureté de leurs lancements et leurs coups d’éclat au grand large. C’est d’ailleurs dans le jeu que ce Stade rochelais tolère les folies et autres fantaisies. Dans son fonctionnement interne, c’est l’inverse. Depuis des années et l’antichambre de l’élite, ce club se construit dans la continuité et la discrétion. Sans vague ni extravagance. Mais avec une constante hantise de l’intrusion extérieure. Aux antipodes de ce Toulon qui se bâtit et se renouvelle dans une excentricité quasi culturelle et une exhibition en tout cas assumée. Samedi, un seul des deux modèles arrivera pourtant à bon port.