« HEUREUX QUI COMME BRENNUS… »
À L’INITIATIVE DU CHAMPION DE FRANCE CLERMONTOIS, LE BOUCLIER DE BRENNUS EST EN VISITE AUX ÎLES FIDJI. PLONGÉE EN EAUX TURQUOISES DANS UN UNIVERS TOUT EN PASSION ET DÉVOTION.
Heureux qui comme… Brennus »… a fait un long voyage. Celui que s’offre le Bouclier de Brennus, en cette fin de saison haletante où tous les prétendants à la succession de Clermont-Auvergne sont en ordre de bataille, est historique. Pour la toute première fois de son histoire centenaire, le trophée a pris quelques vacances loin, très loin de son berceau. Un périple de 17 000 kilomètres pour lui mettre « down under », la tête à l’envers de l’autre côté de la planète. Une idée auvergnate initiée du côté de Marcel-Michelin comme le raconte l’ancien troisième ligne de l’ASM Jean-Marc Lhermet, aujourd’hui directeur du développement de son club de coeur, qui accompagne le bouclier dans son périple fidjien en duo avec Bertrand Rioux, le directeur du centre de formation. « Au coeur des phases finales de 2017, on s’était dit que si on venait à gagner à nouveau le bouclier, on l’emmènerait aux Fidji. Depuis 2010, Clermont a construit pas mal de choses avec la province de Nadroga, au sud de l’île. Nalaga, Noa (Nakaitaci) Raka ou Yato étaient les enfants de cette union constructive. Dans la mesure où l’on pouvait le faire, il fallait aider l’idée à avancer. » La suite, on la connaît avec ce titre obtenu aux dépens de Toulon (2216) grâce à un essai venu d’ailleurs, des Fidji of course, signé de l’ailier Alivereti Raka. Restait à trouver le bon moment… « Ce ne fut pas facile, concède Lhermet. On voulait partager le titre et le bouclier avec la grande famille de l’ASM, dont Nadroga fait partie. Mais il fallait d’abord satisfaire les désirs de nos supporters et partenaires. On pensait venir aux Fidji en février. Ce fut reporté. La fenêtre de tir, ensuite, se rétrécissait au fur et à mesure qu’avançait la saison. Et puis il fallait obtenir les autorisations (LNR, FFR), trouver le transporteur, l’acheminer en toute sécurité, etc. » Le début du mois de mai restait la seule date disponible dans les calendriers respectifs. Nadroga avait repris son championnat, Franck Boivert qui oeuvre depuis trente ans au développement du rugby dans ce coin du Pacifique, était parvenu à boucler le projet du côté local. L’aventure pouvait commencer.
UN AMBASSADEUR COMBLÉ
« Il est là ! » Il, bien sûr, c’est le bouclier de Brennus, le plus célèbre trophée du sport français, « le bout de bois » comme il a été surnommé dans notre rugby. Une espèce de totem, cadre de bois orné d’un bouclier en cuivre, où sont inscrites des lettres majuscules cabalistiques totalement inconnues pour qui ne pratique pas la langue d’ovalie : RCF, Usap, RCT, ASM, CO, FCL, ASB. Lorsque Franck Boivert, ancien troisquarts centre de l’Usap, puis entraîneur de l’université américaine de Stanford, envoya ce message, « il est là ! », depuis Nadi, l’aéroport international des Fidji, le feu vert de l’aventure Pacifique du Brennus était donné. Avec un programme digne d’un grand dignitaire. Sa première étape ? L’ambassade de France à Suva où le premier représentant de l’Etat français, Sujiro Seam, lui réserve un accueil des plus chaleureux. Passionné de rugby, celui qui joua ailier au collège, à Versailles et Fontainebleau, est aux anges. Il sera son premier supporteur tout au long du périple fidjien. « Quel est selon vous le premier produit d’exportation des Fidji, s’amusa-t-il lors de son discours d’accueil. Pas le kava… Ni la canne à sucre ou le coprah (obtenu à partir de la noix de coco)… Ni davantage l’eau naturelle Fidji water… Non, la première exportation fidjienne est le joueur de rugby ! On en comptabilise près de 300 rien qu’en France. Il faut dire qu’ici le rugby est une religion. Et à quoi reconnaît-on l’importance d’une religion ? À l’heure de la messe, les rues sont vides. Les jours de match de l’équipe fidjienne, on ne voit personne dans les rues de Suva, Nadi ou d’ailleurs. »
