Midi Olympique

LE ROI LEONE

SAMEDI, LEONE NAKARAWA DISPUTERA À BILBAO LA PREMIÈRE FINALE DE CHAMPIONS CUP DE SON HISTOIRE. MAIS QUI EST VRAIMENT LA STAR DU RACING ? QUEL HOMME SE CACHE DERRIÈRE LE ROI DU OFFLOAD ?

- Par Marc DUZAN marc.duzan@midi-olympique.fr

Ils sont finalement peu nombreux, ces joueurs pour lesquels on décide ou non de prendre une place au stade. Il y avait, jadis, Juan Hernandez, Sergio Parisse, Bakkies Botha, Sébastien Chabal ou Frédéric Michalak. Tous «bankable», hors zone. Tous capables, en fait, d’écouler des centaines de billets sur leur seul nom, et leur seule réputation. En 2018, ces divas du dancing ont quitté la scène ou sont en passe de le faire et, en Top 14, Nadolo, Bastareaud, Vito, Kolbe et, plus que nul autre, Nakarawa, ont naturellem­ent pris leur place. « Je l’appelle l’Alien, lâche Éric Blanc, champion de France en 1990 avec le Racing. Je regarde du rugby depuis quarante ans et je n’ai jamais vu ça. T’as beau connaître Messi, Ronaldo ou Nakarawa, ces gens-là te scotchent devant le poste de télé. Nakarawa, c’est le Fred Haster du paquet d’avants. » Au sujet du deuxième ligne le plus ébouriffan­t du championna­t, Joe Rokocoko va plus loin : « J’ai un peu joué l’entremette­ur, quand les dirigeants du Racing ont voulu engager Leone. Je l’appelais tous les jours. Je savais qu’il avait un peu peur d’être perdu dans une ville comme Paris. Alors, j’ai mis en avant le fait que la communauté fidjienne du Top 14 pourrait l’aider à s’intégrer. « Viens, petit frère ! Tu vas côtoyer de très grands joueurs et gagner des titres ! » Je suis content qu’il m’ait écouté. »

Pour le champion olympique, les trois premiers mois en Top 14 ont pourtant été contrastés : ses passes échouaient toutes en touche, ses courses l’isolaient de ses soutiens, Nakarawa était trop pénalisé et semblait errer sur la tourbe de Colombes comme un spectre. À tel point que fin janvier, il faillit bien tout plaquer. Rokocoko

poursuit : « Je voyais qu’il avait du mal à s’acclimater à la vie en France mais chaque fois que je lui demandais si ça allait, il me répondait à la fidjienne, avec un grand sourire. Chez nous, il ne faut jamais rien montrer, vous savez… Alors, je passais chez lui tous les soirs pour lui tenir compagnie. Puis, au jour où l’équipe a compris qui il était et comment il jouait, au jour où nous avons tous convergé à ses côtés, il s’est métamorpho­sé. Il s’est remis à jouer en souriant. » Dans les Hauts-de-Seine, le miracle s’est produit et, en quelques mois, le Fidjien de 30 ans s’est imposé comme l’un des trois meilleurs joueurs du championna­t, marquant dès lors que le Racing était en difficulté­s, accélérant quand les Ciel et Blanc étaient acculés dans leur camp. « Leone est unique, souffle Yannick Nyanga. À un degré moindre, il y a bien Sonny Bill Williams en Super Rugby et sous le maillot des All Blacks. Mais Sonny Bill est un trois-quarts centre et réalise des offloads dans une ligne d’attaque, à des endroits où les espaces sont nombreux. Leone, lui, réussit ces gestes incroyable­s dans une zone très réduite et très dangereuse, où le trafic est important : ça plonge dans les genoux, ça plonge dans les cotes… Vous vous rendez compte qu’il se balade avec le ballon au bout du bras, en offrant son torse comme cible à des mecs de 120 kilos ? Et pourtant, il n’est jamais blessé… » Depuis le début de saison, Leone Nakarawa compte donc 30 feuilles de match,

28 titularisa­tions et 2 230 minutes de jeu, toutes compétitio­ns confondues. Plus que nul autre Racingman. Plus qu’aucun autre joueur du Top

14. « Il veut tout jouer, dit

Laurent Labit. Les matchs amicaux de présaison, les déplacemen­ts lointains, même les matchs prévus pendant ses vacances. On est toujours obligé de négocier pour le mettre au repos. »

ROKOCOKO : « IL VIT DANS UNE GROTTE… »

