Midi Olympique

Mourad Boudjellal

LE PATRON DU RCT A ACCEPTÉ L’IDÉE D’UN ENTRETIEN CROISÉ AVEC BERNARD LAPORTE. L’OCCASION POUR LUI D’AFFIRMER SES AMBITIONS ET DE MARQUER SES DIFFÉRENCE­S.

- Propos recueillis par Pierre-Laurent GOU, envoyé spécial pierre-laurent.gou@midi-olympique.fr

« Avec Galthié et ce staff nous sommes partis sur un nouveau cycle d’au moins deux ans (...) Si le président de la FFR ne me chipe pas Fabien. » Mourad BOUDJELLAL « Je ne prendrai pas Fabien Galthié, ou qui que ce soit d’autre, en cours de saison. » Bernard LAPORTE

Mourad Boudjellal, êtes-vous heureux de voir le feuilleton Fekitoa enfin terminé ? Fabien Galthié demandait des renforts en trois-quarts, il a obtenu gain de cause…

Mourad Boudjellal C’était plus que des doléances de sa part ; il s’agissait d’une exigence justifiée. Il nous fallait renforcer l’équipe derrière, en quantité et en qualité. J’ai essayé de faire ce qu’il fallait pour qu’il bénéficie d’une équipe compétitiv­e. Fekitoa est un très, très gros joueur. C’est le genre de dossier que j’adore réaliser, même si c’est de plus en plus difficile, en raison de la concurrenc­e des autres clubs et des contingenc­es du Salary Cap.

Combien coûte Fekitoa ?

Mourad Boudjellal Plusieurs centaines de milliers d’euros ! Il sera parmi les joueurs les mieux payés du Top 14… Mais il aurait gagné plus encore en choisissan­t de faire trois mois au Japon et la saison du Super Rugby ensuite.

Cela vous a valu quelques échanges singuliers, ces derniers jours, avec des médias néo-zélandais.

Mourad Boudjellal En France cela se serait réglé au tribunal ! J’ai été harcelé à 22 heures à mon domicile et, quand j’ai décroché, la conversati­on a été enregistré­e, puis postée sur les réseaux sociaux ! C’est incroyable…

Vous semblez excité par la saison qui s’annonce. Qu’est-ce qui a changé par rapport à l’an dernier où vous étiez apparu parfois désabusé ?

Mourad Boudjellal Depuis le départ de Bernard (Laporte, N.D.L.R.) je n’avais pas pris autant de plaisir que ces dernières semaines. J’ai retrouvé une connivence avec le staff technique alors qu’elle s’était perdue. Le quatuor Galthié-LandreauDa­l Maso-Edmonds doit savoir comment me prendre…

Il me semble que nous sommes en train de construire un joli truc et je n’ai pas les doutes que j’avais l’an passé au moment de l’engagement de Diego Dominguez. Nous avons un staff compétent, qui travaille énormément. L’an dernier, il n’y avait personne dans le bureau des coachs jusqu’à 8 heures du matin. Cet été, dès 6 heures, il y a de la lumière. Fabien est un vrai leader, qui emporte tout le monde avec lui. Je découvre aussi Fabrice Landreau, qui est quelqu’un d’apaisant et de réfléchi.

Il n’y aura pas d’entraîneur viré à Toulon cette saison ?

Mourad Boudjellal Oui, je vais faire des déçus dans votre milieu mais il n’y aura rien à annoncer de ce côté-là. Je vais même plus loin : j’ai la conviction qu’avec Galthié et ce staff nous sommes partis sur un nouveau cycle d’au moins deux ans. D’ailleurs, je veux prolonger rapidement Marc Dal Maso, qui sera en fin de contrat à l’issue de cette saison. Je n’ai pas construit un staff en préfabriqu­é cette année.

Contrairem­ent à celui de Dominguez ?

Mourad Boudjellal Par la force des choses… Diego avait voulu signer pour un an seulement, j’avais dû imposer Dal Maso et Delmas était déjà en place avec Laporte… Tout ce que l’on a fait derrière, c’était du rafistolag­e même si Cockerill a su s’en sortir. Désormais, on est parti sur quelque chose de stable et je veux revivre ce que j’ai vécu avec Bernard… Enfin si le président de la FFR ne me chipe pas Fabien. Tu ne vas pas me faire ça, hein Bernard ?

Bernard Laporte Je ne prendrai pas Fabien Galthié, ou qui que ce soit d’autre, en cours de saison. Je ne veux pas déstabilis­er les clubs. Si l’on doit faire évoluer l’encadremen­t du XV de France, ce ne sera pas en engageant un entraîneur en milieu de saison.

Est-ce à dire que l’avenir de Guy Novès ne dépend plus des résultats de l’équipe de France durant les tests de novembre ?

Bernard Laporte Un technicien en place, que ce soit chez les Bleus ou en club, l’est dans mon esprit pour toute une saison.

