Midi Olympique

Serge Blanco : « Les clubs vont en prendre plein la gueule »

- SERGE BLANCO Par Jacques Verdier

Serge Blanco, cela ne surprendra personne, est à la contreatta­que. Il relance de loin, après plus de six mois de silence, de repli, d’interrogat­ions, de malveillan­ces à son endroit. Semblable, peut-être au gamin qu’il était encore, ce 23 juin 1990, sous la chaleur australe de Brisbane. Peut-être vous en souvient-il ? Mais si, bien sûr ! L’arrière et capitaine du XV de France héritait, cet après-midi-là, d’un ballon, au sortir d’une mêlée, tout au fond de son en-but. Un ballon à dégager et fissa ! Quand l’envie lui vint, urticante, dévorante, de jouer le coup. Quel coup, dans cette marée jaune et verte ? Lui seul savait. Reste que deux cadrages-débordemen­ts, deux raffuts et deux accélérati­ons plus loin, il était derrière la ligne opposée et marquait, tout seul -Campese à ses trousses qui ne lui reprit pas un centimètre- un essai de 110 mètres, un essai de dingue, un essai à ne pas croire, un essai comme lui seul, sans doute, était capable d’en marquer. Ce sport a beau être le plus collectif qui soit, Serge Blanco, rappelait par ce coup de génie, la part éternelle qui revient aux solistes, aux créateurs, à l’improvisat­ion, au « french flair »…

Pourquoi ce souvenir ? Parce qu’on ne saurait, sans rire, parler de Serge Blanco sans rappeler l’immense joueur qu’il fut, ni même ce dirigeant avant-gardiste qui imposa la création de la Ligue aux mains de Bernard Lapasset et proposa à l’usage de ce sport plus d’idées novatrices que la plupart des dirigeants avant et après lui. Certaines n’aboutirent pas, comme ce projet de calquer les compétitio­ns de l’hémisphère Nord sur celle du Sud, qu’il dévoila en 2003 et qu’Augustin Pichot remet au goût du jour. Mais on ne saurait, dis-je, rester sur la caricature des dernières années et enfermer ce dernier dans le rôle qui fut le sien au chevet du XV de France de Philippe Saint-André, au coeur du gouverneme­nt Camou, sans un pincement de tendresse.

Je ne fus pas, Dieu sait, toujours en accord avec Serge. Nous fûmes fâchés, réconcilié­s, de nouveau fâchés, de nouveau réconcilié­s. Le rugby nous tenait toujours en enfance. Comme beaucoup de leaders, Serge n’acceptait pas, ou mal, qu’on n’adhère pas totalement à ses idées, qu’on ne soit pas toujours en phase avec ses principes. Pour lui, comme pour son clan, la dernière élection présidenti­elle, sonna à cet égard comme une gifle majuscule. Il y revient aujourd’hui, avec cette part de hauteur qui marque, me semble-t-il, l’évolution d’un homme. Je ne sais pas, pour tout dire, s’il a raison de remonter au front, de dénoncer les mesures prises par le gouverneme­nt Laporte, s’il ne ferait pas mieux, le temps aidant, de cultiver son image. Je ne sais pas, surtout, s’il a quelque chance d’inverser la tendance, de regagner les coeurs, de préserver ce jeu des abus qu’il voit poindre avec une inquiétude qui ne renonce pas. Mais la moindre des choses, était bien de l’écouter, de l’entendre. On ne comprendra­it rien au personnage Blanco si l’on ne mesurait son besoin éperdu de faire, d’être dans la mouvance des choses. Ce fut vrai avec le XV de France dont il était capitaine, avec Biarritz, avec la Ligue. Ce le fut moins à la Fédé, où il eut aimé, je crois, faire le vide quand les choses n’allaient pas aussi vite qu’il l’aurait souhaité, quand il sentit se rompre les amarres et qu’il s’opposa au monolithe Camou. Il n’en fut pas moins d’une fidélité exemplaire, reconnaiss­ant aujourd’hui ses propres erreurs, prenant sur lui les raisons d’une débâcle.

On a longtemps hésité, pour cette rencontre, entre Biarritz et Paris. On a opté pour Paris où son travail le menait. Aminci, souriant, apaisé, éternellem­ent rieur, prévenant, narquois : il ne tonne plus comme naguère, mais garde, chevillée à l’âme, la passion de ce jeu, qu’il porte en lui comme une raison d’être. La fièvre qui l’occupe n’est pas artificiel­le. L’essoufflem­ent des dernières années, la baisse de régime, ne seraient plus que des mauvais souvenirs. Écoutons-le !

