Matthieu Jalibert, l’étoile filante
MATTHIEU JALIBERT IL FAIT PARTIE DU PREMIER GROUPE DE JACQUES BRUNEL. LE DEMI D’OUVERTURE DE L’UBB A BRÛLÉ TOUTES LES ÉTAPES EN QUATRE MOIS. RETOUR SUR LE PARCOURS D’UN « BORDELUCHE », MOINS FACILE QU’ON POURRAIT LE CROIRE.
La semaine passée, calmement assis sur la table de son petit apaprtement spartiate, à deux minutes en voiture du stade André-Moga, il ne nous avait avoué qu’une ambition : retrouver… l’équipe de France des moins de 20 ans. Rien de plus. « Pour le reste, je ne sais rien.. » Et puis, mercredi, le verdict est tombé. Matthieu Jalibert était en cours (de management commercial), mais il a trouvé le temps de regarder son smartphone et il a vu son nom dans la liste officielle de la FFR. Une heure plus tard, il nous répondait avec une rare placidité : visiblement sa marque de fabrique, c’est plutôt bon signe pour un ouvreur avant le Tournoi. « Franchement, je ne réalise pas… C’est un rêve de gosse. Je n’ai pas souvent goûté à la sélection chez les jeunes… Je suis très touché de tous les messages qui me parviennent, toutes les notifications… Ça fait plaisir de se sentir soutenu… »
Depuis plus d’un an ces trois syllabes roulaient comme une promesse autour des terrains du stade André-Moga : Ja-li-bert. Les suiveurs de l’équipe espoirs laissaient filtrer le récit de ses premiers exploits. On s’interdisait de tirer des plans de la comète, ce n’était pas le premier, ce ne sera pas le dernier, on n’est jamais certain qu’un oisillon doué puisse passer la rampe. Mais le dernier débutant bordelais précédé d’une telle rumeur s’appelait… Marco Tauleigne. L’été dernier, à ceux qui s’alarmaient d’un manque de profondeur à l’ouverture de l’UBB, le président Marti opposait déjà ce patronyme, comme une surprise qu’il réservait à ses supporteurs, enclins à demander des grands noms. La pépite, ils l’avaient sous la main. Avec des attaches à Bègles, Talence, et Villenave d’Ornon, difficile de faire un profil plus « CUB ».
Le destin de Matthieu Jalibert ressemble à une prime d’assiduité, les dividendes des heures passées à Musard à polir un talent encore mal dégrossi. Les plus anciens joueurs de l’effectif de l’UBB ont vu grandir ce marmot dans leur voisinage jusqu’à le retrouver, un beau jour, dans leur propre vestiaire. Sous leur nez, le papillon était sorti de sa chrysalide. Un journaliste eut même récemment la surprise de voir une photo de lui, vieille de dix ans, en train de deviser avec un président sur la pelouse de Moga. Au premier plan, deux ramasseurs de balle de huit ou dix ans en maillot à damier… Les traits de l’un d’entre eux sont parfaitement reconnaissables… Une trajectoire de roman propre à ceux qui ont débuté directement dans un grand club. « J’ai commencé en Nouvelle-Calédonie où mon père était militaire. Mais je suis arrivé ici en poussins… J’ai été ramasseur de balles à Moga ou à Chaban-Delmas et pendant les vacances scolaires, j’allais m’entraîner aux tirs au but. Ça m’a permis de côtoyer des joueurs comme Hugh Chalmers, Ole Avei ou Blair Connor, des gars avec qui je joue maintenant. Je sais que ça leur fait bizarre et que ça leur donne un coup de vieux. »
PREMIER MATCH EN 10 LE 4 NOVEMBRE
À Bègles, il a aussi rencontré Jules Gimbert, dès les benjamins. Avec le demi de mêlée poids plume il joue les yeux fermés. Ils ont même déjà évolué ensemble avec les professionnels et partagent un appartement dans une résidence de Bègles. C’est dans ce T3 d’étudiants fourni par le club qu’il nous a reçus sans manières, peu avant l’annonce, apparemment imperméable au tumulte et sans nouvelle de Jacques Brunel, celui qui l’a lancé en septembre. Deux mois après, Matthieu était sélectionné avec les Barbarians avec seulement sept rencontres au compteur (dont cinq titularisations). « Dès son premier match avec les espoirs, le jour de ses 18 ans, il a fait une grosse prestation, on a mesuré toute sa classe. Nous n’avons jamais eu de doute. C’est une vraie personnalité avec un tempérament fort. J’ai avec lui des discussions franches, sans embrouilles. En plus, il est bien entouré. » explique son président Laurent Marti qui vient de lui faire signer un contrat espoir jusqu’en 2021 : « Il a été réglo… » commente le joueur déjà conscient de toutes les ficelles, avantages et contraintes d’un premier paraphe. « Je suis tout à fait conscient de sa classe évidemment, mais je sais qu’en France on veut toujours faire de nos jeunes des sauveurs de la patrie. N’oubliez pas la médiatisation qui a accompagné les débuts de Baptiste Serin. Et cette fois, il n’a pas été pris… » poursuit Laurent Marti.
