Faute professionnelle
N’oublions pas que Thomas Arnold, éminent Victorien, d’abord directeur à l’école de rugby, a imposé la pratique sportive au dix-neuvième siècle pour arracher la jeunesse anglaise à ses mauvais penchants, ses lieux de perdition. Entre Thomas Arnold et Rudyard Kipling s’est modelée l’âme de maints héros du temps de guerre et du temps de paix dont peut s’enorgueillir le jeu de rugby. Ce n’est pas pour autant qu’un putain de trois-quarts ou de pilier de mêlée va se prendre pour un modèle de vertu. Au contraire, le but du jeu était de n’avoir pas volé son coup à boire. Et en aura-t-on vu, des équipes d’Angleterre dansant sur les tables au banquet du soir, ou faisant sa fête au malheureux hôtelier !
Converti en jeu français, le rugby ne risquait pas d’entrer davantage en sainteté. Un jour,
René Crabos, président de la FFR m’a fait un énorme compliment : « Je vous félicite pour tout ce que vous écrivez. Mais je vous félicite plus encore pour tout ce que vous n’écrivez pas ». La veille au soir, il est vrai, dans un faubourg de Buenos Aires, l’un de nos joueurs avait pris un pruneau dans le pied, rien que ça. René Crabos connaissait la musique, il était l’homme qui disait : « Le rugby reste un jeu entre amis. Il y a le match, avant le match et après le match ». De là, d’ailleurs, me viendra sous la plume cette expression de « troisième mi-temps » qui fera son chemin. Troisième mi-temps, que de crimes commis en ton nom ! Mais le rugby était encore le jeu des hommes libres. Libres de leurs engagements comme de leurs excès.
Converti en jeu professionnel, livré à la société du spectacle et des réseaux sociaux, le rugby désespérément essaie de croire encore aux valeurs qu’il tenait de Thomas Arnold ou de Rudyard Kipling. C’est pourquoi Jacques Brunel, qui fait penser à un instituteur d’autrefois, ou un médecin de famille, s’est efforcé de faire publiquement les gros yeux à des joueurs de l’équipe de France qui ont pété les plombs à Édimbourg. C’est à croire, en effet, qu’ils se prennent toujours pour des hommes libres, non des joueurs sous contrat avec leurs employeurs et la curiosité publique. Et puis quoi, encore ! Il faudrait peut-être leur arrondir les angles des tables de nuit ? On ne sait plus s’ils sont à blâmer ou à plaindre. La vérité tient sans doute en cette confidence que me faisait déjà, au temps des hommes libres, l’ami Peter Robbins, troisième ligne d’Oxford et de la Rose : « Ne nous berçons pas d’illusion. Si un type est un salaud ou un con, le rugby ne lui fournira qu’une superbe occasion de plus d’être un salaud ou un con ». Voilà pourquoi nous devons penser qu’il ne suffit pas d’être bon au ballon pour être digne de jouer en équipe de France.