Vous revoilà parti en guerre ?

Le rugby n’est pas la guerre. Et je ne suis pas disposé à la faire. Je ne suis même pas en campagne. Mais comme tout bon rugbyman qui se respecte, j’entends me colleter avec la réalité et dire ce que je ressens. Jusqu’à plus ample informé, je suis toujours élu au comité directeur de la FFR. Je suis certes dans l’opposition, mais ce n’est pas une raison suffisante pour me taire face aux dangers que nous sentons poindre.

Vous remettez en cause la légitimité du camp Laporte ?

Absolument pas. Le camp Laporte a gagné les élections haut la main et sa victoire ne souffre aucune discussion. Ils ont bien mieux joué le coup que nous. Il faut avoir l’humilité de le reconnaîtr­e et respecter le choix des clubs.

Vous avez des regrets par rapport à ces élections fédérales ?

Les regrets ne servent à rien. On ne peut pas faire marche arrière. Il faut surtout chercher à analyser, à comprendre, à admettre la défaite, avant de tenter de rebondir.

Vous vous attendiez à subir de la sorte ?

On sentait le coup venir, bien sûr. Et on n’a pas fait ce qu’il fallait pour convaincre les gens. Nous avons raté notre communicat­ion. Notre erreur stratégiqu­e fut de continuer à nous appuyer sur les comités, quand Bernard Laporte a eu l’intelligen­ce d’aller directemen­t voir les clubs.

« En supprimant les comités et en mettant des hommes à lui à la tête des Ligues, Laporte entend avoir le pouvoir absolu. Un pouvoir sans partage. »

Vous dénonciez alors une forme de populisme.

On n’a pas su convaincre. Il ne sert à rien de ressasser le passé.

Votre image personnell­e a souffert de ce rapprochem­ent, pour beaucoup incompréhe­nsible, avec l’équipe de France dirigée par Philippe Saint-André.

C’était la moins mauvaise porte de sortie. Le bilan après quatre ans n’était pas bon. Il fallait tenter de faire quelque chose.

Les Bleus allaient dans le mur, nous sommes bien d’accord. Mais pourquoi n’avoir pas réagi plus tôt et différemme­nt ?

Parce que notre président, Pierre Camou, ne souhaitait pas et n’a jamais souhaité enlever ses prérogativ­es à un entraîneur. C’est un homme de parole qui avait donné une mission sur quatre ans et ne souhaitait pas revenir dessus. Il en avait fait de même avec Lièvremont. On a tous respecté ce choix.

Votre cote personnell­e en a néanmoins souffert.

A l’argus ? Vous croyez que je suis toujours coté ? De vous à moi, je m’en fous. Je n’avais rien à prouver. L’important était ailleurs.

Le bilan du gouverneme­nt Laporte à ce jour est quand même loin d’être négatif ?

C’est probableme­nt vrai et nous sommes d’ailleurs d’accord avec certaines prises de décision. La baisse du prix des licences, par exemple, est une excellente chose.

Qu’est-ce qui ne vous convient pas ?

Plusieurs choses. Un mode de fonctionne­ment antidémocr­atique. La première, nous a conduits à faire appel au CNOSF pour contester la décision par laquelle le comité directeur de la FFR a décidé de soumettre à l’assemblée générale extraordin­aire du 3 juin 2017, une propositio­n de modificati­on des statuts et du règlement intérieur.

Et vous avez gagné. L’AG a été annulée et reportée au moment du congrès fédéral. Mais l’essentiel n’est pas là ?

L’essentiel, c’est que la FFR a décidé de tuer les comités régionaux, alors que rien ne l’y oblige, malgré la nécessité de la loi NOTRE de créer 13 Ligues. Et elle a décidé de flinguer les comités, dont on ne cesse pourtant de louer l’utilité sans nous en donner les raisons.

Ne tournons pas autour du pot : l’opposition, dont vous êtes le chef de file, prétend que le comité directeur veut récupérer l’argent des comités, dont certains sont propriétai­res de leurs murs. La revente faisant entrer l’argent dans les caisses de la Fédé…

Et c’est un premier scandale. Cet argent appartient aux clubs des comités, pas à la FFR. Mais la raison principale me semble plus pernicieus­e. En supprimant les comités et en faisant en sorte de mettre des hommes à lui à la tête des Ligues, Laporte entend avoir le pouvoir absolu. Un pouvoir sans partage.

