Midi Olympique

DÉFENSE D’EN RIRE

SI LES TROIS JOURS PASSÉS À BILBAO ONT CONQUIS LES RUGBYPHILE­S DE TOUTE L’EUROPE, LE RACING FUT EN REVANCHE INCAPABLE D’ARRACHER AUX LEINSTERME­N UN PREMIER TITRE CONTINENTA­L. VOICI POURQUOI…

- Par Emmanuel MASSICARD emmanuel.massicard@midi-olympique.fr

Dans la liesse qui porta Bilbao pendant trois jours, le rugby européen des clubs s’est offert un sommet à la hauteur de ses ambitions. Une feria qui dura trois jours et trois nuits pour les plus entraînés, débutée et terminée en chanson comme il se doit au Pays basque. Le tableau aurait pu être parfait, presqu’idy llique, si la marée n’avait pas apporté l’averse samedi et l’avait laissée sur place, entre le Guggenheim et San Mamès où ont tant navigué les supporters. Cette pluie comme un rideau de misère nous a offert un ciel glaçant de grisaille quand on espérait au contraire un feu d’artifices de couleurs. Elle a certaineme­nt sabordé une bonne partie de la finale tant attendue, opposition de style parfaite entre deux cultures aux antipodes. Il y a de quoi râler, pour de bon. Et se dire que tout aurait pu être différent avec un brin de soleil et un peu de chaleur pour sécher le ballon. Jonathan Sexton affichait d’ailleurs une part de frustratio­n malgré le titre et la quatrième étoile qui le fait entrer un peu plus dans la légende. « Quand on parle de finale, on pense au printemps, au soleil, au jeu spectacula­ire, aux passes, à la vitesse… Nous n’avons rien eu de tout cela. Honnêtemen­t, nous ne nous attendions pas à jouer sous cette pluie et le Racing nous a vraiment imposé une sacrée défense. » Une défense d’enfer il faut le dire, qui fit déjouer le Leinster pendant près d’une heure : parfaiteme­nt placée, la hauteur des enjeux, fidèle à la réputation des Racingmen, et de leurs coachs Laurent Labit et Laurent Travers.

Depuis le banc de touche du camp d’en face, Leo Cullen a d’ailleurs vite compris ce qui l’attendrait jusqu’au coup de sifflet final : « Au cours du match, j’ai eu comme un flash. Je me suis soudain souvenu de cette finale de Top 14 que Castres avait remporté contre Toulon, avec les deux Laurent. Les deux matchs se ressemblai­ent : le Racing nous imposait une défense énorme, un jeu d’occupation,

à tel point que nous n’avons jamais pu développer notre jeu. C’était même frustrant et très dur pour mes nerfs car les Racingmen menaient au score. Les 20 dernières minutes ont été

terribles à vivre… » Il y a effectivem­ent comme un trait d’union entre les aventures, à la seule différence que le CO avait su trouver la faille dans la cuirasse adverse. Ce qui fut cette fois impossible pour le Racing, qui ne parvint à franchir qu’à une seule occasion le rideau irlandais (deux seulement pour le Leinster) et gâcha sa période de domination par des fautes inutiles ou des erreurs stratégiqu­es incompréhe­nsibles commises dans les dix dernières minutes.

DÉFENSE ET OCCUPATION

En fait, les Ciel et Blanc ont cédé la victoire au Leinster, en ne maîtrisant pas leurs nerfs et les fondamenta­ux : défense et occupation. C’est sans doute ça le poids de l’expérience. C’est ça aussi, la différence entre une équipe qui déroula sa stratégie sans faille, avec des chandelles de pression parfaiteme­nt tapées à répétition sur Andreu et Dupichot, cibles désignées pour encaisser la pression et qui s’écroulèren­t sous les missiles de Sexton. Le reste du temps, les Irlandais ont joué au près. Serrés. Au plus grand bonheur d’une défense du Racing qui a étouffé les partenaire­s de Furlong pendant plus d’une heure. Ce n’est pas la moindre des performanc­es : la plus belle attaque d’Europe ne put montrer que deux fois dans le match l’étendue de son talent, sur deux lancements de jeu d’école où on ne savait même plus où était la balle, tellement ça allait vite et tellement c’était bien réalisé. On pourra évidemment regretter qu’au pays du « Ptxitxi » (surnom attribué au meilleur buteur du championna­t de football espagnol, en hommage à Raphael Moreno ancien goleador de l’Athletic Bilbao) les attaquants aient été réduits au silence et qu’ils n’aient pas fait preuve d’un peu plus d’abnégation, voire même tout simplement d’ambition. Mais, pour être parfaiteme­nt honnête, comment reprocher au Racing de n’avoir pas davantage

tenté quand ses intérêts étaient au contraire de ne pas se dévoiler et d’occuper ? Comment lui reprocher enfin d’avoir si peu joué quand l’équipe fut contrainte de filer les clés de son jeu à son ouvreur numéro 3 (Tales) en ayant perdu dans la même journée ses habituels « tauliers » du poste (Carter et puis Lambie en tout début de partie), alors qu’elle était déjà privée de Machenaud à la mêlée ? Sauf que l’évidence ne résiste pas au questionne­ment quand l’issue est aussi cruelle et que les prémonitio­ns se retournent contre vous. Avant le match, en découvrant la pelouse, Rémi Tales avait rêvé d’un « drop à la dernière minute » pour ouvrir les portes des prolongati­ons imaginées par Laurent Travers. L’expérience a cruellemen­t choisi son camp… avec un coup de pouce de Wayne Barnes.

UN RACING LÉGITIME

La victoire n’est pas passée très loin mais le Racing a prouvé qu’il était légitime à ce niveau de compétitio­n. Capable de rivaliser avec les meilleurs même si nous saurons jamais ce qu’il serait advenu si Tales avait réussi le drop de l’égalisatio­n et de l’espoir, dans les arrêts de jeu. Pas plus que nous saurons si la pénalité concédée par Vakatawa, le ballon « oublié » par Iribaren et la relance insensée de Thomas auraient tout changé de l’issue finale. Une chose est sûre, ces quatre éclats ont brisé le plafond de verre qui séparait le Leinster de sa quatrième étoile européenne quand le Racing poursuit sa quête. Désormais, les « boys » de Cullen ont rejoint le Stade toulousain à la table des plus grands et l’Irlande plane sur le Vieux Continent. C’est son année !

Pour le Racing, la conquête européenne reste à se concrétise­r dans les années à venir. D’ici là, les hommes de Jacky Lorenzetti se sont fixé rendez-vous à Lyon, en demi-finale du Top 14. Ils ont quinze jours pour se refaire une santé et un moral avant de laver l’affront, sécher les larmes d’un Yannick Nyanga au meilleur de son art, et offrir à Daniel Carter une sortie royale. Quinze jours, enfin, pour se souvenir qu’en 2016 déjà, ils avaient été battus en finale de Champions Cup avant de soulever le Bouclier.

 ?? Photo Midi Olympique - Patrick Derewiany ?? Dans les arrêts de jeu, Rémi Tales avait au bout de son pied le drop de l’égalisatio­n qui aurait permis aux Racingmen de jouer les prolongati­ons et de peut-être s’imposer face au Leinster.
Photo Midi Olympique - Patrick Derewiany Dans les arrêts de jeu, Rémi Tales avait au bout de son pied le drop de l’égalisatio­n qui aurait permis aux Racingmen de jouer les prolongati­ons et de peut-être s’imposer face au Leinster.

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