ÉCHEC ET MATT
FIGURE INCONTOURNABLE DE NOTRE ÉLITE, LE ROCHELAIS N’AVAIT PAS CONNU CETTE RÉUSSITE DANS L’HÉMISPHÈRE SUD. OÙ MATT GITEAU L’AVAIT, SANS LE VOULOIR, POUSSÉ VERS LA FRANCE. RÉCIT.
Pour la dernière fois de sa carrière, sûrement, Brock James va croiser la route de Matt Giteau, ce vendredi, au Vélodrome. Un drôle de clin d’oeil du destin quand on sait à quel point le Wallaby a influé sur le cours de l’histoire de « Brocky ». Sans la concurrence de son cadet, l’enfant de Victoria ne serait sûrement pas devenu le troisième meilleur réalisateur de l’histoire du rugby français, avec environ 2750 points à son actif, à quelque trois cents pions de la référence Yachvili. Retour en arrière. Les trajectoires des deux Australiens, nés à un an d’écart, s’entremêlent dès les catégories jeunes : ils sont tous deux retenus pour la Coupe du monde des moins de 21 ans édition 2002. En Afrique du Sud, ils sont associés à la charnière, notamment lors de la demi-finale victorieuse. Pour la finale, Brock James est maintenu à l’ouverture mais le sélectionneur préfère Matt Henjak à Matt Giteau — devenus par ailleurs très proches — pour l’épauler. Un pari infructueux : l’Afrique du Sud s’impose 24 à 21. Jusqu’alors, les deux talents se trouvent sur un pied d’égalité. La carrière du cadet décolle soudainement : une première cape honorée en Angleterre en novembre de la même année et une saison complète aux Brumbies dans la foulée. Pendant ce temps, la carrière sudiste de Brock James ronronne, entre sélections à VII et exil contraint au pays du long nuage blanc, faute de trouver un contrat en Super Rugby. En 2004, Kieran Crowley, désormais entraîneur de Trévise, alors entraîneur de Taranaki en NPC, remarque ce polyvalent trois-quarts à la technique si pure : « Il jouait dans l’équipe de la province et je faisais du repérage pour la une. Dès que je l’ai vu, j’ai été frappé par sa vision du jeu, son sens de la stratégie et ses qualités de passe. C’était le cinq huitième idéal, capable de s’adapter à toutes les formes de jeu. »
« JE NE POUVAIS PAS GARDER GITEAU ET JAMES »
Sa première impression se révèle être la bonne : à l’automne 2014, Brock James tombe tous les records de la franchise : plus grand nombre de points sur un match — effaçant ainsi des tablettes un dénommé Kieran Crowley, plus grand nombre de transformations sur une rencontre et sur une saison. « Il gérait tellement bien le jeu de l’équipe. C’était intéressant de l’avoir sous mes ordres : il était très ouvert à la discussion et comprenait vraiment bien le jeu, se remémore le technicien néo-zélandais. Son jeu de passe, son adresse au pied et sa capacité à mettre ses coéquipiers dans les intervalles ont été très précieux. » En Nouvelle-Zélande, les franchises commencent à s’intéresser de très près à cet Australien méconnu. La Fédération néo-zélandaise calme leurs ardeurs : sélectionné avec le VII australien, Brock James risque fort de ne pouvoir être éligible avec les All Blacks. Donc veto. Point de dérogation.
Le fils de Jesse James, ancien international… à VII, trouve un point de chute aux Queesland Reds, à l’hiver 2005. Il doit s’y contenter de deux apparitions. Sa première véritable opportunité de briller en Super Rugby lui est offerte par John Mitchell, en poste à la Western Force, franchise nouvellement créée. « Son niveau de jeu avec Taranaki était remarquable : il contrôlait le rythme des matchs avec une telle aisance et son jeu au pied tactique était d’une grande précision, appréciait alors l’ancien boss des All
Blacks. C’était la meilleure option à l’ouverture pour bâtir notre équipe. » Six titularisations et dix rencontres plus tard, l’ouvreur se voit indiquer la porte de sortie. Son contrat n’est pas renouvelé. « Nous avions débauché Matt Giteau comme tête d’affiche. Il n’était pas possible de garder les deux dans l’effectif. C’était ma décision, je ne l’ai pas regretté », tranche John Mitchell. Mais que pouvaitil bien lui reprocher ? L’actuel sélectionneur des EtatsUnis se montre peu prolixe sur le sujet : « Brock James souffrait d’être constamment visé en attaque comme en défense et il avait du mal dans les duels, sur la ligne. Il faut dire que c’était sa première saison, comme que pour le collectif. » Kieran Crowley tempère : « Ce qui lui a toujours été reproché, c’est qu’il n’était pas un gros défenseur. Je suis d’accord sur ce point mais il y en a peu à son poste qui le sont… » Brock James ne jouera plus en Super Rugby. La non-venue de Camero Mc Intyre à Clermont et les souvenirs d’un match d’ITM Cup chez Vern Cotter lui permettent de rebondir miraculeusement en Auvergne, à l’été 2006. Le point de départ de sa véritable carrière où il sera amené à retrouver Matt Giteau, cinq ans après. « J’ai été surpris de ne pas voir Brock réussir en Super Rugby, reprend Kieran Crowley. Si j’avais été à la tête d’une franchise, je l’aurais installé mais bon… Je ne suis pas surpris qu’il se soit imposé chez vous. Il avait toutes les qualités pour. Jouer en France, derrière de gros paquets d’avants, avec un jeu physique, lui a permis de développer encore plus ses qualités. » Et la pression, le talon d’Achille persistant de Brock James ? « Je pense que les gens se focalisent trop sur les occasions ratées et oublient le reste. Il n’a plus à prouver
qu’il sait exister lors des grands rendez-vous », défend le Néo-Zélandais. Sous les yeux de Giteau et devant 70 000 personnes, Brock James peut réaliser, à 35 ans, un beau pied de nez au destin comme à son passé.