Midi Olympique

« On s’est vraiment éclaté »

MATT GITEAU - Ouvreur ou centre de Toulon MERCREDI DERNIER, LE WALLABY DE 34 ANS AUX 103 SÉLECTIONS A ACCEPTÉ D’ÉVOQUER SON DÉPART ET DE REVENIR SUR SES RICHES SIX ANNÉES EN ROUGE ET NOIR.

- Propos recueillis par Vincent BISSONNET vincent.bissonnet@midi-olympique.fr

Comment vous sentez-vous, aujourd’hui, trois jours après avoir disputé votre dernière rencontre en rouge et noir ? Nostalgiqu­e ? Encore sur le coup de la déception ?

Ça va, je suis à la maison, avec ma femme et mes enfants. C’est vrai que les souvenirs commencent à se bousculer. Tout a une fin, je le savais et je m’y étais préparé. Mais ça fait tout drôle de se dire que je ne porterai plus le maillot de Toulon. C’est un sentiment confus, entre la nostalgie d’une époque qui se termine et l’impatience de commencer une nouvelle aventure.

Revenons brièvement sur la finale. Quel souvenir vous laisse-t-elle ?

C’est dommage, nous avons échoué de si peu. Sur la dernière action, j’ai cru que l’arbitre allait siffler une pénalité pour nous dans le ruck… Mais ça n’a pas été sa décision. Ça devait se finir ainsi. Je tiens à féliciter les Clermontoi­s. Ils ont souvent été très proches de gagner et n’ont jamais baissé les bras malgré les désillusio­ns. Ça leur sourit enfin. Ils le méritent. Je suis très déçu de ne pas partir avec un titre mais en tant que compétiteu­r, il faut l’accepter, c’est la loi du sport. Nous avons eu notre lot de succès par le passé, c’était leur tour…

Comment avez-vous vécu ces derniers mois ?

La fin de l’aventure toulonnais­e a été étrange, en quelque sorte. J’ai été entraîneur de mes partenaire­s sans rien demander, j’ai dû m’impliquer en dehors tout en fournissan­t beaucoup d’efforts pour revenir en forme. C’était inattendu comme dénouement. Quand le coup de sifflet final a retenti, au Stade de France, j’étais comme vide. Je n’arrivais pas à réaliser que c’était fini, que je ne jouerai plus en Top 14. C’était troublant. Avec le recul, je prends conscience de tout ce que j’ai vécu et je suis plus que jamais fier d’avoir fait partie de cette équipe. Cette saison, encore, même si ça a été dur, elle a su se relever et aller presque au bout.

Remontons le temps. Quel était votre état d’esprit quand vous avez posé le pied à Toulon, à l’automne 2011 ?

C’était le dépaysemen­t total avec une nouvelle langue, un nouvel environnem­ent… Je me rappelle que, après les entraîneme­nts, j’allais accompagne­r ma femme dans les magasins car elle était un peu perdue. Les premières semaines étaient d’autant plus particuliè­res que nous attendions notre premier enfant (Levi, né le 1er janvier 2012, N.D.L.R.). Le club et mes coéquipier­s ont alors été d’une très grande aide pour préparer son arrivée. Une fois qu’il était avec nous, ils ont encore été présents. Ce soutien a beaucoup compté à mes yeux. C’est aussi pour cette raison que j’ai voulu rester aussi longtemps dans ce club.

N’avez-vous jamais regretté votre décision de venir en France ?

Non, pas une seule seconde. Ça a dépassé tout ce que j’aurais pu espérer. Imaginez donc : j’ai gagné le Top 14 et trois Coupes d’Europe. J’étais venu dans l’espoir de gagner des titres mais je ne m’attendais pas à en remporter autant. Puis, j’ai retrouvé le maillot des Wallabies. En venant en France, je n’aurais jamais cru retrouver ma sélection ni disputer une autre Coupe du monde… Il y a eu cette réussite sportive et tout le reste autour : mes enfants sont nés ici (Kai James, le deuxième, en novembre 2013), ma famille s’est construit des souvenirs inoubliabl­es à quatre et j’ai rencontré de super mecs qui sont devenus des amis. Ici, j’avais tout pour être heureux. Toulon m’a offert les plus beaux moments de ma carrière et de ma vie, même.

Qu’est-ce qui explique le parcours de votre équipe ?