Mourad Boudjellal En revanche, tu mets la barre très haut pour Galthié. Plus haut que le XV de France. Philippe Saint-André a terminé sélectionn­eur, toi président de la Fédération. Du coup, Fabien est presque obligé de finir ministre des Sports… Dans quelques années, car je compte sur lui pour longtemps.

Vous pouvez vous engager là-dessus ?

Mourad Boudjellal Absolument, au moins deux ans. De plus, comme Bernard a indiqué qu’il ne me le prendrait pas, je suis tranquille. Jusqu’en 2019, il est à Toulon. Après… Bernard Laporte Il lui faudra peut-être gagner un titre.

Mourad Boudjellal C’est de plus en plus dur ! Les prétendant­s sont nombreux et c’est difficile d’arriver en finale de Top 14 ou de Coupe d’Europe. Cela fait cinq saisons de suite que l’on est en quarts de finale de Champions Cup, six demi-finales de Top 14. On est les seuls. Parvenir en finale, c’est presque un titre.

Bernard Laporte Une finale n’est belle que si tu la gagnes. C’est là que l’on se forge des souvenirs. Mon plus beau avec le RCT, c’est le premier titre européen, en 2013. On ne pensait pas y arriver. L’émotion que tu ressens quand tu gagnes est incomparab­le.

Mourad Boudjellal Tu te souviens de ta joie lors de la demi-finale gagnée à Toulouse face à Clermont en 2012 ?

Bernard Laporte Oui, on arrivait juste. C’était notre première saison. Je n’avais voulu rien prévoir et, le dimanche soir après la victoire, nous étions à la rue ! Nous n’avions pas prévu le lieu de la préparatio­n pour la finale. On était resté sur Toulouse, avant de partir sur le bassin d’Arcachon en urgence.

Bernard, considérez-vous Mourad Boudjellal comme un allié ?

Bernard Laporte Oui. Bien sûr que c’est un allié. C’est même un ami. On aime se voir ou s’appeler. Quand j’ai su qu’il venait à Calvi alors que j’étais à l’Ile Rousse, je suis venu le retrouver.

Maintenant qu’il est élu au comité directeur de la Ligue, est-il, en quelque sorte, un de vos représenta­nts ?

Bernard Laporte Non. Mourad a des idées pour l’intérêt général du rugby, et pas seulement pour sa petite paroisse toulonnais­e. Il a compris que nous étions tous dans le même bateau. Je me suis félicité de son élection, mais pas parce que, comme vous le pensez, j’allais avoir un homme à moi dans l’institutio­n. Je suis convaincu que c’est très bien qu’il soit partie prenante dans les décisions du rugby français. Je sais qu’il va secouer le cocotier avec son tempéramen­t. D’ailleurs, il ne s’est pas couché face à Goze et il ne se couchera pas face à la FFR si quelque chose ne lui plaît pas.

Mourad Boudjellal Je suis surtout l’allié des bonnes idées pour le rugby et je ne serai pas la taupe de Bernard ! Nous sommes souvent d’accord au niveau des idées, alors fatalement je défendrai des points de vue qui ne seront pas éloignés des siens. Mais croyez-moi, on aura aussi des désaccords.

Bernard Laporte Et quelques fois, on aura des échanges téléphoniq­ues musclés… Heureuseme­nt, d’ailleurs. Entre nous, il y a toujours eu des débats, mais chacun sait écouter l’autre. Mourad Boudjellal Même si tu ne m’écoutes pas toujours.

Un exemple ?

Mourad Boudjellal J’ai appelé Bernard parce que cela m’embêtait de commencer la première journée de Top 14 sans internatio­naux. Mais il s’est montré inflexible et m’a expli-

qué pourquoi il tenait à ces dix semaines d’intersaiso­n pour les internatio­naux. Son argumentat­ion tenant la route, j’ai pris sur moi.

Quel rôle allez-vous tenir au comité directeur de la LNR ?

Mourad Boudjellal J’ai envie de surprendre les gens. De prouver que je peux apporter au collectif et de démontrer que mes idées sont parfois bonnes. Et que les personnes qui, pendant des années, n’ont pas voté pour moi ou que ceux me détestent se disent « finalement ce gars-là peut nous apporter quelque chose. » Si j’y parviens, je n’exclus rien pour l’avenir. Dans trois ans…

Est-ce à dire que vous seriez candidat à la présidence de la Ligue pour succéder à Paul Goze ?

Mourad Boudjellal Si j’ai réussi à faire passer mes idées, et que celles-ci ont fait avancer le rugby français, cela me donnera une légitimité que je n’ai pas aujourd’hui et dans ce cas, pourquoi pas. Mais je dois d’abord aller la chercher.

Êtes-vous apaisé depuis votre élection ?

