DÉTAILS PATRONS
BALAYÉS À PRETORIA POUR LE PREMIER TEST (37-14), LES BLEUS ONT NOTAMMENT SOMBRÉ DANS LE DÉFI PHYSIQUE. DÉPOURVUE DE LA MAJORITÉ DE SES ARMES INDIVIDUELLES, CETTE ÉQUIPE DEVIENT TRÈS VITE QUELCONQUE. CE QUE LE CONTEXTE DE LA TOURNÉE, BANCALE, N’ARRANGE EN
Pour les fous de rugby, la télévision sud-africaine fait bien les choses. Toute la journée, les chaînes sportives enchaînent les rencontres de Currie Cup, celles du Mondial des moins de 20 ans en Géorgie, quelques rencontres universitaires et, quand il n’y a vraiment aucun direct à se mettre sous la dent, elle propose des rediffusions. Si possible en rapport avec l’actualité. Cette semaine, on a donc pu se régaler du premier test-match entre les Lions Britanniques et les Springboks, au Cap en 2009. De la défaite de Bleus de 2010 mais aussi de la victoire historique de ceux de 2006. La dernière en terre sud-africaine (36-26). Et très vite, un élément saute aux yeux : cette équipe de France comptait dans ses rangs Vincent Clerc, Cédric Heymans, Yannick Jauzion, Damien Traille, Dimitri Yachvili et Thomas Castaignède pour les arrières. Thierry Dusautoir, Julien Bonnaire, Imanol Harinordoquy, Lionel Nallet, Serge Betsen, Jérôme Thion, Fabien Pelous, Sylvain Marconnet, Pieter De Villiers et Raphaël Ibanez pour les avants. Que des joueurs qui ont terminé leur carrière à plus de cinquante sélections.
Voilà donc la recette, quand on veut gagner en Afrique du Sud. Et c’est tout le péril qui attendait ces Bleus de 2017, éminemment plus tendres : celui de l’inexpérience. Cette équipe de France devait faire, on le savait, sans une dizaine de ses meilleurs joueurs : les Guirado, Slimani, Vahaamahina, Chouly, Lopez, Nakaitaci, Trinh-Duc, Lamerat ou Fofana, dont la place dans le groupe ne fait plus grand débat. Certains étaient blessés, d’autres laissés au repos six jours seulement après la dernière finale de Top 14. Si bien que, sur le terrain, on alignait huit joueurs à moins de quinze sélections au coup d’envoi (Poirot, Maynadier, Goujon, Ledevedec, Camara, Plisson, Vakatawa, Chavancy). Cinq autres sur le banc de touche (Boughanmi, Chat, Gourdon, Serin, Rattez). De quoi se faire légitimement un peu de mouron. Le problème ? C’est que les joueurs les plus en dessous de leur niveau réel, samedi, ont finalement été les cadres. Ceux qui, justement, devaient tirer cette équipe vers le haut.
29 PLAQUAGES MANQUÉS
Pour justifier de la contre-performance, réelle et copieuse samedi à Pretoria, quelques joueurs sont finalement revenus aux fondamentaux : les sacro-saints détails. Étonnante politique de l’autruche. Il paraît donc que les matchs de très haut niveau « se
jouent sur des détails ». Pour autant que cet Afrique du sud – France fut un match de très haut niveau, la masse des détails s’est franchement accumulée pour dessiner la victoire nette et logique des Springboks, samedi à Pretoria (37-14).
Les entraîneurs, au moins, avaient le bon goût de tenir un discours plus réaliste. Donc plus dur. « Les détails, ce n’est pas ce qui me revient à la bouche. La déception est dans sa globalité », pestait Yannick Bru après la rencontre. Comme 29 plaquages manqués, par exemple. Un sacré détail. La petite dizaine d’en-avant n’avait pas de quoi le ravir franchement plus. Comme la mêlée en souffrance, la touche défaillante dans les instants les plus importants, les ballons balancés au contact et les autres, jetés au hasard pour ce qui devait être initialement des passes. « On a été dominés dans les impacts, aussi bien individuellement que collectivement », assumait Novès, lucide, calme face aux micros. Sa colère, aussi froide que cinglante, il l’a gardée pour dimanche matin, dans la discrétion des entretiens individuels qui furent d’une tout autre tonalité. « Si je suis un extérieur à l’équipe de France, je me dis que le carton jaune nous a fait horriblement mal puisqu’il nous coûte vingt et un points. Mais de l’intérieur, je sais que nous avons été trop faibles dans l’engagement physique. Tout découle de là. Quand on ne répond pas présent dans l’engagement, ce n’est même pas la peine de parler de jeu. On ne se replaçait pas, on était percés très vite et trop facilement. On aurait pu prendre deux ou trois essais de plus. L’impression de laxisme me gêne parce que je ne me reconnais pas dedans ».
DEUX SEMAINES D’IMPRÉCISIONS
Pour comprendre ces trous d’air qui polluent encore régulièrement le parcours des Bleus, il faudrait certainement une psychanalyse. À moins qu’une analyse simple du potentiel de cette génération ne donne un premier indice tangible. Mais puisque les joueurs voulaient parler de ces « détails », loin du « naufrage physique et mental » qu’évoquait Yannick Bru, on peut se poser cette question. Celle des détails. Mais alors, de tous les détails qui ont jalonné ces deux semaines, depuis le départ de France du premier groupe.
On n’a jamais vu l’Angleterre ou la Nouvelle-Zélande, les nations dominantes du moment, prendre l’avion en deux groupes séparés pour cause de finale de championnat. Ce sont les joies du Top 14, infiniment long, qui use les organismes jusqu’à la rupture et qui n’a même pas le bon goût de livrer son verdict avant le début de la fenêtre internationale. Les autres nations, oh génie, se sont limitées à douze clubs pour leur championnat d’un côté, à une compétition de cinq mois de l’autre.
On n’a jamais entendu ces deux nations émettre l’idée d’une escale touristico-médiatique au milieu de l’océan, pour des journées de représentation de la marque. Certaines équipes de foot s’y aventurent, certes, mais jamais à une semaine d’une rencontre estampillée « test ». Fort de ces escapades, les Bleus ont eu le plaisir de perdre pour plusieurs jours Bruno Dalla Riva (préparateur physique) et Yoann Maestri, futur capitaine du premier test. Tous deux victimes de chocs septiques après le passage dans les îles de l’océan Indien, le premier a même dû passer deux jours à l’hôpital, à son arrivée en Afrique du Sud.
Voilà pour le contexte, qui ne justifie pas tous les comportements aperçus samedi mais peut tout de même expliquer quelques manques. Tout est bancal à souhaits, où le sportif vient après les enjeux politiques, que ce soit ceux de la Ligue ou de la FFR. Parce qu’il faut vendre le rugby français aux chaînes de télévision d’un côté, aux différents comités électeurs de l’autre, l’équipe de France vient après. Drôle de considération de cette « vitrine du rugby français » que tous vendent. Au détail.