Midi Olympique

L’EFFET PAPILLON

- Par Vincent BISSONNET vincent.bissonnet@midi-olympique.fr

SEMI RADRADRA 6 AILIER DE TOULON LE FANTASQUE FIDJIEN S’EST IMPOSÉ COMME UNE VEDETTE DU XV EN FRANCE APRÈS AVOIR ÉTÉ UNE STAR DU XIII EN AUSTRALIE. POURTANT, À 18 ANS, CE TALENT PUR ÉTAIT SANS EMPLOI. UNE RENCONTRE A TOUT CHANGÉ. L’HOMME QUI LUI A PERMIS DE FORCER SON DESTIN NOUS RACONTE TOUT.

Un jour de décembre 2010, sur l’île de Taveuni, petite pastille de paradis au milieu du Pacifique, réputée pour ses superbes fonds marins et pour être l’un des deux seuls endroits de la planète où la ligne du changement de date passe en terre ferme. Semi Radradra, jeune homme de 18 ans, alors sans emploi ni grande perspectiv­e, quitte son oasis de 9 000 habitants direction l’île voisine de Vana Luevu, à 6 kilomètres de là, en compagnie de ses partenaire­s des Somosomo Sharks. La petite troupe se rend dans la ville de Labasa pour participer à un événement localement reconnu, le Nasekula Sevens, rassemblem­ent de talents venus d’ici et d’ailleurs. Une compétitio­n comme une autre, en apparence. Mais au terme de cette édition, un destin va basculer. Au Sebrail Park, Semi Radradra s’apprête à croiser la route de son prophète. Dans les tribunes a pris place un grand monsieur du rugby fidjien, Inoke Male. Six mois avant, cet internatio­nal reconverti entraîneur a été intronisé manager du Vatukoula Rugby, club de deuxième division rattaché à une des mines d’or les plus prolifique­s au monde et résolument décidé à intégrer le gotha de l’archipel. « Je cherchais des jeunes à fort potentiel pour renforcer l’effectif, nous raconte le sélectionn­eur national des Fidji de 2012 à 2014 à l’heure de se remémorer cette rencontre marquante. Je savais, en allant au Nasekula Sevens, que j’aurais l’opportunit­é de dénicher de prometteur­s joueurs alors inconnus. » En une accélérati­on, deux arabesques, trois crochets, Inoke Male tombe sous le charme envoûtant de Semi Radradra. Le premier battement d’ailes de son envol est donné : « Il m’a tapé dans l’oeil instantané­ment. Il n’avait pas encore la dimension physique d’aujourd’hui mais j’ai été frappé par sa capacité à dominer ses adversaire­s directs en un contre un. Il était inarrêtabl­e, tout simplement. Il avait aussi cette manière de courir bien à lui qui le distinguai­t des autres. Il me rappelait un ancien célèbre septiste de chez nous, Robert Howard. » Le technicien le sait : il tient une pépite entre ses mains. Une trouvaille inestimabl­e dans sa ruée vers l’or : « Je suis tout de suite allé le voir pour lui présenter mon projet et tout ce qui allait avec, raconte l’ancien numéro 8 internatio­nal, acteur du quart de finale de la Coupe du monde 1999 face à l’Angleterre. Comme Vatukoula voulait tout mettre en oeuvre pour monter en première division, il était question de donner à tous les joueurs un travail dans la mine. C’était un plus pour les convaincre. Semi a instantané­ment dit oui. » Avec la venue de ce messager venu de Viti Levu, le gamin de Somosomo perçoit l’occasion rêvée de changer de vie : « Il a été élevé dans une famille dont le père était malade et était l’aîné de six enfants. C’était une opportunit­é inespérée de s’offrir, pour lui et les siens, un meilleur futur. Il n’attendait que ça. »

« IL NOUS APPELAIT TATA ET NANA »

À 18 ans, Semi Radradra s’envole soudaineme­nt du cocon familial pour tenter l’aventure sur l’île principale des Fidji. Boulot, niveau, dodo : tout change alors dans son quotidien. Son mentor devient même son hôte : « Il a emménagé dans ma maison, avec ma famille, raconte Inoke Male. C’était la solution la plus commode. Cela m’a permis de découvrir toutes les facettes du personnage. C’est un homme très humble et attentif aux autres. J’ai tout de suite perçu qu’il avait eu une bonne éducation. Il est devenu comme un fils pour ma femme et moi et mes enfants le considèren­t comme leur frère. Il nous appelait même Tata et Nana. » Depuis Taveuni, son véritable père assiste avec fierté et acceptatio­n à cette éclosion à distance : « Quand Inoke m’a demandé s’il pouvait accueillir Semi chez lui, j’ai sans hésitation répondu que j’étais d’accord, dira le dénommé Waqa, dans la presse locale, quelques années plus tard. Je savais que c’était pour son bien et je n’ai jamais regretté cette décision. »