Mourad Boudjellal J’ai peut-être policé mon discours mais mes conviction­s sont toujours aussi fortes. J’ai annoncé que je ne jouerai pas plus de deux fois le dimanche à 21 heures cette saison à domicile. On nous parle d’équité et de solidarité, mais c’est toujours dans le même sens. Il faut renvoyer l’ascenseur vers les clubs qui sont générateur­s d’audience. À Toulon, l’argent ne tombe pas du ciel… La LNR ne distingue pas, pour le moment, les clubs qui vivent d’une économie réelle et ceux qui dépendent du mécénat. Moi, si on me prive de mes ressources parce que je fais beaucoup d’audience, je meurs. Si l’on doit assumer l’audience du Top 14, on doit avoir le droit à un certain dédommagem­ent en fonction du handicap subi : mon personnel doit être payé double le dimanche, on vend moins de billets, moins d’hospitalit­és et les boutiques sont fermées. Personnell­ement, les droits télévisuel­s ne sont pas ma priorité économique. L’an passé, jouer le dimanche soir m’a coûté énormément d’argent et je ne pourrai pas le faire pendant des années.

Pourtant Clermont qui a fait les meilleures audiences cette saison ne se plaint pas ?

Mourad Boudjellal J’ai lu cela avec plaisir. Je rappelle juste que le RCT a fait les trois meilleures audiences sur Canal +. Alors, c’est vrai que l’on n’a pas la plus forte sur Canal + Sport mais, je le répète, nous avons les trois meilleures audiences : la finale face à Clermont, mais aussi la demi-finale, et le match au Vélodrome face au Stade toulousain.

Clermont est-il toujours votre adversaire préféré ?

Mourad Boudjellal Parce que c’est un très grand club, avec une grande équipe et un staff compétent même si cette année, sur la finale, on les aurait battus sans l’absence d’Halfpenny. Je sais que Franck Azéma dit que, chez lui, il manquait Fofana mais quand tu as un buteur de la classe d’Halfpenny et que tu le paies à passer des vacances en Nouvelle-Zélande au lieu de jouer une finale de Top 14, il y a de quoi être en colère. On laisse quinze points au pied…

Cette saison, quelle équipe craignez-vous ?

Montpellie­r a fait un recrutemen­t hors norme, et s’est doté d’un excellent coach. Il ne sera pas loin de la finale ! Clermont aussi, qui a su se renforcer et restera un adversaire coriace. Après, je mettrai un billet sur Lyon. Je vois bien cette équipe dans le rôle de La Rochelle l’an passé. Les Rochelais, d’ailleurs, vont aussi poursuivre leur progressio­n…

Vous parlez de Lyon, qui est entraîné par Pierre Mignoni que vous n’avez pas pu conserver…

Mourad Boudjellal Je suis avec attention son parcours ; il m’a surpris. Je le savais compétent rugbystiqu­ement mais il démontre que c’est un excellent manager. Il a pris une dimension que je n’avais pas perçue à Toulon. Je suis persuadé que son histoire avec le RCT n’est pas terminée.

Bernard, que représente Toulon dans votre carrière ?

Bernard Laporte Le RCT n’est pas mon premier club mais je suis devenu Toulonnais dans l’âme, j’y suis toujours licencié. Alors, je dis merci à Mourad. Ce que nous avons vécu est très fort. Par-delà les victoires, j’ai apprécié son attitude dans les défaites : il a su me remonter le moral un paquet de fois. Quand tu as un patron qui t’accompagne dans ces caslà, c’est un formidable soutien. Max Guazzini était comme cela.

« J’ai peutêtre policé mon discours mais mes conviction­s sont toujours aussi fortes. » Mourad BOUDJELLAL

Mourad, avez-vous été tenté de « divorcer » de Bernard ?

Mourad Boudjellal Pas une fois. On s’est dit de tout, parfois, mais on ne s’est jamais quitté sur un malentendu. Enfin, on a eu une fois 24 heures très difficiles après la défaite à domicile concédée à Grenoble (en février 2012, N.D.L.R.). Là, j’ai cru que je t’avais perdu. Bernard Laporte Cinq mois après, on faisait le doublé ! Mais ce jour-là, j’avais envie de tout envoyer valser. Il ne fallait pas me croiser. Mourad Boudjellal En grand pronostiqu­eur que tu es, tu avais

dit aux joueurs : « Cette année, vous ne gagneriez rien ! » Bernard Laporte Parce qu’il fallait les piquer !

Pour terminer, Mourad, lors de la signature de Galthié vous évoquiez l’envie d’être champion de France avec 23 Français ? Au vu de votre recrutemen­t, on en est loin...

Si je fais ça dès l’an prochain, je file direct en Pro D2 ! Mais cela reste l’objectif d’ici à cinq ans. Ce serait un formidable défi. Pour la saison prochaine, je suis sur plusieurs joueurs ou internatio­naux français. Je remarque qu’à la Ligue on parle déjà de joueurs sélectionn­ables, et plus seulement de Jiff.

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