Midi Olympique

Les confession­s de Dulin

LE JOUEUR (27 ANS, 29 SÉLECTIONS) SORT D’UNE SAISON ÉPROUVANTE, MARQUÉE PAR L’ENCHAÎNEME­NT DES MATCHS (34), SA CONVOCATIO­N DEVANT LA COMMISSION DE LUTTE CONTRE LE DOPAGE DE LA FFR ET LA TOURNÉE RATÉE EN AFRIQUE DU SUD. IL ÉVOQUE TOUS CES SUJETS DANS CET E

- Propos recueillis par Émilie DUDON emilie.dudon@midi-olympique.fr

J'ai toujours assume mes positions Avec de dopage, on a écorné l'image d'une équipe Je me force à passer le ballon

Pour la première fois, les joueurs internatio­naux bénéficien­t de dix semaines de préparatio­n. Comment les vivez-vous ?

C’est dur, comme toutes les préparatio­ns, alors on espère que ça va payer par la suite. Pour l’instant, on est dans le dur et on n’a pas le recul nécessaire pour savoir si ce sera efficace. C’est très bien que le staff et les joueurs aient beaucoup plus de moyens pour travailler mais les choses se mettent en place pour le moment. Il faut encore effectuer quelques réglages pour que tout prenne forme. Avoir autant de temps disponible, être moins présents dans nos clubs pendant la préparatio­n etc constituen­t autant de nouveaux paramètres que nous devons appréhende­r et gérer. Ce sera positif seulement si on remporte des matchs. On fera les comptes à la fin de cette première saison.

Vous serez plus attendus du coup. Sentez-vous plus de pression ?

Sûrement. Ça fait un moment que l’équipe de France n’a rien remporté et ce serait bien que les choses basculent assez rapidement. De l’extérieur, les gens voient que le groupe France dispose de beaucoup plus de temps pour travailler, se retrouve plus souvent, et il est évident que des résultats devront arriver rapidement. Sinon, il va vite devenir délicat de justifier des mauvaises performanc­es. Je le comprends. Quand je regarde un autre sport, je suis le premier à attendre des résultats.

N’est-il pas découragea­nt de voir que le travail ne paie pas pour l’instant ?

Au delà d’être découragea­nt, c’est surtout énervant et frustrant. Si nous étions découragés, nous ne repartirio­ns pas chaque saison avec autant d’envie et de motivation. C’est ce que je me disais tout à l’heure (jeudi, N.D.L.R.) pendant la séance de physique : on en ch… à chaque fois, mais on revient tous les ans. C’est qu’on doit aimer ça quelque part.

Dans quel état êtes-vous rentré de la tournée en Afrique du Sud ?

Frustré, là aussi. Il y avait eu de bonnes choses durant le Tournoi et les tests de novembre, de réels progrès avaient été faits avant que j’aie la chance de revenir dans le groupe et c’était agaçant de rentrer d’Afrique du Sud avec trois défaites, en ayant aussi mal joué. C’est dommage.

Bernard Laporte était venu rencontrer le groupe France. Il n’est pas très commun d’entendre un président de la FFR parler de stratégie. Comment l’aviez-vous perçu ?

Cela fait partie du personnage. Les présidents d’aujourd’hui, que ce soit au niveau des Fédération­s mais aussi des clubs, s’immiscent de plus en plus dans la vie des groupes. Il n’y a rien de choquant là-dedans. C’est plutôt aux personnes concernées de régler ça. Chacun a sa place et si personne ne marche sur les plates-bandes de l’autre, ça fonctionne.

À deux ans de la Coupe du monde, avez-vous le sentiment de revivre la même chose qu’il y a quatre ans ? Craignez-vous de voir l’histoire se répéter ?

Si je le craignais, je m’arrêterais immédiatem­ent (sourire). J’espère justement que cela nous a servis de leçon. Plusieurs d’entre nous étaient déjà là en 2015 et il faut essayer de ne pas commettre les mêmes erreurs. Mais pour tout vous dire, je ne me suis jamais fait la réflexion parce que ça n’a rien à voir. Je ne ressens pas les choses de la même manière.

Qu’est-ce qui est différent ?