Le décor est planté. Seremaia Baï et Sireli Bobo, invités par l’ambassadeur n’en croient pas leurs yeux. Eux qui ont brandi le bouclier lors de leur carrière en Top 14, peuvent le voir et le toucher chez eux, à Suva. « C’est une belle forme de reconnaissance pour notre rugby, affirme Baï, deux fois lauréat du Brennus avec Clermont (2010) puis Castres (2013). Merci à Clermont ! » Son SMS de bienvenue a fait sourire ceux qui l’ont lu. « Quelques souvenirs et récompenses après avoir gagné le bouclier : une prime individuelle de 10 000 euros et une belle montre d’une valeur de 3 000 euros pour le titre avec Clermont… À Castres, qui est un club plus petit… on s’est vu remettre un billet d’avion équivalent à 1 000 euros et une montre qui valait 500 euros… Revoir le bouclier ici me rappelle une montagne de souvenirs, remplis d’un dur labeur, de discipline, d’implication, de rires et de larmes ! »
LE PROJET NADROGA
Samedi, le bouclier prit la route de Sigatoka, fief de la province de Nadroga. Il vola la vedette aux joueurs locaux, opposés à ceux de Suva pour le compte de la deuxième journée du championnat local. Nadroga, champion en titre, ne voulait pas décevoir ce bouclier de cuivre que de glorieux aînés tels Nalaga, Raka ou Yato, eurent l’honneur de brandir dans le ciel du Stade de France. Depuis 2010, et grâce au dévouement de Franck Boivert, l’ASM et Nadroga entretiennent des liens privilégiés, reconduits tous les quatre ans par une convention. Jean-Marc Lhermet et Bertrand Rioux ont signé la deuxième mouture, dimanche après-midi. « Il n’y a rien de formel, explique Lhermet. On n’a pas d’académie ici (2). Mais le lien tissé depuis 2010 s’est renforcé au fil du temps. Et cette année, nous l’avons élargi aux filles, puisque l’ASM s’est associée à Romagnat pour avoir une équipe de premier plan ».
La contrepartie de ce lien entre Nadroga et Clermont est financière, bien sûr. Pour chaque joueur qui quitte son île pour l’Auvergne, le club des Stallions (Etalons) de Nadroga est dédommagé au titre de la formation. Du matériel est fourni, des stages de détection de jeunes organisés sous l’autorité de Franck Boivert. Avant le match, Jean-Marc Lhermet eut l’honneur de procéder à la remise des maillots, après la prière et le sermon du prêtre méthodiste. Deux heures plus tard, au terme d’un match engagé, Nadroga venait à bout de Suva dans les arrêts de jeu (2826), malgré la précision du buteur adverse, l’ouvreur Ratu Meli Kurisaru, qui n’est autre que le petit frère de Nalaga ! La pénalité de la gagne fut réussie juste avant la sirène. Les chants fidjiens pouvaient faire vibrer les murs du vestiaire de Nadroga, avec toujours le bouclier pour témoin. Il eut droit à ses flashs et ses effusions avant de reprendre la route. Une visite au village de Yato et Raka l’attendait ce lundi, avec réception officielle et bénédiction des autorités religieuses locales. Qui aurait dit qu’un jour Brennus, du nom d’un chef gaulois, rencontrerait les chefs d’un petit village reculé des montagnes fidjiennes. Ils sont fous ces Gaulois ! (1) En fait Noah Nakaitaci n’a pas été formé par l’académie de Nadroga, mais lors d’un match de sa province, Lautoka, face à Nadroga, il impressionna les entraîneurs de la Nadro qui le signalèrent aux Clermontois.
(2) L’académie est celle de Nadroga, créée en 2011 par la province du même nom.