LE DROIT AU RÊVE
IRRÉSISTIBLE DEPUIS PLUS D’UN MOIS, LE RACING EST LA SEULE ÉQUIPE EUROPÉENNE ACTUELLEMENT CAPABLE DE BATTRE LE LEINSTER. CHICHE ?
On aime ou on déteste. Mais le Racing concentre aujourd’hui tous les regards, tous les rêves et toutes les jalousies. Des six équipes françaises qui s’étaient lancées dans la conquête européenne, il est le seul à avoir acquis le droit de fouler San Mamés, l’un des trois plus beaux chaudrons de la Liga espagnole, « le plus impressionnant avec le Camp Nou », ajoute Diego Simeone, l’entraîneur de l’Atletico Madrid. On aime déjà ce stade, on aime déjà ce match et ce qu’il représente, pour un rugby français sevré de gloire continentale depuis près de trois ans, au soir où la goinfrerie toulonnaise avait brutalement pris fin avec les départs conjoints de Bakkies Botha, Chris Masoe et Carl Hayman. « La tension monte, dit Jacky Lorenzetti. Les visages ont changé au fil des jours et les deux Laurent sont bougons, tracassés par le moindre grain de sable dans leurs chaussures. Mais c’est bon signe. Ça veut dire qu’ils sont déjà dedans… » Travers et Labit ? Ils ont touché le Brennus à deux reprises, avec deux clubs différents. Après un premier échec en 2016, à Lyon, ils ont aujourd’hui conscience qu’un titre européen leur offrirait une véritable légitimité vis-à-vis de Bernard Laporte et des caciques de la fédé. Galthié trop clivant, Azéma et Collazo trop jeunes, Mignoni pas assez titré, les « Trabit » s’imposeraient comme de très sérieux prétendants à la succession de Jacques Brunel, s’ils décrochaient l’Europe à Bilbao. Mais on n’en est pas là, n’est-ce pas ? Car c’est une montagne, un géant qui se dresse aujourd’hui sur la route du club des Hauts-de-Seine. Invaincu depuis le début de la Champions Cup et
surfant encore sur le Grand Chelem irlandais, le Leinster est semble-t-il programmé pour remporter cette compétition européenne. Et si du 1 au 15, les joueurs du Racing n’ont a priori pas de complexe à nourrir vis-à-vis des coéquipiers de Johnny Sexton, le match auquel se livreront les fans en tribunes tournera, lui, à l’avantage des 8 000 supporters
celtes. Lorenzetti poursuit : « À cause des grèves et du peu de chambres généralement disponibles dans cette ville, nous avons rencontré quelques difficultés pour faire venir nos supporters à Bilbao. Il faut savoir qu’il n’y a que cinquante hôtels, làbas… Les agences de voyages et les tours operator étaient dessus depuis des mois et proposaient des nuits à 1 500 euros à nos supporters. Ridicule. Au final, nous pourrons néanmoins compter sur le soutien de 2 000 personnes, ce qui représente déjà une belle colonie. »
LAURET : « JE NE VAIS PAS À BILBAO POUR VISITER L’ESPAGNE »
Outsiders du dernier round, les Racingmen ont aussi vu leur cote plonger au jour où Maxime Machenaud, leader de combat et 90 % de réussite aux tirs au but, a laissé son genou sur la pelouse de ChabanDelmas. Depuis lors, un homme est au centre de toutes les conversations : Teddy Iribaren. Plus vif que son rival mais moins fort en défense, surdoué dans le jeu déstructuré mais moins pertinent que ne l’est Machenaud dès lors qu’il s’agit de gérer les temps faibles de son équipe, l’ancien Briviste porte une énorme responsabilité sur ses épaules. Répondra-t-il aux attentes placées en lui ? Sa complémentarité avec Pat Lambie, plusieurs fois démontrée cette saison, s’exprimera-telle à nouveau à Bilbao ? Éric Blanc, champion de France avec le Racing en 1990 et observateur assidu des performances franciliennes, déplace le débat
sur un tout autre terrain : « Le Leinster est favori mais la finale n’est pas déséquilibrée comme elle avait pu l’être en 2016. À l’époque, les Saracens roulaient sur tout le monde et le Racing n’était pas au niveau qu’il est aujourd’hui. S’il est un doute à avoir, il concerne pourtant la capacité des Racingmen à répondre aux séquences de très haute intensité que proposeront les Irlandais. Depuis la demi-finale, les titulaires du Leinster sont tous au repos : thalasso, massages aux huiles essentielles et compagnie… Le Racing, lui, joue à l’énergie et a dû ferrailler pour arracher sa place en demi-finale du Top 14. C’est ce qui m’inquiète, à vrai dire. » Moins rompus à l’exercice des finales européennes que ne le sont les Irlandais, les Racingmen n’en restent pas moins irrésistibles depuis deux mois (sept victoires en huit matchs toutes compétitions confondues) et, désormais placés en pleine lumière, assurent vouloir se montrer dignes de la mission qui leur est confiée.
« Personnellement, souffle Wenceslas Lauret, j’ai déjà perdu deux finales de Coupe d’Europe (avec Biarritz en 2010 et sous les couleurs du Racing, il y a deux ans) et je sais quel goût ces deux claques m’ont laissé dans la bouche. Je ne vais pas à Bilbao pour visiter l’Espagne. Je veux gagner cette compétition. » Dans la mesure où les cieux daignent exaucer le souhait du flanker international, le club des Hauts-de-Seine basculerait de facto dans une autre dimension. Dépoussiéré par la naissance de la U Arena, le Racing a cette saison vu ses affluences doubler en quelques mois, passant de 7 000 à 14 000 spectateurs les soirs de pitance ordinaire, flirtant avec les 20 000 personnes au moment des grosses affiches. « Avec un titre européen, conclut Eric Blanc, le Racing ne serait pas encore l’égal du Stade toulousain ou de Toulon mais il se placerait comme la super puissance des dix prochaines années… » ■