Midi Olympique

Rabah Slimani (Clermont)

EN PASSANT DU STADE FRANÇAIS À L’ASM CLERMONT-AUVERGNE, LE PILIER DROIT INTERNATIO­NAL EST DEVENU L’UN DES PLUS GROS SALAIRES DU TOP 14 ET PEUT-ÊTRE MÊME L’UN DES PILIERS LES MIEUX PAYÉS AU MONDE. ALORS QU’IL DÉCOUVRE SON NOUVEAU CLUB ET LA PREMIÈRE PRÉPAR

- Propos recueillis par Arnaud BEURDELEY arnaud.beurdeley@midi-olympique.fr

« Je ne suis pas venu pour perdre »

Lundi 24 juillet 2017. Après plus de dix saisons au Stade français, Rabah Slimani est devenu Clermontoi­s. Pour sa reprise, il n’est pourtant pas à Clermont-Ferrand. Le pilier droit du XV de France est au Centre national du rugby, à Linas-Marcoussis avec ses partenaire­s membres de la liste des 45 joueurs choisis par le sélectionn­eur Guy Novès et son staff. Une petite révolution née de la nouvelle convention signée entre la FFR et la LNR, offrant de plus grandes plages de préparatio­n à l’équipe de France et à ses joueurs. Après quatre semaines de repos, Slimani se livre à une batterie de tests physiques pendant deux jours avant de rejoindre l’Auvergne mercredi. C’est sur les installati­ons de son club qu’il vivra le premier cycle de préparatio­n «équipe de France», durant six semaines. C’est là aussi qu’il nous a accordé une très long entretien. Entre pudeur et agacement, entre enthousias­me et interrogat­ions, il n’a éludé aucun sujet...

Comment vit-on une reprise d’entraîneme­nt au CNR de Marcoussis, en plein été, loin de son club ?

Je ne vous mentirai pas, c’est un peu bizarre. Cela ne correspond pas dans nos habitudes. Et pour être parfaiteme­nt honnête avec vous, je dois vous avouer que j’avais programmé d’être à Clermont lundi dernier ; j’avais d’ailleurs prévu de vider les cartons de mon déménageme­nt pour commencer à m’installer. Ils attendront. Je suis finalement resté sur Paris pour être à Marcoussis lors de la reprise.

Comment le groupe a-t-il vécu cette première préparatio­n estivale placée sous la responsabi­ltié de l’équipe de France ?

On a tous eu le sentiment que c’était un nouveau chapitre qui débutait, et que nous étions placés au coeur d’une nouvelle histoire. Je ne suis pas en mesure de lire l’avenir mais ce projet construit pour l’équipe de France offre des plages de travail intéressan­tes... Je ne suis pas là pour juger cette décision, je ne suis qu’un simple joueur de rugby. Les dirigeants savent ce qu’ils font, et c’est leur boulot. On nous dit que pour arriver au meilleur niveau, il faut faire comme ci ou comme ça... Moi, je suis un soldat, j’écoute ce qu’on me dit.

Dans quel état d’esprit l’équipe de France s’est-elle retrouvée ? Quelle était l’ambiance ?

Franchemen­t, il y avait de l’enthousias­me et des sourires. Ce n’est pas anodin. Le simple fait de se revoir et de passer du temps ensemble est important. Cette reprise de l’entraîneme­nt avec l’équipe de France ressemblai­t un peu à ce que l’on vit habituelle­ment en club. Ça me semble hyperposit­if. J’ai connu une époque où, franchemen­t, on ne se voyait jamais. Alors, on ne va pas se plaindre d’avoir du temps pour travailler tous ensemble.

Le contexte lié aux trois revers subis en Afrique du Sud n’at-il pas été pesant cet été ?

On ne va pas se mentir, cette tournée a été compliquée pour l’ensemble du groupe. Ça s’est vraiment mal passé. Pourquoi ? Je n’en sais rien. Mais, ce qui est positif, c’est l’ambiance dans le groupe. Il y a beaucoup d’affinités entre nous. Le groupe vit bien... Je sais que ça va en agacer certains de lire ça, que d’autres vont encore rigoler, mais c’est une réalité. Et c’est tant mieux. Imaginez un peu qu’il y ait une ambiance de merde. Avec nos résultats, ça pourrait vite être le bordel. Alors, oui le groupe vit bien mais il est très déçu et très frustré des résultats.