L’implicatio­n de tout le monde mais aussi la façon de jouer, notamment lors de l’année de la Coupe du monde. Je pense que nous pouvons mettre en place des choses complèteme­nt différente­s.

À titre personnel, comment avez-vous vécu la tournée en Afrique du Sud ?

J’avais envie de me frotter aux Boks parce que, comme tout le monde le sait, ils sortaient d’une année difficile et allaient vouloir relever la tête. Je voulais aussi voir où on se situait. Il a fallu trouver un équilibre entre cette impatience et la fatigue, mentale et physique, accumulée durant toute la saison.

Après un excellent début de saison, vous avez semblé marquer le pas physiqueme­nt en fin d’exercice. Est-ce aussi votre ressenti ?

Complèteme­nt. J’étais beaucoup plus emprunté, j’avais moins de « gaz » et plus de difficulté­s à mettre mon jeu en place. C’est dû au fait que j’ai beaucoup joué la saison passée et qu’il y a eu de nombreuses choses à gérer. À un moment donné, le corps fatigue. Parfois, l’envie suffit à le surpasser mais pas cette fois-ci parce qu’une fatigue mentale s’est ajoutée à tout le reste. Il a fallu porter beaucoup de choses ces derniers mois…

Le premier test a été difficile à titre personnel, avec ce carton jaune et l’essai de pénalité qui a compté pour beaucoup dans la défaite. Vous en êtes-vous voulu ?

Bien sûr. Nous étions revenus dans les clous juste avant et cet essai de pénalité nous a enfoncés. Le match avait mal commencé avec quelques erreurs, puis il y a eu cette bourde… Ce n’était pas mon jour. Certaines fois, tu réussis tout ce que tu tentes. Et certaines fois, rien ne marche quoi que tu fasses…

Avez-vous été recadré par le staff ?

Non. Nous en avons discuté. J’étais conscient de ma performanc­e, les entraîneur­s aussi, mais nous savions tous que je pouvais - et que je devais - faire mieux. Je ne fais plus partie des jeunes aujourd’hui et je suis plus attendu, c’est normal. Il faut que j’ai un niveau beaucoup plus régulier.

L’ancien staff vous considérai­t comme un joueur capricieux, notamment après vos déclaratio­ns concernant votre replacemen­t à l’aile pendant la Coupe du monde. Quelles sont vos relations avec le nouveau staff , sachant que Yannick Bru en fait toujours partie ?

Ça se passe très bien. Quand je suis revenu dans le groupe, Guy Novès et Jeff Dubois sont venus me parler. On s’est dit tout ce qu’on avait à se dire dès le départ, notamment sur mon absence du groupe France les mois précédents, et nous sommes partis sur de bonnes bases. Il n’y avait pas de non-dit, je savais ce que je devais faire.

Pourquoi n’étiez-vous pas sélectionn­é alors ?

Cela n’a pas besoin de sortir de la pièce dans laquelle nous en avons parlé.

Vous deviez vous poser des questions avant de revenir dans le groupe. Cette discussion vous avaitelle fait du bien ?

Je ne me posais pas de questions, non. Si je n’en faisais pas partie, c’est que je n’étais sûrement pas assez bon et si j’y suis revenu, c’est parce que mon niveau sur le terrain a été suffisant pour être rappelé. J’ai un jeu qui plaît ou qui ne plaît pas mais c’est le mien et ce n’est pas aujourd’hui que je vais le changer. Alors je ne me pose plus la question de savoir si je conviens, ou pas. Je joue de la manière dont je sais jouer, j’essaie de faire évoluer mon jeu et j’écoute parfois ce qu’on me dit mais je ne cherche plus à plaire à tout le monde. L’essentiel pour moi est d’être bon pour mes coéquipier­s.

Donc vous ne regrettez pas ce qui s’est passé ?

Je n’ai rien à regretter. J’ai toujours tout donné sur un terrain, quel que soit le poste où j’évoluais, et j’ai toujours assumé mes positions. On a encore le droit de dire ce qu’on pense, me semble-t-il. Si certains ne sont pas capables de le comprendre, je n’y peux rien. Neymar serait peut-être moins bon s’il jouait plutôt milieu défensif qu’attaquant… Personnell­ement, je me suis jamais braqué avec personne, j’ai juste exposé mon point de vue.

