Midi Olympique

L’évolution du genre

- Emmanuel MASSICARD emmanuel.massicard@midi-olympique.fr

Certains d’entre nous semblent nés sous une bonne étoile, tombant à l’heure dite et à l’endroit prédestiné. Il en va ainsi du destin d’hommes et de femmes qui apparaisse­nt toujours en phase avec leur monde, parfaiteme­nt raccord avec leur époque.

S’il fallait citer un seul de ses fortunés, ce pourrait être Serge Blanco. Avant de mettre la Ligue et ses clubs pros sur orbite, l’arrière-funambule du BO tomba dans la marmite d’un rugby de défis et de liberté qui semblait taillé sur mesure pour son ambition créatrice : même les plus imprévisib­les des rebonds faisaient alors de l’oeil au Biarrot. Franchemen­t, on n’ose l’imaginer joueur à l’époque actuelle : réduit au gagne terrain, engoncé dans des schémas qui ne lui correspond­ent pas et contraint de faire semblant d’attaquer pour mieux conserver un ballon devenu fardeau… En revanche, nous verrions bien Rabah Slimani remonter le temps pour poser ses crampons sur les plates-bandes des contempora­ins de « Sergio », aux côtés des Garuet, Ondarts, Diaz et autres Armary, poutres des packs qui brillaient en mêlée fermée avec des reins, des cous et des jarrets en acier trempé. Jusqu’à Nicolas Mas, dernier de nos Mohicans, les « cubes » poussaient alors en première ligne et incarnaien­t à merveille le savoirfair­e tricolore en la matière.

Il n’aurait pas détonné, Rabah, à cette époque où l’on ne se posait pas la question de l’avenir de la mêlée ; où tous les coups étaient quasiment permis et où les filouterie­s se réglaient en tête à tête, sans arbitre pour faire régner l’ordre et sans vidéo pour dénoncer les tricheurs.

Désormais, gare à celui qui sort du rang ! À l’exception du Top 14 qui célèbre encore la lutte des packs et parfois des Bleus qui s’y accrochent pour sauver l’honneur, la mêlée s’est aseptisée. Son destin : sortir rapidement des ballons propres à jouer. Et tant pis pour les « ferrailleu­rs » du fauteuil d’orchestre…

Ce que l’on appelle la modernité -disons plus sobrement la mode- a aussi signifié l’évolution du genre et la révolution des morphotype­s chez les piliers, devenus grands comme des deuxième ligne, agiles et mobiles. Au niveau internatio­nal, ils courent, plaquent, déblaient et percent plus qu’ils ne poussent.

Slimani, lui, fait de la résistance. En d’autres temps, avec sa petite taille, son torse de lutteur caucasien et sa clé de bras (droit), il aurait été le roi de la planète « pilar ». Il doit aujourd’hui lutter contre les stéréotype­s et le déclin de son espèce. L’héritage semble parfois lourd à porter, tel que Rabah l’avoue dans l’entretien qu’il nous a accordé, quand l’arbitrage internatio­nal semble s’acharner contre lui : « J’ai l’impression que ça ne va jamais ».

Mais si son modèle peut sembler obsolète, rien n’est inéluctabl­e. Slimani, comme Zirakashvi­li qu’il retrouvera à l’ASM, ont encore de l’avenir. La preuve avec Clermont qui en fait l’un des piliers les mieux payés au monde (600 000 euros la saison) et confirme ainsi que le Top 14 n’est pas prêt à renier sa culture du combat et encore moins à baisser ses salaires.

Il appartient à Rabah de prouver qu’il est, comme Blanco, bien ancré dans son époque : un pilier capable de briller ailleurs qu’en mêlée, coureur, gratteur, perce-muraille et passeur. Ce serait une victoire pour lui, un investisse­ment gagnant pour Clermont et une libération pour le XV de France qui est largement démuni à son poste !

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