UNE VOLONTÉ DE FER
LA TALONNEUSE ET CAPITAINE DES BLEUES A APPRIS À SE SURPASSER AU QUOTIDIEN, MÊME SANS APTITUDE PHYSIQUE AU-DESSUS DU LOT. REINE DES TÂCHES OBSCURES, ELLE EST L’ESSENCE MÊME DE CE JEU.
« Récemment, nous sommes allés assister à des matchs de phase finale Crabos et j’ai constaté que tout monde la reconnaissait », confie Célia Ferrero qui travaille avec elle au quotidien. Pour sa deuxième Coupe du monde en tant que capitaine, Gaëlle Mignot incarne désormais le visage du rugby à la française. Elle aura bénéficié de l’extraordinaire succès médiatique de l’édition 2014, ses audiences à deux millions de téléspectateurs sur France 4 en plein mois d’août, et même quelques ouvertures des journaux des radios matinales. Avec le recul, ça restera d’ailleurs comme l’une des plus belles réussites de la FFR de Pierre Camou. Certes, les Bleues ont été crucifiées en demie par un ultime essai superbe des Canadiennes, mais elles ont gagné la bataille de la notoriété. C’est d’ailleurs ce qui explique que Gaëlle Mignot cite cette Coupe du monde mal terminée comme le moment le plus fort de sa carrière, une idée qui ne colle pas vraiment avec l’image de « compétitrice » acharnée véhiculée par tous ses proches. « Oui, j’ai dit ça dans le sens où nous avons joué dans un stade JeanBouin qui était rempli. C’était si nouveau pour nous. Les gens bataillaient pour trouver des places, on avait, paraît-il, refusé du monde à l’entrée. Et après la défaite face au Canada, nous pensions qu’il n’y aurait personne pour le match de la troisième place contre l’Irlande. C’est le contraire qui s’est produit, les gens sont venus nous encourager… Toutes ces émotions m’ont tellement marquée. Cette année 2014 avait si bien commencé avec notre grand chelem et notre victoire sur les Anglaises à Grenoble pour lancer la machine. » Preuve de cette métamorphose, dans la foulée, Gaëlle Mignot s’est retrouvée avec des boucles d’oreille sur plusieurs plateaux de télévision dont celui de « C’est à vous » sur France 5, à répondre aux questions faussement décontractées d’AnneSophie Lapix et d’Anne-Elisabeth Lemoine. Auparavant, elle avait été accueillie comme une reine dans son village de Cubjac en Dordogne, une destination qu’elle ne fréquente plus guère que quelques semaines dans l’année, puisqu’elle joue depuis 2008 à Montpellier, bien plus au Sud. « Retrouver mes racines, ma famille et les balades autour de mon enfance reste finalement mon seul loisir. Pendant la compétition, je sais que nos matchs seront diffusés sur la place de Cubjac et que nous y serons soutenues », nous confie-t-elle à l’évocation de son jardin d’Eden, consciente combien sa vie est désormais réglée presque au millimètre. Cet exil du Périgord au Languedoc n’a pas dû être facile à négocier, mais on sent bien que rien n’aurait pu l’éviter malgré tous les déchirements intérieurs. Le destin de Gaëlle Mignot, c’est d’abord celui d’une volonté de fer.
LA FILLE QUI NE S’ARRÊTE JAMAIS
Pascal Mancuso, son entraîneur en club, résume : « C’est un gros caractère, c’est sûr. Elle n’a pas eu peur de partir de sa région pour rejoindre un club ambitieux. Il fallait le faire. Elle voulait devenir joueuse de haut niveau, elle l’est devenue, elle voulait devenir capitaine du club, championne de France, joueuse et même capitaine de l’équipe de France. Elle a réalisé tous ses objectifs ou presque. En 2014, je me souviens qu’elle est sortie de la compétition en se disant : « J’ai quatre ans pour être championne du monde. »» Trois ans en fait, à cause du changement de calendrier voulu par l’IRB, c’est pas plus mal, ça fait un compte rond pour elle : trente ans pour la talonneuse râblée d’1,57 mètres pour 65 kilos qui a la particularité d’avoir démarré le rugby dans le même club qu’un autre capitaine du XV de France, Thierry Dusautoir. C’était à Trélissac, dans la banlieue de Périgueux. Mais Dusautoir, elle ne l’a croisé que bien après, car elle a six ans de moins que lui. Elle fut d’abord mascotte de l’équipe mi- nime des garçons avant de basculer vers le sport exclusivement féminin. « J’ai connu des sélections régionales avec les garçons à Trelissac. Mes premières sélections filles, je les ai connues sous le maillot de Neuvic, puis je suis allé à Salon-Latour en Corrèze avant d’être contactée par Christophe Ernoux pour rejoindre Montpellier. Il supervisait aussi les premiers stages auxquels j’ai participé. » Se pencher sur la carrière de la « talonneuse » en chef du rugby français, c’est aussi comprendre que le rugby des filles s’éloigne à vue d’oeil des temps héroïques et empiriques. « Je la considère comme la première professionnelle en termes de préparation. Je l’ai vue passer de deux entraînements par semaine à sept ou huit en ce moment, dont seulement quatre séances avec le club. Ça veut dire qu’elle en rajoute trois ou quatre de son propre chef. Le plus fort, c’est qu’elle continue à travailler à côté », détaille Pascal Mancuso. C’est le grand paradoxe de Gaëlle Mignot. Robin Delaitre, préparateur physique du club, ajoute : « Son acharnement à se préparer fait toute la différence, mais je crois qu’elle y prend tout simplement du plaisir. Elle fut l’une des premières à se rajouter des séances. Le midi, elle prend un sandwich rapidement en pause-déjeuner puis elle file vite faire une séance de musculation ou d’haltérophilie. »