Leone Nakarawa est un ancien militaire et un fervent chrétien. « C’est le secret de sa préparatio­n, raconte Albert Vulivuli, l’autre Fidjien du Racing. Leone se lève le matin à 5 heures, médite et remercie Dieu de lui offrir une nouvelle journée sur terre. Il dit : « J’ai 1 440 minutes dans une journée. Je peux bien en consacrer quelques-unes à celui qui me les a données. » Quand il était militaire, il a également été soumis au pire. Il courait tous les jours 20 kilomètres avec des bottes trop petites. Le colonel n’en avait pas à sa taille. Alors, quand il arrivait au camp, ses jambes étaient en sang. Il avait perdu la peau de ses pieds mais ne se plaignait pas. Il est ainsi, Tau. »

Au Plessis-Robinson, Tau est le surnom qu’ont donné Vulivuli et Rokocoko à leur compatriot­e. Ce n’est pas le seul. Il y a aussi « la pieuvre géante », « Lebron James » ou « le lampadaire qui court ». Vulivuli poursuit : « Aux Fidji, le nom de Tau désigne une relation particuliè­re entre deux êtres humains. Si je vais chez Leone et qu’un de ses maillots de NBA me plaît, je me sers. S’il vient chez moi et qu’une paire de crampons lui tape dans l’oeil, il la prend. C’est comme ça. Il est notre Tau et inversemen­t. » Au PlessisRob­inson, Leone Nakarawa a une vie plutôt monacale. Une vie dans laquelle il semble pourtant s’épanouir : « La solitude ne m’a jamais pesé, raconte-t-il. Je crois même que j’adore ça. J’ai grandi tout seul, vous savez. Quand papa et maman partaient travailler, je restais seul à la maison. Je lisais, je jouais dans la rivière, je marchais dans la forêt et regardais les animaux. J’ai vécu dix-sept ans comme ça, avant de partir à l’armée à Suva (la capitale). Il n’y a rien d’ennuyeux dans la solitude. Il faut juste savoir en faire une amie. »

À cette évocation, Joe Rokocoko part d’un rire sonore : « Mais ce mec vit dans une grotte ! Il passe son temps chez lui à regarder des séries américaine­s. Quand je lui rends visite, je lui dis : « Leone, ouvre les fenêtres ! Tu as besoin d’air frais ! » Lui ? Il est un dingue de football. Mais un îlien qui aime le foot, vous avez vu ça où, vous ? Son équipe, c’est le Barça. Il connaît tous les effectifs de la Liga espagnole, tous les transferts. À l’époque où il jouait à Glasgow, il a aussi découvert les joies de la Playstatio­n. Un Fidjien qui joue à Fifa, mec… Au club, il bat même Marc Andreu, Juan Imhoff et Brice Dulin. Vous le verriez devant l’écran. Il se croit en live au Camp Nou : il se lève et se plaint même de l’arbitrage… »

VULIVULI : « AVEC LES FEMMES, UN CHATON… »

Au Plessis-Robinson, où le Fidjien a élu domicile il y a quelques mois, on raconte aujourd’hui qu’il ne manque plus grand-chose au roi Leone pour être tout à fait heureux. Séquence Le Bonheur est dans le Pré, première prise. « Il lui faut une femme à ses côtés, peste Vulivuli. J’ai envie de le voir amoureux. Le problème, c’est sa timidité. Leone est un lion sur le terrain mais un chaton avec les filles ! Écrivez-le ! Ça l’aidera peut-être à trouver l’amour ! » Coeur à prendre, célibatair­e assumé, Leone Nakarawa reste au printemps 2018 le Racingman le plus étoilé du classement Midol (37 étoiles depuis le début de saison) et une équation à mille inconnues, pour tous les adversaire­s se dressant sur sa route : « Toutes les équipes mettent aujourd’hui en place un plan anti Nakarawa, sourit Rokocoko. Parfois, elles lui dédient deux défenseurs qui lui tapent dans les mains. Parfois, elles bloquent les soutiens qui convergent. En France, Leone a donc appris quand donner sa balle et quand la garder. Il y a beaucoup moins de déchet dans son jeu qu’il n’y en avait au départ. »

L’ancien ailier des All Blacks conclut : « Leone a peut-être un numéro 5 dans le dos mais joue comme un arrière. Au fil de ma carrière, j’ai vu de très grands deuxième ligne. J’ai affronté Brad Thorn, Bakkies Botha. Mais Leone, pffff… Il pousse en mêlée, plaque, déblaie, saute en touche et offre autant de passes décisives qu’il ne marque d’essais. Je crois qu’il est le lien qui nous manquait entre le paquet d’avants et la ligne de trois-quarts. Nakarawa, c’est la vision ultime de l’avant moderne. »

« Nakarawa, c’est le Fred Haster du paquet d’avants. » Éric BLANC « Vous vous rendez compte qu’il se balade avec le ballon au bout du bras, en offrant son torse comme cible à des mecs de 120 kilos ? » Yannick Nyanga

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