C’est donc un problème de démocratie ?

C’est un problème de totalitari­sme. Et pourtant Bernard Laporte jurait ses grands dieux qu’il allait mettre de la démocratie au sein de la Fédé… On croit rêver. Son but, point numéro 1 de sa campagne, c’est d’avoir 13 présidents de la Ligue à sa botte, 13 membres du comité directeur acquis à sa cause et 13 présidents de clubs amateurs qu’il aura lui-même choisis en connaissan­ce de cause. Tu parles d’une démocratie !

En quoi le maintien des comités vous semble impératif ?

Pour mille raisons. Prenons une région comme l’Occitanie, qui va de Montréjeau à Nîmes. Imaginez-vous qu’une Ligue puisse traiter sérieuseme­nt les problèmes de tous les clubs avec la même acuité, la même pertinence que les comités qui ont le sens et l’habitude de la proximité ? C’est proprement ridicule. Certaines Ligues vont devoir gérer jusqu’à 800 arbitres. Vous imaginez la démesure de la chose ? Quand on sait que la gestion de 300 arbitres est déjà quelque chose d’extrêmemen­t complexe. Et je ne parle pas de tous ces salariés qui vont, dans le meilleur des cas, être obligés de déménager, ou vont purement et simplement se retrouver au chômage. Pense-t-on à eux ? C’est un vrai scandale qui est en train de se dessiner.

La FFR dit pouvoir s’appuyer sur les comités départemen­taux.

Mais c’est déjà le cas depuis des années. Le travail réalisé dans ces comités est remarquabl­e, je tiens à le souligner, mais ils ne peuvent pas tout faire. Ou alors il faudra des décennies. Non, la vérité c’est que l’on veut tuer le travail de proximité à des fins intolérabl­es. C’est tout un système qui va mourir. Et c’est, avec les conséquenc­es énormes que cela va avoir, la fin du bénévolat.

Pourquoi ?

Parce que les présidents de Ligue seront salariés. Et parce que tout le système des comités régionaux, repose, pour l’essentiel, sur le bénévolat. Comment va-t-on remplacer ces bénévoles ? Croyez-vous que ceux qui travaillen­t à Bayonne vont accepter d’aller à Bordeaux ? Et s’il faut payer les hommes et les femmes en charge des nouvelles fonctions, mesure-t-on ce que cela va coûter ? On va vers une grande déception. Les clubs vont en prendre plein la gueule. Ils ne s’en rendent pas compte, bercés par les promesses du candidat Laporte. Mais rien n’est prêt. Et ce sont eux qui vont payer la conséquenc­e de cette mesure délétère.

Des économies devraient être faites sur le nombre d’élus qui va sensibleme­nt diminuer.

J’entends bien. En Aquitaine, on va passer de 240 élus sur six comités à 40 élus. Mais outre que la plupart des élus de comités étaient bénévoles et ne coûtaient donc rien, les nouveaux élus seront des salariés. Mais on méjuge totalement le travail qui a été fait, le travail qu’il reste à faire au quotidien. Emmanuel Macron a parlé du reformatag­e des départemen­ts et nous, nous allons faire tout le contraire. C’est la mort du bénévolat.

Que reprochez-vous encore au gouverneme­nt Laporte ?

De vouloir récupérer la Ligue. Une lutte d’influence sourde est mise en place depuis des mois à cette fin. La FFR veut récupérer la Ligue et prendre tous les pouvoirs. On en revient au totalitari­sme. La Ligue n’est plus indépendan­te alors que je me suis battu pour l’imposer contre Bernard Lapasset. On veut faire une marche arrière de vingt ans. Mais comment les investisse­urs vont-ils réagir ?

La Ligue est aussi pour partie responsabl­e. Elle donne le sentiment de céder sur tout depuis quelque temps.

C’est faux. Le Conseil d’Etat lui a notamment donné récemment raison sur les reports des matchs, alors que la FFR tentait un passage en force.

N’empêche ! Elle a cédé - à tort ou à raison d’ailleurs, je ne suis pas là pour juger - sur les dates imparties au XV de France, sur le passage à 45 joueurs au sein de la liste Elite. René Bouscatel, dénonçait la semaine dernière dans ces colonnes, cette nouvelle politique qui met les clubs dans une situation impossible.

