Midi Olympique

SUR LES TRACES DE CAMILLE CHAT

SUR UN NUAGE DEPUIS SIX MOIS, CAMILLE CHAT VA DISPUTER LA PREMIÈRE FINALE DE COUPE D’EUROPE DE SA CARRIÈRE. FABRICE, SON PÈRE, LIVRE UN ÉCLAIRAGE ÉMOUVANT SUR LA PERSONNALI­TÉ DE SON PREMIER FILS.

- Entre Fabrice et Camille Chat, la relation est fusionnell­e. Premier supporter de son fils, Fabrice en garde tous les maillots dans son bureau d’Appoigny (Bourgogne), où sont également affichées plusieurs photos du talonneur internatio­nal. Sur l’une d’elle

En approchant d’Appoigny, la pluie cessa aussi brusquemen­t qu’elle avait commencé le matin et un soleil impitoyabl­e perça entre les arbres dans une trouée de nuages noirs. Les vastes forêts de Bourgogne baignaient alors dans une atmosphère de serre chaude, si riche de vie qu’on croyait voir cette végétation des premiers âges de la terre croître comme ces fleurs dont les documentai­res nous montrent, en accéléré, l’éclosion monstrueus­e. Passé les bâtisses de pierre blanche qui entouraien­t le clocher du village, il fallait bifurquer vers Charbuy, puis rouler quelque temps sur une départemen­tale. La maison de Fabrice Chat campait en bord de route et barrait l’accès à une infinité de pâturages, de collines, de bosquets. « C’est là que nous faisons du quad avec Camille, ditil pour briser la glace. On peut rouler des heures et ne jamais croiser personne ! » Le père Chat, 47 piges, est « contrôleur-qualité » dans une boîte du canton. Ancien gymnaste, Fabrice est court sur pattes, robuste, râblé comme un talonneur. Il se déplace difficilem­ent, parfois aidé d’une canne, le plus souvent assis dans un fauteuil roulant. « J’ai eu un accident de moto, il y a trente ans. La colonne vertébrale a été écrasée. Depuis, je vis comme je peux. » Le père du talonneur internatio­nal hausse les épaules, esquisse un sourire, fait couler le café et au moment où il s’assied, un chat gris se love sur ses genoux. « Je lui interdis de sortir. C’est le quatrième que je perds en peu de temps. Les chasseurs, les chiens… La campagne, quoi… » Dans le petit bureau qui jouxte la cuisine, il a casé les maillots de son fils, le rouge de la sélection de Bourgogne, le vert du RCA d’Auxerre, le bleu roi des moins de 20 ans, le Ciel et Blanc de la finale barcelonai­se, le bleu nuit du XV de France. Au fond de la pièce, un mur de photos retrace aussi l’enfance de Camille (22 ans) et Solène (24 ans), les enfants de sa première union. « Vous voulez savoir quoi, au juste ? Parce que je pourrai parler de mon fils pendant des semaines ! » Fabrice se marre, revoit « [son] petit » courir dans le jardin, la cour, les escaliers et partout où ce trop-plein d’énergie si caractéris­tique se signalait déjà. « Il était totalement hyperactif. En ce sens, Camille ne pouvait supporter de passer une journée entière assis dans une salle de cours. Sa scolarité a été chaotique, au départ… »

Dans l’idée de canaliser l’ardeur de son deuxième enfant, Fabrice lui demande à l’époque de suivre Laurent Voirin, un vieux pote, dans une salle de kick boxing. Très vite, le tempéramen­t du môme y fait des étincelles. Sur le ring, Camille dégomme comme Bud Spencer, décroche des médailles et devient même, à 11 ans, champion de France de la discipline. « Il était enfin valorisé, poursuit Fabrice. Tanké sur ses gros cuisseaux, il était difficile à bouger et déjà, Camille était porté par une incroyable déterminat­ion. Une fois où il devait combattre en moins de 60 kg, il avait dû perdre 4 kg en une semaine. Il ne mangeait plus, se remplissai­t l’estomac avec de l’eau et faisait des footings autour de la maison. Mais il y était parvenu ! » Chez l’actuel talonneur du Racing, le début de semaine était alors consacré à la boxe thaï, le week-end tout dédié au rugby. Mais le jour où le pôle Espoirs de Dijon lui demanda de grossir les rangs de l’académie dirigée par Eddy Joliveau, il fallut choisir. « Et j’ai choisi pour lui, explique Fabrice. Le kick boxing lui avait fait du bien mais chez les adultes, les commotions à répétition me faisaient peur. Et puis, l’esprit du rugby n’avait à mes yeux aucun équivalent. Je pensais que les copains, la fête et la solidarité pouvaient être un cadre sympa. » Banco.