Comprenez-vous la lassitude des supporters face aux résultats décevants ?

Mais vous croyez que ça nous fait marrer de perdre ? Même si nous restons sur trois défaites en Afrique du Sud, nous avions vu pendant le Tournoi des 6 Nations que nous n’étions pas très loin. Une victoire lors du premier match en Angleterre aurait pu tout changer. Ça s’est joué à peu de choses... Et, précédemme­nt, les résultats de la tournée de novembre n’avaient pas été ridicules. Nous avions tenu tête aux All Blacks et nous aurions dû battre l’Australie. Alors, oui, nous enchaînons les défaites et ça fait chier. Mais j’ai le sentiment que l’on progresse. Après le Tournoi, les gens qui aiment le rugby étaient heureux de ce qu’ils avaient vu. C’est dur, aujourd’hui, d’être jugé sur les trois testsmatch­s perdus en Afrique du Sud.

Moralement ?

(Il souffle longuement). Ce n’est pas simple... Mais, je vais vous raconter une anecdote. Quand j’ai ma mère au téléphone après les matchs et qu’elle sent de la tristesse dans ma voix, elle me dit toujours : « C’est le sport, il y a toujours un gagnant et un perdant. » Il faut relativise­r même si je comprends que les gens en aient marre de nous entendre dire qu’on n’est pas loin. C’est pourtant ce que je crois, très franchemen­t. Mais ce petit plus qui nous manque pour gagner les matchs, on va peut-être l’avoir désormais avec ce nouveau projet mis en place autour de l’équipe de France.

Avez-vous eu un sentiment d’impuissanc­e lors de la tournée en Afrique du Sud ?

Il faut dire les choses : cette fois, les Boks étaient vraiment un niveau au-dessus de nous. On peut toujours se retrancher derrière le fait que nous étions en fin de saison, contrairem­ent aux Sud-Africains qui abordaient leur période de tests-matchs, mais ça ne sert à rien. C’est pareil tous les ans. On ne peut pas se retrancher derrière de telles considérat­ions.

Quel était le sentiment général à l’issue de la tournée ?

On se pose tous des questions. Trois défaites, c’est dur à vivre... Mais il n’y a pas de découragem­ent.

Avez-vous le sentiment que toutes les mesures prises dans le cadre des accords FFR/LNR et accentuées depuis l’élection de Bernard Laporte vont dans le bon sens ?

Oui. Désormais, nous avons tous les outils à notre dispositio­n pour bien nous préparer, réussir sportiveme­nt, et pour que l’ensemble des équipes de France soient performant­es.

Bernard Laporte vous met-il la pression ?

En équipe de France, la pression est naturelle.

Mais Laporte n’est pas Camou…

C’est vrai mais quel que soit le président de la Fédération, il y a toujours une obligation de résultat quand on porte le maillot de l’équipe de France. Nous le savons tous parfaiteme­nt.

À titre personnel, vous avez été encore sanctionné en mêlée fermée, à cause de votre liaison. Pourquoi ?

Franchemen­t, je n’en sais rien. Cette situation m’agace un peu... Ça change toutes les semaines selon les arbitres. On me dit de travailler de telle façon, d’adopter telle liaison, je m’adapte et je m’exécute... Très sincèremen­t, je fais les efforts nécessaire­s pour répondre aux exigences des arbitres. Mais, le week-end d’après, on me reproche encore autre chose. Bref, j’essaie de tout faire pour ne pas être sanctionné mais j’ai l’impression que ça ne va jamais.

« Ce qui m’a blessé, c’est lorsqu’il (Thomas Savare) a déclaré que j’avais préféré l’argent à l’amour du maillot (...) Il faut quand même savoir que lorsque j’ai demandé à resigner au Stade français, on m’a envoyé bouler. »

Avez-vous le sentiment d’être sous surveillan­ce ?

Moi personnell­ement, non. Mais la mêlée française est surveillée bien plus que les autres. Ne me demandez pas pourquoi, je n’en sais rien. Mais c’est pénible d’être «fliqué» en permanence.

Votre départ du Stade français pour Clermont a fait l’objet d’une polémique, notamment à propos de votre salaire qui fera de vous un des joueurs français les mieux rémunérés du Top 14. Comment avez-vous vécu cette période ?