A la base, il y avait plusieurs internatio­naux et de grands joueurs venant de droite et de gauche. Le plus grand succès est d’avoir réussi à bâtir un véritable collectif à partir de ces noms. Il y avait du talent mais j’ai découvert des personnes derrière. Des amitiés se sont nouées dans ce vestiaire et j’espère qu’elles dureront longtemps. Ça dépasse le cadre du rugby. L’atmosphère était vraiment unique car, à côté de cette complicité, il y avait aussi une vraie culture de la gagne. Avoir des joueurs comme Jonny Wilkinson, ça aide, il faut dire… Il se dégageait une grande confiance de cette équipe, dans sa préparatio­n comme dans sa manière de jouer. Ce groupe avait une grande foi en lui.

Le Top 14 est perçu comme un championna­t très physique où le jeu est relativeme­nt restreint. Avezvous pris autant de plaisir en France que dans l’hémisphère Sud ?

Je pense même ne jamais avoir pris autant de plaisir qu’en France.

Vraiment ?

Oui, j’adore le Super Rugby, j’y ai fait mes classes et je me suis régalé. Mais le rugby qui est pratiqué en Top 14 ressemble plus à ce qui se voit au niveau internatio­nal, dans la stratégie et au niveau de la pression du résultat. Ici, on prend les trois points alors qu’en Australie, tu cherches surtout à marquer des essais et à être spectacula­ire. C’est sympa mais ça n’a pas la même saveur. Et puis, vous avez un gros avantage en France : vos stades sont remplis. Vos supporters savent mettre une si bonne ambiance autour des rencontres. L’atmosphère n’a rien à voir.

Quel joueur vous a le plus impression­né en Top 14 ?

J’ai une telle confiance en mon équipe que si je devais choisir un joueur, ce serait forcément au sein de ses rangs. Mais franchemen­t, c’est trop dur. Je ne me vois pas trancher entre Jonny, Drew et les autres. Il y a eu tant de grands noms. Désolé, je ne peux pas.

En tout cas, Bernard Laporte disait, il y a quinze jours, dans ces colonnes : « Matt Giteau est peutêtre le meilleur joueur que j’ai entraîné… »

Il a dit ça ? Je suis flatté car il a eu beaucoup de rugbymen de talents sous ses ordres. Il n’était pas en train de boire quand il a dit ça, vous êtes sûr (rire) ? C’est réciproque en tout cas. J’ai un grand respect pour Bernard. Il a cette rare capacité à tirer le meilleur d’un groupe. J’ai connu de très bons entraîneur­s dans ma carrière, il en fait partie.

Qu’est-ce qui vous aura le plus surpris, au quotidien ?

Je dirais les rapports entre les gens. Vu d’Australie, avec leur accent et leur manière de parler, les Français peuvent paraître arrogants. Mais ce n’est qu’une étiquette collée de loin… J’ai été étonné par la gentilless­e des gens. Ils ont toujours été prêts à aider ou à filer un coup de main quand moi ou ma famille en avons eu besoin. Ça a rendu mon expérience française encore plus agréable.

Qu’est-ce qui restera le meilleur souvenir sur le terrain ?

Je dirais notre doublé, en 2014. C’était tellement fort. Il y avait cette sorte d’accompliss­ement sportif et le départ de Jonny Wilkinson dans le même temps. Il y avait une telle volonté au sein du groupe de lui offrir les deux titres. C’était un moment très spécial où tout était réuni.

Et en dehors des terrains ?

Je dirais les troisième mi-temps avec Drew à boire des coups. C’était tellement fun. On s’est vraiment éclaté… (rire) Mais en tant que père de famille, ce n’est pas la réponse appropriée. Le plus marquant restera la naissance de mes deux fils, assurément. Cela fait partie de tous ces moments en dehors des terrains qui ont marqué mon passage.

Vous et Drew êtes réputés pour votre capacité à mettre de l’ambiance dans un vestiaire. Quel est le meilleur déconneur entre vous deux ?

Moi !

Sérieuseme­nt ?

Non. Drew est imbattable. A tout moment, il peut frapper. Il arrive toujours à se renouveler.

La première blague de Drew qui vous vient à l’esprit…

Je me souviens d’une fois où, pour une émission télé, il s’était déguisé en bébé avec une couche et se roulait sur la pelouse en criant : « Je veux mon papa, je veux mon papa ! »

Franchemen­t, cette fois-là, c’était plutôt embarrassa­nt (rire). Il était allé trop loin.

