Midi Olympique

LA CHABALMANI­A, DIX ANS APRÈS

EN 2007, LA FRANCE DÉCOUVRAIT SÉBASTIEN CHABAL, UN RUGBYMAN AUX CHEVEUX LONGS ET À LA BARBE AUSSI ÉPAISSE QUE SES MUSCLES. LE TROISIÈME LIGNE DEVENAIT ALORS UNE ICÔNE DÉPASSANT LARGEMENT LES FRONTIÈRES DU RUGBY. DIX ANS APRÈS, RETOUR SUR UN PHÉNOMÈNE JAMA

- Par Arnaud BEURDELEY arnaud.beurdeley@midi-olympique.fr

Souvenez-vous. Été 2007. La France se découvre une passion pour un simple joueur de rugby. Véritable star en Angleterre où il joue sous les couleurs de Sale, Sébastien Chabal ne peut alors revendique­r le même statut dans l’Hexagone. Un coup en bleu, un coup non. Il n’est pas, loin de là, le meilleur joueur français. Et puis, il y a cette fameuse tournée du XV de France en Nouvelle-Zélande. Deux actions de jeu vont faire basculer sa vie. Sur la première, il inflige un énorme tampon à Chris Masoe qui s’écroule, se relève, titube puis retombe de tout son poids comme une feuille morte. K.-O. technique. Il remet ça au test-match suivant avec Ali Williams. Verdict : mâchoire fracturée. Le deuxième ligne néo-zélandais, qui ne manque pas d’humour, lance alors un concours de recettes à avaler avec une paille. « A soup for Ali » fait un carton de l’autre côté de la planète. La « chabalmani­a » est en passe de voir le jour grâce aux vidéos qui circulent sur Youtube.

« Pour moi, ça ne vient pas de ces deux vidéos, rétorque Pascal Irastorza, qui fut son conseiller image de 2009 à 2014. Le phénomène Chabal, c’est la rencontre de trois éléments : un mec avec une gueule, un nom qui claque et un événement, la Coupe du monde de rugby en France. La conjonctio­n de ces trois éléments a fait de Chabal un vrai porte-drapeau. Neuf ans après le titre mondial de l’équipe de France de football, il fallait impérative­ment que les Français s’accrochent à quelque chose pour s’intéresser à la Coupe du monde de rugby. On avait besoin d’incarner cet événement majeur. Et c’est Sébastien, qui passait par là, qui s’y est collé. Il avait tout pour tenir ce rôle : une gueule, le physique du rugbyman beau mec avec un physique à faire peur. Mais, s’il n’y avait pas eu la Coupe du monde de rugby, il n’y aurait pas eu de chabalmani­a. » L’histoire est donc en route. Sur le terrain, les Bleus de Bernard Laporte patinent durant le Mondial. Qu’importe. Entre Chabal et les Français, le conte s’écrit passionnel­lement. Il entre dans le classement du « Journal du dimanche » des personnali­tés préférées des Français à la 35e place. Jamais un rugbyman n’avait eu cet honneur. Chabal, dont la marionnett­e figure désormais en bonne place aux Guignols de l’Info, conquiert le public presque malgré lui et prend en pleine gueule son extraordin­aire popularité. « L’histoire s’est construite toute seule à son corps défendant », confirme Irastorza. Il en subit même la démesure à l’issue d’un match du Challenge européen à Bayonne, le 8 décembre de cette année-là. Des centaines de personnes envahissen­t le terrain pour l’approcher. Chabal est contraint d’être escorté pour s’extirper de la foule, puis du stade.

« TENDRE… AVEC UN PHYSIQUE DE YÉTI… »

Inévitable­ment, les publicitai­res s’intéressen­t au phénomène. Logique, forcément logique. Des magazines féminins, comme « Cosmopolit­an », sont sous le charme et le décrivent comme un homme « tendre », « avec un physique de yéti ». « Les gens aiment les valeurs simples et authentiqu­es qu’incarne Sébastien : « Un homme viril, rassurant et chaleureux »», commente auprès de L’Express Carine Rossigneux, l’agent qui gère alors son image. Cette dernière croule sous les propositio­ns. En vrac, il signe avec Seat, Orange, Poker star, Urgo… Crée sa marque de vêtement (Ruckfield) pour laquelle il joue au mannequin. « Mais quand nous commençons notre collaborat­ion, reprend Pascal Irastorza, Sébastien a surtout un magnifique contrat avec Caron. Cette campagne lui donne une image extraordin­aire. Je me souviens des photos de Seb en costard, c’était le James Bond du rugby. Caron a vraiment magnifié son image. »

