Midi Olympique

ON LE PENSAIT IMMORTEL

IL S’EST ÉTEINT À 84 ANS AU TERME D’UNE VIE PASSIONNAN­TE. MARCEL MARTIN ÉTAIT LA QUINTESSEN­CE DU DIRIGEANT MADRÉ, À LA FFR PUIS AU BIARRITZ OLYMPIQUE. SON INTELLIGEN­CE ÉTAIT SUPERSONIQ­UE.

- Par Jérôme PRÉVÔT jerome.prevot@midi-olympique.fr

Il y a une dizaine de jours, il nous avait annoncé lui-même la nouvelle : « Vous savez, je suis un peu coupé des informatio­ns, je suis hospitalis­é

depuis quinze jours. Ce que j’ai ? On ne sait pas justement… » Sa voix était pourtant parfaiteme­nt assurée et comme d’habitude, il avait décroché à la première sonnerie avant de prononcer le rituel : « Oui, Martin ! »

Il avait le sens des phrases claires, sans aucun bafouillag­e et sans aucun lapsus. Tout chez lui respirait l’efficacité et la lucidité de l’homme d’action, conscient des enjeux et des rapports de force. Mais Marcel Martin, c’était d’abord une gueule, un mec taillé pour jouer les « boss » dans un film noir, style « Quand la ville dort » de John Huston. On l’aurait aussi bien imaginé dans le film de Billy Wilder : « The appartment » et diriger d’une main ferme une grosse compagnie peuplée de centaines d’employés. Avec un Stetson, il aurait même pu interpréte­r un pétrolier texan.

MANITOU DE LA COUPE DU MONDE

Dans le milieu du rugby, il avait une image décalée, loin des clichés du notable jovial du Sud Ouest, justement parce qu’il avait été directeur financier chez Mobil, une compagnie pétrolière. Il y avait gagné une pratique courante de l’anglais qui serait son atout pour percer dans les arcanes de la FFR. On allait oublier… Il avait été aussi arbitre et il était Lot-et-Garonnais, autant d’atouts pour favoriser son ascension auprès d’Albert Ferrasse (mais aussi du mythique Charles Durand). Il commença par traduire les discours du patron de la FFR puis sa pratique de l’anglais lui permit de siéger à l’IRB et devenir un manitou de la Coupe du monde. Il fut à la manoeuvre des cinq premières éditions sans aucun complexe. Il était alors un homme très puissant, mais méconnu du grand public. Albert Ferrasse prit même un temps ombrage de sa réussite.

En 1998, nous l’avions rencontré dans sa maison de Hossegor et il nous avait expliqué : « J’ai organisé le Mondial depuis cette pièce, sans même une secrétaire. »

Un téléphone tout juste mobile, un fax, peut-être un ordinateur, lui avaient suffi à tout mettre en chantier avec, par-ci par-là quelques rendez-vous dans les salons feutrés des grands hôtels pour finaliser tout ça. Dans le milieu du journalism­e, il souffrait d’une réputation de rugosité. On disait de lui qu’il ne donnait pas d’informatio­ns spontanéme­nt mais qu’il testait ses interlocut­eurs d’une phrase lapidaire pour savoir s’ils maîtrisaie­nt leurs dossiers : « Qu’estce que vous voulez savoir ? » À vrai dire, nous n’avions jamais vraiment expériment­é le côté dur de sa personnali­té. Nous avions plutôt été confrontés à son intelligen­ce supersoniq­ue enrichie par une éducation à l’ancienne, garante d’une solide culture générale.

PROPULSÉ AU BO PAR BLANCO

Il n’avait pas toujours été un ange, loin de là, il avait par exemple « exécuté » les fameux masters du Stade toulousain sur ordre de Ferrasse. Moins de dix ans plus tard, il participai­t à la création de la Coupe d’Europe, puis, il avait échoué aux élections fédérales face à Bernard Lapasset. En 1998, quand il devint président

de la LNR, Serge Blanco, son cadet de vingt-cinq ans, lui demanda de présider Biarritz. « Citizen Martin » commença une seconde vie de dirigeant, en pleine lumière cette fois-ci. Il ne défendait plus une institutio­n, mais un club avec tout ce que ça comporte de polémiques au jour le jour et de prises de paroles fréquentes et de négociatio­ns serrées (les joueurs du BO se souviennen­t en souriant de la façon dont il leur parlait de leurs « IK », indemnités kilométriq­ues).

Il assuma ce rôle avec maestria, puisqu’il récolta trois Boucliers de Brennus et une - petite - Coupe d’Europe. Quand lundi, nous avons appris son décès, le premier sentiment qui nous est remonté, c’est qu’aucun sujet n’était trop grand pour lui. Ni trop petit. Marcel Martin aurait pu exercer bien des postes sensibles, il avait le sang froid, la déterminat­ion et l’intelligen­ce pour ça. Puis deux images nous sont revenues. Son discours et ses larmes, inattendue­s, après sa défaite de 1996 puis cette scène étonnante dans sa villa d’Hossegor. Il nous expliquait les coulisses de l’organisati­on des Coupes du monde, à coups de millions de dollars. Puis l’un de ses petits enfants qu’il gardait, s’était mis à pleurer. Sans cesser sa démonstrat­ion, il avait rapproché le couffin et d’une main, il avait longuement bercé le nouveau-né, qui, à mesure que son grandpère expliquait tous les enjeux commerciau­x les plus pointus, s’était endormi. L’ours et la poupée. Jamais l’efficacité de Marcel Martin, ne nous était apparue aussi flagrante. Les obsèques de Marcel Martin auront lieu lundi 29 mai à 14 h 30 à l’église Saint-Martin de Biarritz.

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