L’EXPOSITION AUX REGARDS
Dernière finale, tournée des Lions en nouvelle Zélande et de la France chez les Springboks, le rugby continue à être exposé aux regards. L’ASM a gagné, les Clermontois auraient tout aussi bien pu perdre. C’est une juste récompense pour cette équipe qui, depuis pas mal de saisons, est à la recherche du meilleur rugby. Celui proposé en début de match est révélateur du défi que ce collectif avait bien l’intention de lancer à ses adversaires toulonnais. Le même d’ailleurs qui avait mis le Racing 92 à genoux en demi-finale. Entretenir mouvement, vitesse d’exécution et créativité tout au long d’un match est difficile surtout quand les adversaires ne partagent pas cette conception du jeu et proposent une stratégie antagoniste, plus directe, plus frontale. Le regard que l’on porte sur l’efficacité du jeu adverse ne doit pas, inconsciemment, diffuser des doutes quant à sa propre stratégie. La norme collective doit prévaloir quels que soient les aléas rencontrés (carton jaune et essai concédé dans la foulée). Certes, après vingt minutes magiques, le jeu clermontois a perdu de sa dynamique. Non par négation du jeu précédent, mais bien du fait de l’effet produit par le jeu toulonnais, qualifié de « simple » par leur entraîneur. En effet, il s’agissait bien d’utiliser la puissance individuelle des uns et des autres pour avancer mètre par mètre, jamais très loin des points de fixation. Les capacités de ce collectif à conserver le ballon lui permettant de bénéficier de pénalités… Il est quand même dommage que le potentiel des joueurs de la rade ne soit pas exploité de manière plus riche. Le sousemploi de ses forces, tactiques et techniques, n’autorise pas d’aller vers un style plus entreprenant, attirant, porteur des caractéristiques modernes d’un rugby qui incite à l’audace et donnerait un sens plus large à la notion de résultat. En accordant la priorité à la dimension physique, Toulon a quand même perdu. Cette vision en phase avec ce que l’on attend d’un spectacle sportif a été trop négligée par Toulon. Regrettable. J’ai du mal à croire que ce rugby puisse faire vibrer ces joueurs talentueux.
De leur côté, les Lions ne rugissent pas très fort en nouvelle Zélande (deux poussives victoires et une défaite). Mais plus que les résultats, le jeu de tous leurs adversaires a déjà révélé la profondeur du rugby kiwi. Il n’y aura pas de matchs faciles. Les meilleurs Britanniques et irlandais trouveront en face d’eux des franchises possédant une grande homogénéité du point de vue des modes de conception du rugby. Dans le cadre d’une aire culturelle commune, le jeu des All Blacks diffuse depuis toujours à tous les niveaux de la pratique. C’est encore plus vrai aujourd’hui de par la prépotence de leur équipe nationale. Les Lions vont chaque fois se heurter à des joueurs qui surferont sur cette dynamique, les autorisant aussi à augmenter leur sentiment de confiance avec le supplément d’estime de soi que cette confiance génére. Le jeu plutôt libéré des Lions lors du match difficilement gagné contre les Barbarians a, par réaction, conduit contre les Blues et les Crusaders à rechercher beaucoup plus l’affrontement que les espaces. Les Lions devront choisir un style et s’y tenir. Le premier test nous permettra d’avoir un avis plus pertinent sur les options de jeu choisies par Gatland et son staff. La défaite du XV de France ne va pas manquer d’entretenir les interrogations sur le jeu choisi. À l’image de leurs dernières productions que j’ai toujours qualifiées d’encourageantes, les Bleus qui cherchent à s’appuyer sur la dynamique des mouvements collectifs restent encore en phase d’exploration du jeu recherché. Les mouvements collectifs ont encore beaucoup trop échoué et ont profité à l’adversaire. Préparer ce collectif, à lire, s’adapter et répondre à toutes les situations mouvantes qui se présentent, implique des joueurs capables de polyvalence d’action (suppléance) une compétence qui n’est pas encore à la disposition de tous. Pour développer ce jeu juste et cohérent, il faut des références communes. Le jeu du porteur de balle doit devenir le jeu des partenaires. La même lecture du jeu, son analyse à la vitesse du moment, permettront l’ajustement des décisions individuelles au près et loin de l’action. Du coup, les réponses techniques deviendront adaptées et correctement réalisées. Il peut être étonnant de noter à ce niveau de pratique que la compréhension du fonctionnement du jeu global se pose. S’il suffisait de déterminer de manière rationnelle les manques du XV de France pour gagner… Il serait alors commode de croire qu’en travaillant régulièrement les uns après les autres les problèmes rencontrés, le jeu collectif s’en trouverait affecté positivement et les résultats suivraient. Mais le rugby recherché par Guy Noves et son staff implique d’abord de maîtriser les principes d’action qui gèrent le mouvement dans son ensemble, ses formes et leur alternance. Curieusement, dans ce match les Sud-Africains furent bien les plus à l’aise.