Midi Olympique

L’USAP EST ÉTERNELLE

AU BOUT D’UNE SAISON MARATHON, RICHE EN ÉMOTIONS ET PARSEMÉE DE COUPS DU SORT, LES CATALANS SONT PARVENUS À RECONQUÉRI­R LEUR PLACE DANS L’ÉLITE. L’HISTOIRE SPORTIVE EST BELLE. L’HUMAINE L’EST ENCORE PLUS.

- Par Vincent BISSONNET vincent.bissonnet@midi-olympique.fr

Un stade Ernest-Wallon drapé de sang et or, tout un peuple en communion, des joueurs émus aux larmes, un vrai trophée de champion passant entre leurs mains : quatre ans et trois jours après la cruelle première relégation de son histoire, l’Usap ne pouvait rêver d’un plus heureux et gracieux dénouement. Une délivrance comme une juste récompense : les Catalans ont terminé premiers de la phase régulière avec l’attaque la plus efficace de toute la division, ont pu compter sur le public le plus fidèle du championna­t avec près de 9 000 spectateur­s de moyenne à Aimé-Giral et ont démontré une maîtrise de ténor en phases finales. La normalité apparente de cette belle petite histoire cache une réalité plus heurtée, moins linéaire : le parcours de champion des Perpignana­is s’est paradoxale­ment révélé être un chemin de croix, parsemé de coups du sort, de coups de griffes. Le mérite des Sang et Or en paraît encore plus grand. Sempre endavant mai morirem, toujours en avant, jamais nous ne mourrons. La devise catalane, réappropri­ée par l’Usap, a subi l’épreuve du feu depuis onze mois. Tout a commencé le 16 juin 2017. Brice Mach, tête de gondole du recrutemen­t et enfant du pays, se voit diagnostiq­uer un grave problème aux cervicales. L’internatio­nal doit raccrocher les crampons, contraint, forcé. Une question de survie. Une terrible nouvelle. Un mauvais présage, aussi. Les galères se suivent sans se ressembler. Toutes proportion­s gardées, elles dépeuplent progressiv­ement le vestiaire. Le 9 août, le facteur X des lignes arrière Alipate Ratini est licencié en raison de son addiction à la boisson. Le 13 octobre, le fer de lance du paquet d’avants Sione Tau est suspendu deux ans par l’Agence française de lutte contre le dopage pour des faits remontant à son époque agenaise. Dix jours plus tard, Romain Millo-Chluski sent son ligament croisé antérieur du genou gauche se rompre et son ultime défi crucifié dans le même temps. Le 21 novembre, la malédictio­n prend une tournure encore plus dramatique : le maître à jouer sud-africain Jacques-Louis Potgieter révèle souffrir d’une maladie grave. Une tumeur au cerveau, passée sous silence dans un premier temps. Le Sud-Africain a depuis été opéré et poursuit son combat pour rester en vie. Le pilier Yann de Fauverge suivra le même chemin. Une retraite à seulement 21 ans en raison de cervicales trop endommagée­s.

« LES MALHEURS, LES COUPS DE BAMBOU… »

La boucle du malheur était bouclée… Cruelle ironie d’une histoire n’ayant rien épargné aux hommes de Patrick Arlettaz. Le 2 mars dernier, au coup de sifflet final d’une défaite anecdotiqu­e à Nevers, émaillée de deux blessures graves, le technicien n’avait d’ailleurs pu contenir son exaspérati­on face à ce scénario catastroph­e : « De mémoire de joueur et d’entraîneur, je n’ai jamais connu une saison comme celle-ci. Ce qui m’inquiète, c’est que Christian Lanta non plus. Mais quand « Pompon » (l’intendant du club, N.D.L.R.) dit qu’il n’a jamais connu ça lui aussi alors qu’il a quatre-vingts balais et qu’il a toujours été dans le vestiaire de l’Usap, ça m’inquiète grandement. » Au fil des événements et des semaines, les Catalans ont tremblé, ont pleuré, se sont pincés pour y croire. Pardelà tout, ils se sont resserrés et ont puisé une force intérieure pour avancer. « Il y a autant de moments charnières ou durs, évoque le pilier Enzo Forletta. Ils nous ont rendus forts. Ce groupe a vécu une aventure. Ce n’était pas que venir le matin, s’entraîner ensemble et repartir le soir à la maison. Il y a vraiment un truc qui s’est créé entre nous, staff comme joueurs. »

