Midi Olympique

L’exploit de Grenoble !

- Par Nicolas ZANARDI nicolas.zanardi@midi-olympique.fr

DONNÉS MILLE FOIS PERDANTS FACE À OYONNAX SIX PETITS JOURS APRÈS LA DOULOUREUS­E FINALE PERDUE DEVANT L’USAP, LES GRENOBLOIS ONT RÉUSSI À ACCOMPLIR UN VÉRITABLE MIRACLE EN CE BIEN NOMMÉ WEEK-END D’ASCENSION. LES VOILÀ DE RETOUR EN TOP 14, UN AN SEULEMENT APRÈS L’AVOIR QUITTÉ SUR UN CHAMP DE RUINES.

Lorsque le guerrier Fabien Alexandre versa sa petite larme du haut de sa tribune, François Uys leva les bras en croix, cloué au sol par une blessure au genou et gisant sur la pelouse du Stade des Alpes. Deux Jésus pour le prix d’un, deux martyrs d’une même cause, pareilleme­nt consumés par le feu qui brûlait le coeur de n’importe quel Grenoblois, en ce samedi si bien nommé, celui d’un week-end d’Ascension appelé à rester dans les mémoires, dont chacun voulait conserver un petit souvenir. « Quand l’arbitre a sifflé la fin du match, mon premier réflexe, ça a été de chercher un ballon pour le conserver, s’amusait le jeune ouvreur Franck Pourteau. Le pire, c’est que je n’en ai même pas trouvé. David Mélé en avait déjà piqué un… » Un larcin mille fois pardonnabl­e, sous le coup de l’ascenseur émotionnel auquel ont été soumis les Alpins ces six dernières semaines, et plus exactement ces six derniers jours. Au vrai, qui pouvait bien penser que le FCG, moins d’une semaine après sa finale perdue contre l’Usap, pourrait coller cinquante grains à la huitième meilleure équipe du Top 14 sur la phase retour ? Pas grand monde assurément, hormis le peuple grenoblois lui-même… « En début de semaine, sur la déception de notre finale perdue, on se disait que dans le contexte d’une semaine fériée, on ferait 7 000 ou 8 000 spectateur­s, maximum, savourait un Michel Martinez aux yeux rougis de bonheur. Et dès mardi, nous avions dépassé la barre des 10 000 places vendues. Notre public répondait et on a très vite communiqué là-dessus vis-à-vis de nos joueurs, pour leur faire ressentir qu’il se passait quelque chose. » « On nous a dit qu’ils seraient 10 000, 14 000, puis plus de 18 000 le jour du match, témoignait le deuxième ligne Mickaël Capelli. On en a vraiment pris conscience en arrivant au stade, avec cette haie d’honneur énorme qui nous a transcendé­s. C’était autant de gens que nous n’avions pas le droit de décevoir. » Gageure accomplie, pour laquelle l’ambiance de corrida du stade des Alpes ne fut évidemment pas anodine, ainsi qu’en témoignait Pourteau. « Tout le monde voyait Oyonnax favori, mais c’était sous-estimer l’importance du contexte. C’était un sacré atout que d’évoluer à domicile. Toute équipe de Top 14 qu’ils étaient, ils ont malgré tout subi le déplacemen­t, et l’ambiance énorme mise par nos supporters. »

LE SCANDALE DU « WATERBREAK » ET LA CHANSON DE FORLETTA

Parce que rien, décidément, ne pouvait arriver à ce FCG comme possédé par les anges. Pas même le coup de Trafalgar fomenté par les Oyomen qui, désireux d’étouffer physiqueme­nt des Isérois supposés moins frais physiqueme­nt, refusèrent la possibilit­é de pause fraîcheur proposée par les arbitres. « Les Oyonnaxien­s nous ont probableme­nt sous-estimés en refusant le waterbreak, témoignait le numéro 8 Loïc Godener. Ça nous a juste rendu plus forts, plus soudés. » « On nous a appris ça pendant l’échauffeme­nt, se repassait Capelli. Sur le coup, je me suis dit : « holala, mais qu’est-ce qu’ils nous font, on va tous crever… » À partir de là, il n’y avait plus de doute : on savait qu’ils chercherai­ent à imposer du rythme, à nous faire craquer physiqueme­nt. C’était un peu vexant, mais on avait confiance en nous et dans le travail que nous avions fourni à l’intersaiso­n. »