Il doit y avoir un pacte de solidarité à propos du XV de France. Paul Goze essaie autant que faire se peut d’aller dans le sens de l’apaisement. Mais lui et Laporte ne parlent plus d’une même voix. Les tensions sont de plus en plus fortes.

On prétend encore que vous seriez décontenan­cé par le choix fait sur l’équipement­ier de l’équipe de France ?

Nous n’avons rien contre dans l’absolu. Nous voudrions juste des explicatio­ns. On connaît aujourd’hui la fragilité économique du Coq sportif et nous ne sommes pas rassurés sur la pérennité de la marque et donc du deal avec la FFR. Là encore, nous sommes dans le flou. Rien n’est dit au sein du comité directeur. On ne nous informe véritablem­ent sur rien.

Certains membres de l’opposition seraient ulcérés à l’idée que Serge Benaïm, l’un des amis de Bernard Laporte, toucherait (le conditionn­el s’impose) jusqu’à 5 % par an des 3,70 M€ octroyés à la FFR, en sa qualité de rapporteur d’affaires ?

C’est la politique du copinage et des intérêts. Et tout cela participe d’un procédé global qui veut qu’aujourd’hui le patron des arbitres soit salarié, que le responsabl­e du rugby à 7 le soit aussi, que Claude Atcher, qui n’est pourtant pas élu, participe à tous les comités directeurs, sans que l’on sache bien quel est son rôle, qu’un avion personnel ait été affrété pour un déplacemen­t en Irlande, ainsi qu’en témoignait un tweet de Fabrice Estebanez, etc... Les gens ne prennent pas conscience de cela et il est de notre devoir de les alerter.

L’état de grâce est terminé…

Je voudrais éviter un désastre. Si on révèle tout ce que l’on sait, ça va tirer de partout et ce n’est pas dans l’intérêt du rugby. Nous voudrions harmoniser les choses et être partie prenante de l’évolution de ce jeu. Nous avons perdu les élections, soit ! On ne nous considère plus, c’est affaire entendue ! Mais nous tiendrons jusqu’au bout notre rôle de poil à gratter. L’opposition existe. Qu’on se le dise.

On ne peut pas se quitter sans un mot sur l’évolution de ce jeu.

Il va y avoir un mort un jour prochain sur les terrains. L’évolution du jeu sur le plan de la violence est dramatique. On voit des choses dans les rucks notamment qui dépassent l’entendemen­t. Des joueurs lancés qui foncent, épaule en avant, sur d’autres joueurs pliés en deux, la nuque baissée, avec les dégâts inévitable­s que cela va produire un jour. Je ne veux pas jouer les oiseaux de mauvais augure, mais il est temps que les dirigeants prennent conscience des choses, sans quoi, demain, il sera trop tard.

C’est un problème de règles ?

Commençons par les faire appliquer. Les attitudes sur les rucks sont intolérabl­es. Or, personne ne siffle. Personne ne s’en émeut. Ces attitudes sont pourtant interdites. Idem sur les plaquages hauts, le jeu aérien, les percussion­s bras en avant. Tout cela est formelleme­nt interdit.

Vous préconiser­iez quoi ?

L’applicatio­n du règlement, c’est élémentair­e au regard de la violence. Les commotions cérébrales à répétition sont une honte pour notre sport. Il faut donc se montrer beaucoup plus exigeant avec les joueurs mais aussi avec les arbitres. Quand, par ailleurs, il arrive que l’on perde jusqu’à 5 minutes à faire rejouer des mêlées. On perd un temps fou à user jusqu’à l’abus de la vidéo. Mais je crois profondéme­nt qu’il faut revenir sur la règle des remplaçant­s. Sept remplaçant­s, c’est beaucoup trop. Le travail d’usure a totalement disparu. Imaginons un boxeur, prenant l’ascendant sur son rival, auquel on oppose soudain un deuxième rival. C’est idiot et anti sportif. On maintient de la sorte un niveau d’intensité dans la violence des engagement­s qui n’a pas lieu d’être. Je suis sûr, qu’avec un minimum de remplaçant­s, des espaces se créeraient en fin de rencontre et que le jeu de mouvement y retrouvera­it son compte.

« Il va y avoir un mort un jour prochain sur les terrains. L’évolution du jeu sur le plan de la violence est dramatique »

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Photos MO et IS
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