Midi Olympique

LA MUE DES LAURENT

DU CHAMPIONNA­T DE PRO D2 AUX SOMMETS EUROPÉENS, LE DUO FORMÉ PAR LAURENT TRAVERS ET LAURENT LABIT A CONNU UNE ASCENSION AUSSI SPECTACULA­IRE QUE RÉGULIÈRE. PENDANT CES TREIZE ANNÉES, LE DUO A GAGNÉ, PERDU, MAIS SURTOUT BEAUCOUP APPRIS.

- Par Simon VALZER simon.valzer@midi-olympique.fr

Que de chemin parcouru.Voilà ce que penseront certaineme­nt les inséparabl­es Laurent Labit et Travers quand ils réaliseron­t, dans l’intimité des vestiaires du stade San Mamés de Bilbao, qu’ils vont disputer une deuxième finale européenne, treize ans après le début de leur collaborat­ion. En treize ans, les deux Laurent ont littéralem­ent changé de galaxie, passant de l’anonymat du championna­t de Pro D2 où ils prirent les rênes de Montauban jusqu’à leur installati­on dans le cockpit de l’une des plus impression­nantes machines du rugby européen, le Racing 92. Bien sûr, Rome ne s’est pas construite en un jour, et leur parcours illustre une montée en puissance régulière et constante. Pour leur première année à Montauban, ils décrochent la qualificat­ion en 2005 puis le titre de Pro D2 l’année suivante et installent le MTG XV dans le Top 14 (trois maintiens successifs de 2006 à 2009). En rejoignant le CO, ils prennent les commandes d’une machine de cylindrée supérieure. Là encore, les deux technicien­s améliorent leur machine, la conduisant des barrages (2010 et 2011) à la demi-finale perdue en 2012, puis au Brennus l’année suivante. L’heure est venue pour eux de passer dans la catégorie reine, celle des clubs aux énormes moyens financiers tel qu’est le Racing 92 qu’ils mènent au titre de champion de France en 2016 ainsi qu’à une finale de Champions Cup la même année. Voilà pour le parcours. Mais comment l’ont-ils vécu de l’intérieur ? Qu’ont-ils appris ?

CABALLERO : « BIEN VIVRE POUR BIEN JOUER »

Le flanker Yannick Caballero connaît les deux Lolos mieux que personne. C’est même à eux qu’il doit le début de sa carrière pro : « Je ne jouais que très peu à Castres, Laurent Labit m’a contacté pour tenter l’aventure en Pro D2. C’est comme cela que j’ai signé mon premier contrat profession­nel », raconte l’intéressé. « Je me souviens que leur entente a été quasi immédiate : avec un groupe équilibré entre des jeunes et des revanchard­s, la mayonnaise a pris tout de suite et nous avons marché sur le Pro D2. À l’époque, leur méthode de management était simple : c’était avant tout bien vivre pour bien jouer. On faisait les cons, sur et en dehors du terrain, on rigolait tout le temps. On s’en foutait, personne ne nous attendait à ce niveau. À mesure que les saisons sont passées, que les résultats sont venus et que les présidents se sont succédé, les deux Laurent se sont adaptés et ont revu leurs exigences à la hausse. Peu à peu, on a moins fait les cons, mais c’était normal au vu des attentes qui étaient toujours plus grandes. À Castres, c’était pareil : ils ont toujours cherché à construire un groupe qui s’entendait bien. Et je pense que cela s’est vu. »