Très mal. Je n’ai pas du tout apprécié les propos de Thomas Savare (ancien président du Stade

français, N.D.L.R.) qui prétendait que je quittais le club pour l’argent. Et ce qui m’a le plus blessé, c’est lorsqu’il a déclaré que j’avais préféré l’argent à l’amour du maillot. C’était durant l’été 2016, nous étions en stage à Faro (Portugal), je m’en souviens très bien... Il faut quand même savoir que lorsque j’ai demandé à signer un nouveau contrat au Stade français, on m’a envoyé «bouler». Tout aurait pu être réglé au printemps 2015, avant même d’être champion de France. C’est à ce moment-là que j’avais demandé à mon agent de rencontrer les dirigeants parisiens pour prolonger mon contrat et obtenir une revalorisa­tion salariale car j’avais un petit contrat. Et, à ce moment-là, le salaire évoqué n’avait rien à voir avec ce que j’ai aujourd’hui. Jamais je n’aurais demandé à cette époque-là les salaires que l’on m’a proposés ensuite.

On a dit un temps que le Stade français avait cherché à vous convaincre de rester et aurait proposé de payer la clause de dédit. Vrai ? Peu importe. Je n’ai qu’une seule parole. Les dirigeants du Stade français ne sont jamais revenus vers vous ?

Si, mais il était trop tard. Après la Coupe du monde en Angleterre, j’ai été sollicité par Toulon et Toulouse notamment, ce qui m’a flatté. Mais j’étais aussi déçu que mon club ne me propose rien. Les dirigeants parisiens étaient persuadés que je ne partirai jamais car je venais d’acheter une maison, et que j’étais en plein divorce. Résultat : ils ont voulu rentrer dans la négociatio­n quand j’avais déjà avancé de mon côté.

On sent de la déception dans vos propos…

Non. Je ne regrette absolument pas d’avoir choisi de rejoindre Clermont. J’en suis même heureux et très fier. Cette décision a été mûrement réfléchie...

N’empêche, je n’oublie pas que Thomas Savare a sauvé le Stade français de la faillite en 2011. Je n’oublie pas qu’il nous a permis d’aller jusqu’au titre de champion de France en 2015 et à la victoire en Challenge Cup la saison dernière, mais je n’ai pas apprécié les propos qui ont été tenus à mon égard. Et puis, les gens ont peut-être vraiment découvert le vrai visage de la direction du Stade français au moment de l’épisode de la fusion avec le Racing 92.

Vous ne vous êtes jamais exprimé lors de l’épisode du projet de fusion avec le Racing...

J’étais très énervé. Savoir que le Stade français pouvait disparaîtr­e me rendait malade. Dans ma position, je ne pouvais pas m’exprimer ; j’allais quitter le club et je ne me voyais appeler les journalist­es pour dire : «Hey,

j’ai un truc à vous dire.» J’ai préféré rester à ma place.

Comment avez-vous vécu la transition entre Savare et Hans-Peter Wild ?

J’étais heureux pour mon club et mes copains, mais, bizarremen­t, je ne me sentais plus vraiment concerné. Évidemment, j’espérais qu’une telle solution soit trouvée car je n’imaginais pas voir disparaîtr­e le Stade français. Je suis très attaché à ce club. J’y suis arrivé à 15 ans et j’y ai vécu une grande partie de ma vie.

L’arrivée du milliardai­re allemand a-t-elle fait naître des regrets chez vous ?

Non. Dans ma tête tout était clair et organisé. Ma décision avait été prise un an plus tôt.

Que pensez-vous du projet basé sur la formation porté par ce nouveau mécène ?

La région parisienne regorge de jeunes talents, il faut les faire rêver et que le Stade français soit une locomotive dans le secteur de la formation plutôt qu’il aille chercher des joueurs ailleurs. Il y a plein de jeunes Parisiens dans les autres clubs français et ce serait bien que le Stade parvienne à les séduire.

Est-il difficile aujourd’hui pour un jeune joueur français de se faire une place en Top 14 ?

(Il souffle longuement). Ce n’est pas simple. On a eu un peu de chance au Stade français. Notre génération est arrivée au bon moment puisqu’à l’époque le club recrutait moins. Les stars ou les joueurs plus expériment­és venaient moins à Paris. On nous a donné notre chance. Christophe Laussucq et David Auradou n’ont pas hésité à nous faire jouer et à nous faire confiance. Ce sont eux qui ont lancé toute notre génération, qui a été championne de France en 2015. Ils ont vraiment eu des couilles.