C’est vrai qu’avec un maillot bordeaux sur le dos, son regard et son langage corporel ne trahit jamais la moindre fébrilité. On sent même une sorte de froide détermination d’un homme conscient de ses capacités : « J’ai toujours voulu être joueur professionnel. »
Sa réussite actuelle donne une fausse image de son jeune par- cours, plus laborieux qu’on pourrait le croire. Il n’est pas un produit des filières royales, il n’a pas connu Marcoussis, ni même les pôles régionaux, il a même connu une grosse déception à la fin de sa troisième : « J’ai été refusé au pôle espoirs de Talence à cause de mon gabarit trop léger. Je n’ai connu la sélection que l’an passé avec les moins de 19 ans… ». Plutôt rond, il n’avait alors rien d’un futur athlète. Il dut alors quitter le lycée Victor-Louis de Talence et ses programmes aménagés pour se retrouver dans un établissement « classique » à Bègles à devoir assumer les entraînements de son club après ses cours : « C’est un parcours atypique, heureusement qu’il y en a encore dans le rugby. Après son échec au pôle espoirs à cause de son physique, il s’est montré très demandeur. Il s’est forgé un physique à coups de séances de musculation avec Bertrand Dedieu. Il a même suivi le programme des Espoirs alors qu’il était encore Crabos. Il voulait anticiper les charges de travail. »
On n’imaginait pas, c’est vrai, ce Jalibert si facile aujourd’hui, dans la peau d’un stakhanoviste à la poursuite d’un destin qui aurait pu fuir entre ses doigts. « C’est simple, il était toujours au stade. Il y avait un créneau ouvert pour la préparation physique, il s’y est engouffré. Il a réussi à devenir athlétique plus tard que les autres. » poursuit Nicolas Zenoni, son entraîneur en Crabos qui lui a permis de prendre vraiment conscience de ses moyens. « Si j’ai fait de la musculation, c’est aussi pour résister aux chocs en défense. » Car Matthieu Jalibert avoue sans détour que les plaquages ne faisaient pas partie de ses points forts naturels. Il a dû se faire violence pour exister à ce niveau : « Chez les pros quand on est jeune, on est systématiquement visés. Dans les équipes de jeunes, la situation n’est pas la même. »
David Ortiz confirme qu’il devait progresser dans cet exercice ingrat, en implication et en intelligence. À écouter ce récit, on perçoit la volonté de fer qui lui a fallu pour surmonter ses complexes liés à son ancien gabarit pour s’opposer aux charges des bisons du Top 14.
« Il y a aussi les questions des montées défensives et de lecture des situations. Savoir si on est en surnombre ou en sous-nombre, ce n’est pas évident. »
LE COUP DE PIED DE TOULOUSE
L’année 2017 restera celle de son déclic majeur, débuts à Lyon pour voir, première titularisation à l’arrière à Oyonnax pour ressentir moins de pression liée à son poste. Premier match à Chaban contre Montpellier pour une victoire magnifique face au leader « et un coup de coude magistral de Mikautadze ». Et puis, le coup du sort, ces blessures de Simon Hickey et de Tiaan Schoeman qui lui ont ouvert des portes, c’est indéniable. À relire ses statistiques, on reste ébahi par le fait qu’il n’a vécu son premier match avec le numéro 10 que le… 4 novembre à Toulouse, un match énorme sur le plan offensif, mais ponctué d’un échec retentissant sur l’ultime pénalité. « C’est sûr qu’à 18 ans, on n’est pas forcément préparé à supporter le poids d’un match sur ses épaules. Mais je trouve des raisons techniques à cet échec. J’ai trop voulu assurer. On voit bien que je ne suis pas gainé. Je n’ai pas fini de frapper que je regarde déjà les poteaux… Peut-être que cet échec m’ a été salutaire. Si j’avais réussi, il se serait passé beaucoup de choses autour de moi. Ça m’a donc permis de garder les pieds sur terre… »
IL A SAUTÉ LA TALANQUÈRE
Quand on a son profil de surdoué offensif, d’un caractère peu sujet au stress, a difficulté vient souvent de se conformer à un plan de jeu préétabli, moins axé sur sa créativité naturelle. Le 4 janvier face à Lyon, il a encore débloqué la situation sur un petit slalom au milieu d’une forêt de féroces défenseurs pour une passe décisive vers Marco Tauleigne : l’éclair offensif d’une après-midi dédiée à un rugby tactique d’occupation, pimentée par un cent pour cent au pied, le deuxième consécutif. Lui, le joueur d’instinct par excellence passait un test important, respecter un plan de jeu volontairement frileux sous la pluie. La mission a été accomplie même si les ayatollahs du beau jeu n’ont pas forcément compris sur le moment. En assurant dans ce match d’épicier, il a peut-être donné les derniers gages à ceux qui l’observent. Il a tellement vécu de choses depuis six mois et notamment, lui, le « Bordeluche » Béglais depuis ses huit ans, la satisfaction hormonale d’avoir sauté la talanquère en passant du statut de supporter à celui d’acteur dans ses propres jardins, un “trip” à la Rougerie ou à la Poitrenaud ou presque : « J’avais assisté à tellement de matchs à Chaban depuis l’enfance, je me disais que ça devait être grandiose et maintenant, j’y suis. Des fois, je ne réalise pas. Mais le plus fort, c’est ce que j’ai ressenti au Matmut Atlantique contre La Rochelle, 36 000 personnes qui encouragent. Un vrai match de phase finale avec un engouement terrible. Quand on a subi un carton rouge, j’ai pris la parole sous les poteaux j’ai affirmé au groupe qu’on allait gagner malgré tout. »
« J’ai été ramasseur de balles ... et j’allais m’entraîner aux tirs au but à Moga, Ça m’a permis de côtoyer des joueurs avec qui je joue maintenant.. Ça leur fait bizarre… »