Avec le recul, Patrick Arlettaz apprécie à sa juste valeur le chemin parcouru. Sur les derniers mois mais pas seulement. Les quatre années de purgatoire ont endurci ce collectif parti de très bas, sans grandes certitudes ni budgets déraisonné­s, avec des jeunes du cru, des revanchard­s d’ailleurs, des sous-côtés, des oubliés. Il a survécu au désamour, au doute, à la tristesse pour tout reconquéri­r : la passion, la flamme, la fierté. « Cette équipe s’est construite sur à peu près tout. Sur les malheurs des saisons précédente­s, sur tous les coups de bambou reçus par les joueurs, sur la volonté de s’en sortir ainsi que sur tous les aléas de cette saison. Si l’on m’avait dit posément au mois d’août qu’il allait arriver ça, ça et ça et si l’on m’avait demandé où est-ce que je voyais l’Usap au terme de celle-ci, je n’aurais pas dit en finale. Pourtant, Dieu seul sait que j’y crois, Dieu seul sait que j’ai confiance en eux. Mais quand vous mettez bout à bout tout ce qu’il nous est arrivé, je n’aurais pas misé la maison dessus. Peut-être cinquante centimes, manière de dire « bon on ne sait jamais ».»

LA BATAILLE DE CARCASSONN­E, LA BOUE À BAYONNE…

Personne à Aimé-Giral n’aurait cru vivre autant d’émotions, négatives comme positives, lors de la reprise. « On ne s’était pas dit le premier jour de l’année : l’objectif, c’est d’aller en Top 14, raconte le flanker Alan Brazo. Le but était de se qualifier puis d’avoir la demie à domicile. L’appétit est venu en mangeant. » En se montrant conquérant, enfin, à l’extérieur. Tom Ecochard et ses partenaire­s sont devenus tueurs loin d’Aimé-Giral, à Grenoble, Mont-deMarsan ou encore Vannes. Patrick Arlettaz, encore : « Le tournant, je pense que c’est le premier match à l’extérieur contre Carcassonn­e, qui avait été très dur, très âpre et très dur dans le scénario, et où finalement l’équipe fait une prestation plutôt aboutie, en gagnant le match dans les quinze dernières minutes. Celui-ci était important. Et puis le déplacemen­t à Bayonne aussi. C’était un gros rendez-vous, sous des trombes d’eau. Bayonne, ce n’était même pas qu’il pleuvait, c’était un déluge. On y est allé en arche, les joueurs voulaient jouer en bottes, c’était catastroph­ique ! Et pourtant, nous avons gagné en faisant du jeu, notre jeu. » Ces deux succès paraissent loin désormais mais ils n’en restent pas moins révélateur­s : « Ce sont ces deux matchs qui ont été prédominan­ts. Ces deux-là qui nous ont marqués et sont venus confirmer aux joueurs qu’ils avaient le potentiel pour passer à peu près tout. Ça a toujours été comme ça. Les grandes équipes se construise­nt toujours à l’extérieur, dans l’austérité. » L’Usap a été capable de s’arracher dans la boue comme de rayonner par beau temps. Après avoir affolé les défenses et dépassé la barre des cent essais inscrits sur la saison, pour le plus grand plaisir de Patrick Arlettaz, les Sang et Or ont forcé leur destin, au printemps, grâce à leur grand huit de devant, en hommage à Perry Freshwater. La finale, un temps dominée par les Grenoblois, restera un chef-d’oeuvre de pure force catalane, dans le sillage de l’enfant du pays Enzo Forletta. La mêlée catalane, dominatric­e à chaque impact, a fini par ramener Perpignan à sa place. Dans l’élite, où elle a évolué plus d’un siècle durant.

Ce dimanche, à Ernest-Wallon, un petit supplément d’âme a sans nul doute porté le paquet d’avants. Un souffle amené par les historique­s, Nicolas Mas et Guilhem Guirado, et par les grands absents du jour, Romain Millo-Chluski et autres Brice Mach. L’éternelle Usap, dans la douleur, dans la souffrance, a repris sa marche en avant. Sempre endavant. Jamais ils ne mourront.

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Photo Midi Olympique - Patrick Derewiany La Catalogne bascule dans l’euphorie. Les Usapistes de Mathieu Acébès ont réussi à aller au bout de leur rêve d’accession, malgré les vents contraires. Dans le sillage de Tom Écochard (en haut à droite) et Alan Brazo (en bas à droite), Perpignan a...
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