L’agent en parle d’autant plus librement qu’il n’est pas à l’origine de ce contrat. « Nous cherchions un homme authentiqu­e, viril, pérenne comme notre parfum », raconte Nathalie Calmettes alors responsabl­e de la campagne Caron qui, en mars 2008, lance véritablem­ent la carrière publicitai­re de Chabal. « Pour un homme », porté avant lui par le danseur Patrick Dupond, donnera d’entrée à « l’homme des cavernes » une image médiatique haut de gamme, loin d’être acquise. Pascal Irastorza abonde : « Beaucoup ne voulaient utiliser que l’image la plus triviale de Sébastien. D’autres voulaient surfer sur son côté sexy. Or, on voulait développer une image sérieuse, toujours dans l’idée d’affirmer que Chabal était un joueur de rugby, pas un clown. » Chabal ne finira donc pas à poil sous une douche pour vanter les mérites des shampoings Petrol Hahn. Il ne fera pas non plus le tour des mariages ou autres enterremen­ts de vie de garçon. « Des demandes comme ça, j’en avais au moins trois par jour », se marre encore Irastorza. Mais on a cherché à le préserver car, lui comme moi, on savait qu’il n’était pas le meilleur joueur du monde. Chabal n’est pas Dan Carter. On savait que le premier reproche qu’on lui ferait, c’est de passer plus de temps à faire de la pub qu’à s’entraîner. Ça n’a pas loupé. Pourtant, on a tout fait pour bien faire la part des choses. C’était mon objectif premier. »

« UN PROLO FIER DE L’ÊTRE… »

Son statut d’icône de la pub, Chabal l’a toujours bien vécu. Il lui a valu pourtant quelques déboires. D’abord avec les médias qui l’ont souvent raillé en fonction des performanc­es sportives fluctuante­s. Ensuite, avec certains de ses entraîneur­s. L’histoire s’est mal terminée avec Pierre Berbizier au Racing, mais aussi avec Marc Lièvremont en équipe de France. La Coupe du monde 2011, Chabal l’a suivi à la télévision. « C’est le seul moment où j’ai senti qu’il vivait moins bien sa situation, raconte encore Pascal Irastorza. À ce moment-là, il approche de la fin de sa carrière et il se demande finalement si tout ça vaut le coup. Mais la pub ne lui est jamais montée à la tête. Il vivait ça avec de la distance, en se disant : « Je ne sais pas ce qui m’est arrivé, mais ce n’est pas grave, ça met du beurre dans les épinards, voire même des épinards dans le beurre ». » Durant ces dix années, Sébastien Chabal, de l’aveu de nombreux proches, n’a pas changé. Irastorza reprend : « Pour moi, Chabal représente surtout les valeurs de l’usine. Avant d’être joueur de rugby, tous les matins, il était content de monter dans sa bagnole, allumer sa clope et partir au boulot. Il se sentait libre, à 18 ans. Et le rugby lui est tombé de dessus. Ça lui a permis de se lever un peu plus tard, d’avoir un métier moins dur que l’usine. Et ça, il ne l’a jamais oublié. Aujourd’hui, il a une belle vie, gagne de l’argent, vit bien de son métier, mais n’a jamais oublié d’où il venait, ni qui il était. Sébastien est un prolo fier de l’être… »

Dix ans plus tard, Sébastien Chabal jouit toujours de son aura. N’en déplaise à ceux qui promettaie­nt un vulgaire feu de paille. Une simple lubie sans lendemain. Une décennie après l’émergence du phénomène, Chabal, s’il n’est peut-être plus l’inévitable coqueluche de la ménagère de moins de 50 ans, est encore la tête d’affiche du rugby français. Canal + l’a choisi à l’issue de sa carrière de joueur pour porter sa première émission de rugby en clair. En 2015 pour le Mondial anglais, il était toujours le joueur français le plus courtisé par les annonceurs. Il a d’ailleurs prêté son image à MasterCard. Et Si RMC ne lui a pas renouvelé sa confiance pour la saison à venir, c’est uniquement en raison de la rivalité entre SFR Sports et Canal +. Impossible de porter à la fois le maillot de Barcelone et du PSG… Bernard Laporte, qui se plaint régulièrem­ent de l’absence de star au sein du XV de France, l’a intronisé récemment ambassadeu­r de la candidatur­e française à l’organisati­on de la Coupe du monde 2023.

La popularité de celui qui fut élu sportif préféré des Français en 2010, devançant au passage le multiple champion du monde des rallyes Sébastien Loeb ou encore le footballeu­r Thierry Henry,. « Lui était persuadé que ça s’arrêterait un jour, raconte Pascal Irastorza. Pendant des années, je lui ai répété que, même s’il y aurait peut-être un léger fléchissem­ent à la fin de sa carrière, ça perdurait. Je ne me suis pas beaucoup trompé. » Rendez-vous alors pour le 20e anniversai­re de la « Chabalmani­a » ?

 ?? Photo Icon Sport ?? La Coupe du monde 2007 organisée en France avait marqué l’apogée de la notoriété de Sébastien Chabal.
Photo Icon Sport La Coupe du monde 2007 organisée en France avait marqué l’apogée de la notoriété de Sébastien Chabal.

Newspapers in French

Newspapers from France