LA DIFFICILE ADAPTATION AU RACING 92

En ce sens, le titre de champion de France fut une consécrati­on de leur méthode. Avec un groupe de sans-noms, ils ont fait tomber le RCT et sa pléiade de stars menées par le terrifiant Bakkies Botha. L’image était trop belle et trop forte pour ne pas rappeler la légende de David et Goliath. Mais sitôt le titre fêté, les deux Laurent sont passés de l’autre côté du périph. En passant de la campagne tarnaise aux abords de la capitale, ils ont changé de dimension et pris pour la première fois de leur carrière les commandes d’une équipe appartenan­t à la même classe que celle qu’ils venaient de terrasser en finale quelques semaines plus tôt : un club ambitieux, doté de moyens immenses et désireux de jouer le Top 14 et l’Europe en même temps. Le changement fut brutal. Et les deux technicien­s accusèrent le coup. « La mentalité entre Castres et le Racing 92 était vraiment différente à l’époque, se souvient Caballero. D’après ce que j’avais compris, les joueurs du Racing faisaient un peu ce qu’ils voulaient pendant les entraîneme­nts avant leur arrivée. Comme partout, ils ont eu besoin de temps pour imposer leur méthode et les résultats ne sont pas arrivés tout de suite. »

Les deux technicien­s s’étaient pourtant fait plaisir niveau recrutemen­t : pour leur première année dans les Hauts-de-Seine, ils bâtissent un effectif XXL en signant des stars internatio­nales comme Jonathan Sexton, Jamie Roberts, Dan Lydiate, Juandre Kruger, Brian Mujati, ou Soane Tonga’uhia. Un recrutemen­t quatre étoiles qui ne fait pourtant pas tout : malgré leur effectif, les Racingmen passent par les barrages en Top 14 (avant de céder en demi-finale face à Toulon) et ne remportent qu’une victoire en Coupe d’Europe. Pour la première fois de leur carrière, les deux managers doivent gérer des ego de stars du rugby mondial. Et, globalemen­t, la greffe ne prend pas : Sexton n’atteindra jamais le niveau qui est le sien avec l’Irlande. Ni Jamie Roberts avec le pays de Galles, et encore moins Dan Lydiate qui sera finalement libéré de son contrat dès le mois de novembre 2014 ? On pourrait aussi citer les passages d’autres célébrités telles que Martin Castrogiov­anni ou Ali Williams, dont on a davantage parlé des déboires extra-sportifs que des performanc­es sur le terrain.

Là encore, les deux compères ont appris. « On a bien vu la différence sur la façon de gérer l’affaire Goosen », reprend Caballero, « aussi bon soit-il, Goosen a été écarté et ils se sont montrés fermes. D’une manière générale, ils n’aiment pas trop les joueurs caractérie­ls. Ils sont très vigilants à la question de savoir si le joueur s’intégrera bien ou non dans l’effectif. »

FINS RECRUTEURS, ENCORE ET TOUJOURS

De leur passé d’entraîneur­s d’équipes aux moyens limités, les Lolos ont gardé l’oeil du maquignon. Celui qui leur permet de détecter des joueurs à fort potentiel là où d’autres ne voient que des remplaçant­s. Des exemples ? Teddy Iribaren, qui a détrôné Maxime Machenaud en début de saison. Un autre ? Baptiste Chouzenoux, subtilisé à Bayonne l’été dernier. Un dernier ? Le colosse Edwin Maka qui, pour la première fois de sa carrière, a dépassé la vingtaine de feuilles de match pour quatorze titularisa­tions toutes compétitio­ns confondues alors qu’il passait les saisons à cirer le banc du Stade toulousain : « Les deux Lolos aiment suivre les joueurs sur le long cours, analyser leurs performanc­es sur toute une saison et pas sur quelques coups d’éclat. Au fil des années, ils ont aussi appris à s’entourer, car ils ont compris qu’ils ne pouvaient pas tout gérer. Ils ont aussi appris à mieux communique­r », conclut Caballero. Bref, les deux Laurent ont bien grandi. Et cela se voit.

 ??  ??
 ?? Photos Midi-Olympique - Patrick Derewiany ?? Le temps des deux Laurent de Montauban a bien changé. Les débuts ont forgé leur style, le passage à Castres les a fait grandir quand leur arrivée au Racing leur a ouvert d’autres horizons.
Photos Midi-Olympique - Patrick Derewiany Le temps des deux Laurent de Montauban a bien changé. Les débuts ont forgé leur style, le passage à Castres les a fait grandir quand leur arrivée au Racing leur a ouvert d’autres horizons.
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France