La capitaine de l’équipe de France a donc poussé très loin le professionnalisme, mais sans vivre directement de son art. En France, seules les « septistes » reçoivent un salaire officiel de la FFR. Sa condition de « talonneur » lui interdit ce privilège. Pour vivre, elle est employée par le MHR, le club pro, masculin, de Montpellier ou plus exactement par son fonds de dotation, une structure qui lui permet travailler en faisant des animations auprès des jeunes écoliers, qu’ils soient classiques ou en difficulté. Celia Ferrero, sa responsable et collègue, explique : « Elle a notamment développé avec moi un projet dans le monde du handicap. Nous faisons faire du rugby à des handicapés mentaux ou moteur. Elle sait s’adapter aux publics qu’elle a en face d’elle. Elle sait tout de suite imposer la distance nécessaire, c’est elle la coach, c’est évident, mais elle n’agresse personne. Il faut voir l’aura qu’elle a auprès des équipes de jeunes du MHR quand elle anime quelques séquences avec eux. » Pascal Mancuso estime aussi qu’elle aura du mal à échapper à un destin de coach qui lui tend les bras : « Par le soin qu’elle met à sa préparation, elle a déjà tiré les autres internationales de Montpellier vers le haut. Elle fait attention à tout, surtout à ce qu’on appelle l’entraînement invisible, le sommeil et la nourriture. »
PROFIL À LA FITZPATRICK
Le destin de Gaëlle Mignot n’a rien de celui des filles repérées grâce à des aptitudes hors norme, en termes de puissance ou de rapidité. « Il est sûr qu’elle ne s’appuie pas sur des qualités physiques au-dessus de la moyenne comme Safi N’Diaye par exemple, poursuit Pascal Mancuso. Son point fort, c’est sa mentalité hors du commun. Elle ne craint personne. Elle n’a pas peur de toucher le ballon si le jeu le demande, mais c’est dans les tâches obscures qu’elle est la plus forte, ce que le grand public ne perçoit pas forcément : la mêlée, les déblayages, le travail au sol sans compter ses qualités de meneuse notamment de son cinq de devant. » Si l’on devait la comparer à un garçon célèbre on opterait pour un Sean Fitzpatrick par exemple, le capitaine des premiers champions du monde all blacks : un talonneur d’exception sans qu’on puisse vraiment lui accoler des atouts personnels hors du commun, sinon cette capacité à fédérer les autres derrière lui. Le rugby dans toute son essence. « Oui, si l’on devait parler de mon point fort, ce serait mon goût pour le combat, mon envie de rien lâcher. Je suis souvent moins costaude que mes adversaires directes. Je dois rendre une vingtaine de kilos à ma vis-à-vis irlandaise par exemple. » Doit-elle encore progresser dans les lancers en touche ? « Oui sans doute, mais la touche dépend d’énormément de facteurs, des conditions climatiques, de la qualité des sauts, des « lifts ». »
UN SIÈGE À PROVALE
À la veille de s’envoler pour l’Irlande, aucune petite faiblesse ne venait voiler sa froide détermination. « Peu importe la difficulté de notre poule. Nous voulons les cinq victoires qui nous offriront le titre mondial. » Célia Ferrero relève : « Peu de gens se donnent autant les moyens qu’elle d’atteindre leurs objectifs. C’est impressionnant de voir combien sa vie est totalement planifiée, plusieurs mois à l’avance. » À ceux qui la réduiraient à cette mâle assurance, cette exigence individuelle propre à tirer froidement les autres dans son sillage, Pascal Mancuso apporte un bémol. « Gaëlle a plusieurs fois montré son attachement à son club. Alors qu’elle revenait de sélection, elle n’est pas du genre à rechigner à faire des efforts pour le collectif. Elle ne refusera jamais de jouer un match en cas de cascade de blessures de ses partenaires et même à rendre service en jouant pilier gauche. »
Il suffit de bien lire le CV de Gaëlle Mignot pour comprendre qu’elle sait que dans la vie, il existe des choses plus grandes qu’elle. Elle siège depuis trois ans au Comité Directeur de Provale, le syndicat des joueurs (et des joueuses) professionnel (le)s. « J’ai tout de suite accepté quand Robins Tchale-Watchou m’a appelé. C’est ce qui prouve aussi que les choses ont changé. J’estime qu’il est important de défendre notre pratique. Je me suis investi sur les problématiques de reconversion et de statut. » Elle a fait sourire ses collègues hommes quand elle leur a appris que les internationales n’étaient pas toutes payées et que certaines prenaient des congés. Même si elle devient championne du monde le 26 août, la « coccinelle » de Montpellier sait qu’elle aura encore du pain sur la planche. Il y aura encore un horizon à sa carrière, pousser encore plus loin le professionnalisme, pas seulement dans les têtes des joueuses mais dans la façon dont on les traite.
« Son point fort, c’est sa mentalité hors du commun. Elle ne craint personne. » Pascal MANCUSO Entraîneur de Montpellier