Midi Olympique

MODES ET MODERNITÉ

- Par Jacques VERDIER

Avec ce retour, partout proclamé, à la « french pass », au service court, à la prise de profondeur, aux trajectoir­es rentrantes, à la nécessité d’inlassable­ment répéter des quatre contre trois, des trois contre deux, des deux contre un, c’est le « grand Lourdes » que l’on ressuscite et, avec lui, une partie du patrimoine français. Le jeu ligne contre ligne où s’est engagé le rugby moderne, se prête il est vrai assez bien à ça. Et il est assez cocasse, pour les gens de mon âge, d’entendre à nouveau, dans la bouche des technicien­s actuels, les préceptes qu’on leur inculquait à dix ans, dans les années soixante. Photograph­ier la situation, rentrer, donner, accélérer sur la prise de balle : le catéchisme d’alors n’aurait-il donc pas pris une ride ? Laurent Labit, dans ces colonnes, la semaine dernière ne disait rien d’autre que ce que véhiculaie­nt Roger Martine et Maurice Prat, à la tête du F.C. Lourdes il y a cinquante ans et plus. Le jeu, dans sa modernité, prendrait-il donc ses bases dans le rugby de grand-papa ? Du passé, on ne ferait plus table rase ? Vous avez dit bizarre, mon cher cousin, comme c’est bizarre…

La question qui se pose à nous dans ces conditions serait alors de comprendre pourquoi cette fleur du patrimoine français fut-elle abandonnée sur l’autel des modes, des oukases imbéciles, cette façon qui est la nôtre de toujours courir après ce que font les autres. Vous souvenez-vous de cette période où nos meilleurs technicien­s présumés avaient décrété, la main sur le coeur, la mort du jeu de ligne, de l’attaque en première main ? De cette folie qui voulut, dans les années 19701980, que l’on s’ingénie à préconiser un jeu sans passe, au prétexte hallucinan­t que la passe pouvait être intercepté­e et participai­t d’un risque anti-pédagogiqu­e ? Vous souvenez-vous, dis-je, de notre précipitat­ion à copier les Blacks, les Boks, les Wallabies, les Anglais même, tous porteurs, via les mauls pénétrants, les pick and go, la prise du milieu de terrain, les coups de pied dans la boîte, les passes sautées, de la modernité même du jeu ? Et partant de notre aversion pour tout ce qui était français ? Que n’a-t-on dit sur les Boniface, sur Maso et Codorniou, sur cette école lourdaise vilipendée, foulée aux pieds par les « sachants » comme on dit aujourd’hui ? Tout cela prêterait à sourire si les AllBlacks de Nouvelle-Zélande n’avaient su garder, eux, à travers les âges, l’ensemble de ces fondements. C’est eux qui s’ingénièren­t à parler de la « french pass » justement, eux qui rétabliren­t le sens du jeu en première main dans les années 1980 et continuent depuis à enseigner les rudiments du service sur un pas, du décalage sur la passe, du décalage en bout de ligne mené à son terme selon les principes du rugby à la française. Ils n’en sont pas restés là, bien sûr et le rugby, pas plus à Lourdes qu’ailleurs, ne s’est jamais résumé à cela. Les phases de conquête, les phases de combat ont toujours pesé d’un poids considérab­le sur l’évolution du jeu et il ne saurait être question de les négliger. Elles sont naturellem­ent impérative­s.

Mais si la modernité de ce sport nous renvoie désormais aux sources de notre culture, mesurons plutôt combien le rugby français s’est laissé bouffer par les modes au nom d’une évangélisa­tion stupide aux acquis étrangers. Notre manque de confiance en nous, éclate ici de manière consternan­te. Puissionsn­ous seulement, un jour, y remédier.

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