Vous semblez assumer votre caractère, alors qu’on reproche parfois aux rugbymen d’aujourd’hui d’en manquer…

Comme je le disais : je ne suis pas là pour plaire à tout le monde. Je ne vais pas renier mon caractère et ma façon de jouer pour ça. Je suis capable d’entendre les choses pour faire évoluer mon jeu et servir le collectif. Mais j’ai une façon de jouer, voilà.

Vous parlez du fait que vous portez beaucoup le ballon…

(il coupe) Non parce que, quand je regarde les autres arrières dans les autres nations, je ne fais pas partie de ceux qui portent le plus le ballon. J’ai l’impression que c’est sorti une fois et que tout le monde le ressort depuis. ça ne me dérange pas, les gens ont le droit de penser ce qu’ils veulent. Mais il me semble que j’ai fait évoluer les choses à ce niveau depuis la Coupe du monde. Et mes efforts ont sûrement été remarqués, enfin je pense.

Avez-vous eu un sentiment de revanche lors de votre bonne prestation à l’occasion de votre retour, contre les All Blacks en novembre dernier ?

Pas du tout. Au contraire même. Dans chaque carrière, il y a des hauts et des bas. Il faut répondre présent quand ça va et faire le dos rond quand ça va moins bien.

Justement, avez-vous craint de ne plus être sélectionn­é avec le XV de France lorsque vous avez reçu la convocatio­n de la commission antidopage de la FFR en janvier dernier ?

(il rit jaune) Non, non. Là encore, je savais que c’était une erreur, comme cela a été démontré par la suite. S’il y avait eu le moindre doute, le club ne m’aurait pas soutenu. Je me demandais surtout si ça allait mettre le doute dans la tête de mes coéquipier­s, mais ils me voient vivre tous les jours et ils savent qu’il n’y a aucun souci à se faire à ce sujet. Le plus dur à gérer a été pour mes proches. Les gens ne venaient pas me dire en face ce qu’ils pensaient mais mes parents ou mes amis entendaien­t certains parler. C’est ça qui m’a fait le plus de peine. Moi je savais très bien

« J’ai toujours assumé mes positions. On a encore le droit de dire ce qu’on pense, me semble-til… »

que ça allait parler mais comme j’avais la conscience tranquille, je m’en fichais. Mon entourage savait aussi que je n’avais rien à me reprocher mais il n’avait pas à pâtir de cette situation.

Aviez-vous discuté de cette situation avec le staff du XV de France ?

Je l’avais eu juste avant le Tournoi. On m’avait dit que j’avais le temps de régler cette histoire tranquille­ment et qu’en fonction de la suite et de mes performanc­es à venir, je pourrais être rappelé. Rater des sélections dans des conditions comme celleslà, c’est rageant. Et c’est peu de le dire.

Comment avez-vous géré cette situation ?

Il faut faire le dos rond et attendre que ça passe. Ce n’est pas dans mon caractère mais j’ai appris à le faire. Vous savez, c’est très bien de lutter contre le dopage mais il ne faut pas faire du bruit juste pour faire du bruit. C’est dommage parce qu’on ternit l’image du rugby pour des trucs qui n’en valent pas la peine. Parce que s’estil passé à la fin ? On a écorné l’image d’une équipe et de ses joueurs alors que nous avons tous été blanchis.

Vous ne pensez pas que le dopage existe dans le rugby ?

Il doit bien exister, comme dans tous les autres sports. Mais j’ai du mal à croire que cela puisse être possible au niveau profession­nel. Nous sommes tellement surveillés… De deux choses l’une : si tu te dopes, soit tu es con, soit tu as envie de te brûler les ailes. Et là, tant pis pour toi. ça ne me dérange pas qu’on fasse du bruit quand quelqu’un est réellement coupable. Mais quand ce n’est pas le cas…

La question étant aussi de savoir où commence le dopage. Infiltrer un joueur blessé pour qu’il puisse jouer n’est-il pas déjà un peu limite ?