Également dans la capacité de résilience d’un club décidément à nul autre pareil, prince de la remontée mécanique, capable de transforme­r en moins d’un an un champ de ruines en remontée en Top 14, et en moins de six jours une finale perdue en triomphe romain. « Après notre défaite à Toulouse, la soirée que nous avons passée avec les familles a été fondatrice, révélait Michel Martinez. Elle a permis à l’équipe de se remobilise­r, dans l’intimité. » « Le groupe avait besoin de se resserrer, prolongeai­t Capelli. Le faire entre nous, avec les compagnes et les familles, ça nous a fait un bien fou. » Une soirée durant laquelle les Grenoblois se sont faits la promesse de retrouver les Catalans en Top 14, dont certains comporteme­nts les avaient hautement agacés, à l’image de la petite chanson du pilier Enzo Forletta rapidement diffusée sur les réseaux sociaux. « Les Catalans fêtaient leurs titres, et il a eu cette réaction, soufflait l’entraîneur des avants Dewald Senekal. Nos joueurs sont tombés dessus, et bien sûr que cela nous a agacés. C’est important de rester humble dans le rugby car dans ce sport, tout peut aller très vite. » « Moi, ça ne m’a pas plu, assumait Capelli. Je veux bien entendre que le chambrage fasse partie de leur culture, mais ce n’est pas l’image du rugby que j’aime. Cette montée nous offre une chance de revanche la saison prochaine, et c’est très bien. » Au point de voir les Isérois, dans l’intimité du vestiaire, répondre avec humour au pilier catalan en répétant sa chanson, à l’initiative d’un Lucas Dupont plein d’autodérisi­on. Les Grenoblois, le Bouclier, ils le verront à la télé. Lalalala…

PILAUD : « J’ESPÈRE QUE D’OÙ IL EST, SERGE KAMPF EST CONTENT… »

Le Bouclier, sans. Mais pas le Top 14, rêve immatériel, évidemment dans les esprits à l’issue de la rencontre. « J’ai 22 ans, et le Top 14, je n’y ai goûté que quatorze minutes avec le Racing, glissait avec gourmandis­e Loïc Godener. Alors oui, j’ai envie de croquer dedans. » Avec avidité et impatience, tant le challenge s’annonce immense. « On n’est pas encore une équipe de Top 14, temporisai­t Dewald Senekal. Je vous le dirai si dans un an jour pour jour, nous sommes maintenus à ce niveau. Je vous promets en tout cas que nous allons tout faire pour. Rome

ne s’est pas construite en un jour… Il y a un an, avec Bayonne, je n’ai pas réussi à relever ce challenge. Mais à Grenoble, on travaille avec un staff dans lequel tout le monde est en confiance, avec un club qui semble mieux armé que l’Aviron. » Un club qui s’est évidemment mis à pied d’oeuvre dès le dimanche matin, à l’image d’un petit-déjeuner de travail au domicile du directeur sportif Franck Corrihons, qui avait vu les présidents Pilaud et Martinez amener les croissants. « On monte plus tôt que nous l’avions imaginé ou prévu, mais c’est formidable, s’enthousias­mait le président Éric Pilaud. Comme j’ai pu le dire, c’est beaucoup plus simple de bâtir un budget de Top 14 que de Pro D2, alors il faut y aller. On est à l’équilibre financier, on survit à la disparitio­n de notre mécène historique, avec le clin d’oeil de ce premier barrage que nous avons gagné contre Biarritz. J’espère d’ailleurs que d’où il est, Serge Kampf est content. »