Intimidé par le double mètre du patron du pôle Espoirs et conscient que des mauvais résultats scolaires lui coûteraien­t sa place à Dijon, Camille Chat validait rapidement un diplôme. À cette évocation, le visage de Fabrice s’illumine : « Il a fini par obtenir un bac pro avec mention ! J’étais si fier ! Aujourd’hui, je me dis parfois que le rugby a sauvé mon fils. »

FABRICE CHAT : « UNE REVANCHE SUR MA VIE »

À ses 16-17 ans, Camille Chat était déjà suivi par cinq clubs pros : le Lou, Nevers, Grenoble, Clermont et le Racing. Aux côtés de Fabrice, le talonneur internatio­nal a alors prêté une oreille attentive au discours de chacun des sergents recruteurs, détaillé les projets, jeté un oeil aux installati­ons des uns, aux gymnases des autres. « Nous sommes allés à Lyon et, à l’époque, le centre de formation était glauque. Les tapis étaient déchirés, l’ensemble vétuste et quand j’ai questionné l’un des mecs m’ayant accueilli là-bas, il m’a dit : « Les cinq ou six meilleurs vont faire carrière. Les autres ? Je ne sais pas ce qu’ils deviendron­t… » Après ça, je n’étais pas vraiment rassuré. »

En débarquant quelque temps plus tard au Plessis-Robinson, les Chat en prirent en revanche « plein les yeux ». Fabrice poursuit : « Mais il ne fallait rien leur montrer. Je ne voulais pas que les Racingmen pensent que c’était gagné. […] Après ce premier rendez-vous, Jacky Lorenzetti m’a appelé plusieurs fois : « Monsieur Chat, votre fils a-t-il pris sa décision ? Le club lui a plu ? » Je l’ai fait un peu mariner. Mais juste pour la négo, hein ! (rires) Sérieuseme­nt, le choix du Racing s’est imposé de lui-même. »

Champion de France Crabos à son arrivée en 2014, champion de France Espoirs en 2015, Camille Chat décrocha le bouclier de Brennus un an plus tard et au terme de son premier contrat pro. « Il a une bonne étoile au-dessus de sa tête, sourit Fabrice. Vous allez me dire que je ne suis pas objectif, mais ce petit a quelque chose de spécial ; je connais par exemple peu de garçons aussi costauds que lui. » Et le pater familias de nous conter ce soir d’hiver où il skiait, à Tignes, aux côtés de son fils aîné. « Sur les pistes, j’utilise un fauteuil de ski pour handicapé qui est assez lourd. Cette fois, il faisait très froid et mes jambes ne répondaien­t plus du tout. On était à 200 mètres du funiculair­e et je ne pouvais plus avancer. » Inquiet, Fabrice demandait aussitôt à son fils d’appeler les secours. Camille jetait un oeil à son père, avant de déchausser les skis. Puis, il se saisissait du fauteuil, prenait son père sur le dos et le portait jusqu’au sommet. « Le pire, c’est qu’il ne semblait même pas souffrir. De temps en temps, il me disait juste : « Ça va, papa ? » Pfff…. Camille, il a toujours eu une force irréelle. »

Une puissance hors du commun au service, semble-t-il, d’une volonté farouche : « Quand il entre sur le terrain, son visage change. Il vrille, il passe en mode guerrier, comme à l’époque où il entrait sur le ring avec, en fond, cette musique thaïlandai­se qui nous foutait des frissons. Dans ces moments-là, je ne voudrais pas l’avoir en face. » Sûr de sa force, conscient de pouvoir assommer n’importe qui d’un coup de poing, d’un coup de pied ou plus simplement d’un raffut, Camille Chat ne semble avoir jamais connu la peur : « La vie a endurci mon petit, conclut Fabrice. Vous savez, les mômes sont parfois méchants dans une cour de récré. Quand j’allais chercher mon enfant à l’école, je lui disais toujours : « N’aie pas peur, mon fils. Et surtout, n’aie jamais honte. Ton père, il n’est pas comme les autres mais il s’assume, il travaille et vit plus intensémen­t que ceux qui ne savent pas à quel point la vie est fragile. Tu sais, toutes les existences sont des combats. » Au final, tout ça lui a donné de la force. Et, de mon côté, je vis un peu sa réussite comme une revanche sur ma propre histoire… »

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