Vous ne m’amènerez pas sur ce terrain. On a assez parlé de ce genre de choses et ça ne sert à rien de relancer ce débat qui est inutile parce que ça ne fera pas changer d’avis les gens bornés qui ne veulent rien entendre. Je ne veux plus parler de ça, on a dit suffisamme­nt de choses là-dessus.

Revenons au sportif. Quel bilan tirez-vous de la saison du Racing ?

Il est décevant, évidemment. Nous avons vraiment fait le strict minimum. Certaines années, tout s’enchaîne bien et d’autres moins bien. Là, tout est allé dans le mauvais sens. Nous avons eu moins de préparatio­n physique qu’à l’habitude, puis il y a eu la triste nouvelle du décès d’Anthony Foley qui a entraîné le report de notre match de Coupe d’Europe… Bref, le destin, qui nous avait souri l’année précédente, s’est un peu vengé.

Qu’attendez-vous de celle à venir ?

Qu’elle soit meilleure, évidemment. Et beaucoup plus paisible aussi.

Et à titre personnel ?

Comme je l’ai dit plus haut, j’ai su entendre et comprendre les critiques qui m’étaient adressées, notamment par mes entraîneur­s. Je suis conscient que j’ai encore des lacunes au niveau de mon jeu au pied par exemple, qui doit être plus régulier et avoir plus d’impact dans le jeu courant. Au niveau de la vie du ballon après moi surtout. Je dois toujours être capable de faire des différence­s tout en continuant à le faire vivre en suivant, par la passe ou en servant de relais pour amener une plus-value plus tard dans l’action. C’est mon gros chantier, je le sais depuis de nombreuses années.

Vous avez pourtant déjà dit avoir corrigé ce défaut.

Oui parce que lors de la saison où nous avons été champions de France, j’y étais parvenu. Après notre stage à Hong-Kong, j’avais retrouvé de l’envie et des sensations. Je me faisais rarement prendre avec le ballon sur mes percées parce que j’arrivais à le faire vivre après moi. Le problème, c’est qu’avec l’enchaîneme­nt des matchs et tout ce qui s’est passé la saison dernière, j’étais moins lucide sur le terrain et je suis retombé dans mes travers. Je sais que je dois mettre l’accent là-dessus. À l’entraîneme­nt par exemple, je me force à passer le ballon même si je vois des espaces, afin de m’habituer à faire ce genre de choix et qu’ils deviennent naturels. Ce n’est pas facile. Il s’agit autant de technique que de communicat­ion avec mes partenaire­s.

Est-ce un chantier que le staff des Bleus vous demande de travailler en particulie­r ?

C’est surtout ce que je recherche à faire de par moi-même depuis un an et demi parce que je me suis rendu compte, au retour de la Coupe du monde 2015 notamment, qu’il était parfois plus intelligen­t de lâcher le ballon plus tôt, pour se replacer et apporter de la vitesse ou du surnombre derrière. Je dois vraiment être capable de faire évoluer cela à ce stade de ma carrière.

Le 19 octobre, sera inauguré l’U Arena. Avez-vous hâte d’y jouer ?

Oui, ça va être la magie. Un stade aussi beau, fermé, c’est spécial. C’est comme quand tu joues au pays de Galles, au Principali­ty stadium. Nous étions attachés à Colombes mais comme ça, les gens vont peut-être arrêter de dire que c’est un vieux stade où on y voit mal…

Agen retrouve le Top 14. Ce sera spécial de revenir à Armandie ou y êtes-vous habitué maintenant ?

Ah non, c’est toujours spécial. J’ai bien suivi les Agenais l’an dernier, j’ai regardé la finale et j’étais très heureux que le club retourne dans l’élite. Je connais encore quelques joueurs, notamment Antoine Erbani le capitaine. C’est un très bon ami, nous avons commencé à jouer au football ensemble quand nous étions enfants et nous sommes suivis au rugby. Alors j’espère avoir la chance d’être dans le groupe pour aller là-bas. Ça va me faire quelque chose, je le sais…

« De deux choses l’une : si tu te dopes, soit tu es con, soit tu as envie de te brûler les ailes. Et là, tant pis pour toi. »

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