Et il l’est, assurément, à l’idée de voir son cher FCG voler enfin de ses propres ailes, et capable de bâtir un budget supérieur à 18 millions d’euros. Tout comme il se trouve peut-être angoissé, à l’idée de voir le club reproduire les mêmes bêtises qu’à chaque remontée, en termes de recrutemen­t ? « Depuis hier, nos trois téléphones vibrent un peu plus qu’à l’accoutumée, qu’il s’agisse des agents ou directemen­t de certains joueurs, souriait Pilaud. On ne veut pas renouveler les erreurs du passé. Les jeunes ne sont pas là que pour assurer le rebond du club après chaque descente en Pro D2. Ils constituai­ent l’ossature de l’équipe cette saison, et doivent encore l’être en Top 14. En termes de recrutemen­t, on va simplement essayer de prioriser certains postes, en sachant que nous souhaitons plutôt garder les postes de non-Jiff pour les joueurs de première ligne. Ce n’est pas un secret qu’il faut un pack solide pour exister en Top 14, alors nous allons chercher à nous renforcer à des postes-clés, en essayant de conserver la dynamique de notre groupe. »

TAUMALOLO PARTI POUR RESTER, HUNT ET TAUFA AUSSI ?

Une perspectiv­e dans laquelle Sona Taumalolo, annoncé partant, devrait ainsi demeurer au club, un an de plus, tandis que les cas de Taufa et Hunt vont être réétudiés, sachant qu’en tant que promu, le FCG pourra aligner dix non-Jiff sur ses feuilles de match la saison prochaine. « C’est un crève-coeur de voir partir certains joueurs au vue de leur performanc­e actuelle, jurait Pilaud, même si l’on sait qu’il faudra un renouvelle­ment dans cet effectif. » Le FCG y parviendra-t-il en conservant ses pépites Capelli, Geraci, Cordin et autres Berruyer, d’ores et déjà courtisés par toutes les grosses écuries du Top 14 ? Difficile à prévoir même si, dans cette optique, le fait d’évoluer en Top 14 la saison prochaine constitue un pas fondamenta­l dans l’optique des futures négociatio­ns. « Évidemment que cela change beaucoup de choses, pointait Capelli. Mon objectif, c’est de jouer en Top 14, au meilleur niveau possible. Et si c’est possible de le faire à Grenoble, avec des gens que je côtoie depuis longtemps, ce serait encore mieux. J’ai passé quatre ans au centre de formation, Kilian Geraci en est à sa troisième année, cela ne peut qu’être un plus pour nous que de jouer en Top 14 tous ensemble. » « Nos jeunes sont intelligen­ts et savent où est leur intérêt, estime Pilaud. Si nous parvenons rapidement à incarner un candidat crédible au maintien, ils entendront notre discours. À nous, simplement, de bien travailler pour être crédibles rapidement… »

Et profiter de lendemains enchantés dans un stade des Alpes dont le FCG demeurera quoi qu’il arrive le porte-drapeau, après la montée en Ligue 2 manquée la veille par les pousse-citrouille du GF 38, ornée en outre d’un envahissem­ent de terrain des plus déplorable­s, aux antipodes en tout cas de la liesse partagée par les joueurs du FCG avec leurs supporters. « La dynamique sportive est importante dans une ville, corrigeait Éric Pilaud. Plus Grenoble aura de clubs à haut niveau, mieux ce sera pour nous. Quand je vois que le formidable travail de Max Marty est quasiment anéanti par une poignée d’imbéciles, ça m’attriste… Mais rien n’est encore perdu. Le barrage nous a souri pour accrocher la montée, alors pourquoi pas à eux ? » Le plus drôle, dans l’histoire ? C’est que les footeux affrontero­nt un autre club phare de l’Ain, à savoir Bourg-en-Bresse, les 22 et 27 mai. À la différence, peut-être, qu’il n’existe qu’un week-end d’Ascension. Tout comme il n’existe définitive­ment qu’un seul FCG, dont la place naturelle demeure celle qu’il vient de retrouver.

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Photos Icon Sport Au stade des Alpes, le coup de sifflet final retentit, les joueurs Grenoblois exultent (en bas à gauche). Après avoir perdu la finale de Pro D2, ils viennent de s’imposer face aux Oyomen, treizièmes de Top 14. Une victoire célébrée par tous les...
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