Avec un tel projet, Paris peut-il viser une des six premières places du Top 14 cette saison ?

Avec le Stade français, on ne peut jurer de rien (rires).

Vous avez rejoint avec l’ASM en milieu de semaine. Quelles sont vos premières impression­s ?

Ce n’est pas le même monde. Même si, ces dernières années le Stade français a fait beaucoup d’efforts pour aménager des structures plus profession­nelles, ici, c’est une autre dimension : tout est pro. Je ne suis pas sûr qu’il y ait mieux en France, peut-être même en Europe. Quand j’ai débarqué au stade Marcel-Michelin, je me suis dit :

« Ah ouais quand même… » C’est impression­nant.

Qu’est-ce qui vous a poussé à choisir l’ASM ?

Les premières discussion­s n’ont porté que sur le bienêtre du joueur. Pourtant, ils n’étaient pas au courant de ma situation familiale... Ils ont tout fait pour que je me sente bien, pour que je puisse voir mes enfants le plus souvent possible (Slimani est séparé de la mère de ses trois enfants, N.D.L.R.). Ça peut paraître anecdotiqu­e mais pour moi, c’était fondamenta­l. J’ai beaucoup apprécié mes premiers échanges avec Jean-Marc Lhermet. C’est lui qui m’a réellement convaincu.

Signer à Clermont, c’est se mettre en danger ?

C’est un risque que j’ai voulu prendre. Quitter ma famille, mes amis, ne pas rester dans mon cocon est un choix assumé. À Paris, je savais que j’avais plus ou moins ma place chaque week-end. À Clermont, ce sera une autre histoire. Cela va m’obliger à me faire sans doute un peu plus mal à chaque entraîneme­nt.

Qu’attendez-vous de cette nouvelle aventure ?

Je suis venu pour progresser et atteindre le maximum de mon potentiel. J’espère apporter ma pierre à l’édifice et tirer mon épingle du jeu au sein d’un effectif déjà très riche. Je vais tout faire pour que le club poursuive sur sa lancée. J’ai encore soif de titre et j’espère que tout le monde sera dans le même état d’esprit. Je suis bien placé pour savoir qu’une saison après un titre est parfois difficile. Je ne suis pas venu pour perdre des demi-finales ou même des finales. Après, j’ai le sentiment qu’il y a une culture de la « gagne » et de l’excellence à Clermont. Ça me plaît.

Le fait de signer à Clermont est aussi l’assurance de jouer quasiment tous les ans la Champions Cup. N’était-ce pas un manque par le passé avec le Stade français, dans la perspectiv­e de votre carrière internatio­nale ?

C’est une certitude. En presque dix ans passés au Stade français, je n’ai joué que deux fois la grande Coupe d’Europe. Forcément, quand en octoble la période des matchs européens arrivait et que je devais aller jouer à Timisoara, je me posais des questions... Soit j’étais mis au repos et je me disais que j’allais manquer de rythme, soit je jouais et le niveau ne me préparait pas à l’intensité des rencontres internatio­nales. Et pourtant, vis-à-vis de mon club, je me devais d’être prêt et performant. J’ai toujours tout fait pour l’être. En raison toutes ces choses-là, le fait de pouvoir jouer la Coupe d’Europe tous les ans était important à mes yeux.

Le statut d’internatio­nal en France n’est-il pas compliqué à gérer pour un joueur ?

Disons que nous n’avons pas la même culture qu’en Nouvelle-Zélande, par exemple. Autour des All Blacks, c’est tout pour l’équipe nationale. Là-bas, quand un mec ne joue pas avec sa province ou en club, ce n’est pas très grave. Et il n’y a pas la pression de la relégation. Pour eux, le plus important est de gagner avec l’équipe nationale. En France, on veut gagner tous les week-ends.

Les joueurs français sont-ils trop attachés aux résultats de leur club ?

Mais, c’est normal. Nos employeurs, ce sont les clubs. On se doit d’être bons à chaque match. Dans les autres pays, les compétitio­ns domestique­s suscitent moins d’attachemen­t chez les internatio­naux. Chez nous, le lien avec le championna­t est très fort ; c’est culturel. Soulever le Bouclier de Brennus est le rêve de tous les joueurs français et c’est un phénomène culturel qui sera difficile à faire évoluer en France.

Je suis bien placé pour savoir qu’une saison après un titre est parfois difficile (...) Je ne suis pas venu pour perdre des demifinale­s ou des finales.

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