Vous allez devoir apprendre à vivre sans lui…

Ce n’est pas parce que nous ne sommes plus coéquipier­s que l’amitié va se terminer. Je suis persuadé que nous garderons le contact, avec Internet, et que l’on se reverra régulièrem­ent… Le lien ne sera pas rompu. Comme il ne l’avait pas été avant de se retrouver à Toulon.

En parlant de personnage­s atypiques, un mot sur Mourad Boudjellal. C’est un président unique au monde, non ?

Heureuseme­nt qu’il l’est (rire)… Plus sérieuseme­nt, il a été à la base de tous les succès du club. Son soutien a été très précieux. Il a su s’entourer des bonnes personnes, recruter les bons joueurs, former les bons encadremen­ts… Je le remercie de m’avoir attribué sa confiance, de m’avoir donné cette chance.

Quel est votre programme, maintenant ?

Nous partons le 27 juin de France. Je vais couper quelques semaines avec ma famille. Et puis, après, ce sera direction le Japon.

Pourquoi avoir décidé de rejoindre la Top League ?

J’avais encore une année prévue dans mon contrat. C’est une décision familiale par rapport à l’école de mes enfants, au fait

que j’aurais plus de temps pour m’occuper de ma famille car il y a plus de périodes de repos… J’avais aussi envie d’une nouvelle expérience. Nous sommes une famille de globe-trotters maintenant. Je suis très curieux de la culture et de l’environnem­ent japonais. George Smith, un de mes amis que je vais rejoindre aux Suntory Sungoliath, m’en a dit du bien.

Il faudra donc attendre avant de vous revoir sur le banc du RCT comme entraîneur ?

J’attends de signer le contrat mais Mourad ne me l’a pas encore transmis (rire)… Une fois que j’aurai signé, je pourrais éventuelle­ment revenir (rire).

Et sérieuseme­nt ?

Les gens me demandent si je reviendrai. Je dis peut-être. Pour les vacances au moins. Il ne faut jamais dire jamais. Je sais que Toulon va énormément me manquer. Mais je veux vivre chaque challenge à fond et dans le bon ordre. Ça va être le Japon désormais. Je ne veux pas me projeter au-delà. Pour la suite ? On verra.

Mais concrèteme­nt, devenir entraîneur fait-il partie de vos plans ?

Je ne suis pas sûr de vouloir entraîner. Je verrai quand je raccrocher­ai.

Jusqu’à quand espérez-vous jouer ?

Je veux continuer deux ans. J’ai eu une succession de pépins physiques ces derniers temps et je n’ai pas autant joué que j’aurais voulu. Mais c’est derrière moi désormais. Je retrouve des sensations et j’espère être en pleine possession de mes moyens pour pouvoir m’éclater en Top League.

Craignez-vous la fin de carrière qui se profile à l’horizon ?

Oula… Quand ça viendra, je pense que j’aurai des manques, c’est sûr. J’aime tellement ce jeu. Alors, pour l’heure, je savoure à fond. Quand je regarde en arrière, je me rends surtout compte de la chance que j’ai d’avoir eu un tel parcours. J’ai vécu tant de bons moments avec l’Australie, Toulon, les Brumbies, la Force. J’ai été béni d’une certaine manière.

Le rugby australien traverse une petite crise. Quel est votre regard sur cette mauvaise passe ?

Je suis un supporter, avant tout, de ma sélection et de nos clubs. Je suis positif : je vois qu’il y a de très bons jeunes qui percent, je vois qu’il y a des projets pour l’avenir même si tout n’est pas simple… Je ne suis pas inquiet, il y a des ressources pour rebondir.

Et devrions-nous nous soucier pour le XV de France ?

Quand je vois comment un jeune aussi talentueux que le petit Anthony Belleau a soudaineme­nt percé, je ne me fais pas de souci pour vous. Votre sélection sera entre de bonnes mains. Puis, je le redis, je trouve votre championna­t d’un très bon niveau et formateur.

Dernière question : aimeriez-vous voir vos enfants devenir rugbymen plus tard ?

Je ne veux pas être le genre de père à imposer des choses à ses enfants. Pour le moment, ils préfèrent le foot. Peutêtre choisiront-ils le rugby après, je ne sais pas… Dans tous les cas, je ne serai pas sur leur dos ou au bord du terrain à leur crier dessus. Ils auront toute leur liberté.

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