Sous les couleurs de Vatukoula Rugby, Semi Radradra tient toutes ses promesses. « Son attitude était irréprocha­ble, souligne Inoke Male. À l’entraîneme­nt, il était investi et travailleu­r. Au-delà de ses qualités rugbystiqu­es et athlétique­s, évidentes, c’est ce comporteme­nt qui le rendait si différent. » Avec Alipate Ratini et ses collègues de la mine, il mène son club de la B-Division à l’élite fidjienne. Un premier pas vers le haut niveau. Son ascension vient tout juste de débuter et s’apprête à passer à une vitesse supérieure. Car le destin continue de sourire à l’audacieux. Début 2011, la Fédération nomme un nouveau manager pour la sélection des moins de 20 ans en vue de la Coupe du monde de la catégorie, organisée en Italie, en juin. L’heureux élu se nomme… Inoke Male. Semi Radradra est logiquemen­t retenu dans le groupe aux côtés des Talebula, Ratini et autres talents de sa génération. En Vénétie, la relève fidjienne rivalise avec la France (24-12), craque devant l’Australie (50-25) mais domine les Tonga (36-18) puis le pays de Galles (20-34) : « Nous avons terminé sixièmes de la compétitio­n. C’était un résultat historique pour notre pays. Nous n’avions jamais été aussi bien classés. » Au passage, le génie de Somosomo, positionné au centre, inscrit trois essais et multiplie les coups d’éclat : « Il a été un des joueurs les plus en vue de tout le tournoi. Si sa venue à Vatukoula a été un tournant dans son parcours, le Mondial a été le véritable lancement de sa carrière. »

L’ITALIE, D’OÙ TOUT EST PARTI

À 15 000 kilomètres de son pays natal, ces faits d’armes participen­t à l’écriture de sa légende. Inconnu six mois plus tôt, Semi Radradra est désormais considéré comme un des plus grands espoirs de l’archipel.Tous les sélectionn­eurs le veulent dans leur groupe : à l’été 2011, il enchaîne le championna­t d’Océanie à VII, les jeux du Pacifique à Nouméa et intègre ensuite les prestigieu­x Fiji Sevens. « Je n’y croyais pas », dira-t-il lors de l’annonce de sa convocatio­n, lui, le premier épaté par sa progressio­n. Pourtant, le rêve inavouable devient réalité : en novembre et décembre, il participe à trois étapes du circuit mondial et rayonne à travers l’hémisphère Sud, de l’Australie à l’Afrique du Sud en passant par les Émirats Arabes. Un an après le Nasekula Sevens, l’aîné de la famille évolue désormais aux côtés des légendes de la discipline. L’histoire paraît déjà belle. Le plus beau, le plus invraisemb­lable aussi, reste pourtant à venir. Un nouvel horizon, pour le moins inattendu, s’ouvre devant les yeux ébahis du jeune homme : la NRL, l’un des deux plus prestigieu­x championna­ts à XIII.

Présent dans les tribunes au Gold

Coast, Steve Kearnley, manager des Parammatta Eels, a décelé le potentiel du phénomène et veut tenter le pari. « C’est une opportunit­é énorme, expliquera le joueur lors de sa signature. Je n’ai jamais joué à XIII, je n’y ai jamais même pensé, j’en ai juste vu un peu à la télé. Mais il faut savoir saisir les occasions quand elles se présentent.

Car elles ne repassent pas. » Inoke

Male voit son protégé s’affranchir, loin du club de Vatukoula, de sa mine, de son championna­t local…

Une séparation à l’amiable, un an, presque jour pour jour, après leur mariage de circonstan­ces : « C’était la deuxième grande décision de sa carrière. C’était un choix courageux de sa part mais c’était avant tout intelligen­t. Changer de discipline lui a permis d’enrichir sa palette technique et de franchir encore un cap physiqueme­nt. »

« TOUT AURAIT ÉTÉ DIFFÉRENT SANS LUI »

La suite est davantage connue. Au pays d’Oz, Semi Radradra devient un magicien du jeu, un sportif au million de dollars de salaire annuels, un attaquant aux quatre-vingt-deux essais sur cinq saisons. Depuis une saison, son improbable épopée se poursuit en France où il s’est imposé comme un des meilleurs joueurs du prétendu meilleur championna­t, marchant ainsi dans les traces de son idole d’enfance, Rupeni Caucaunibu­ca. Ironie de l’histoire, le Fidjien se rapprocher­a de la terre d’adoption de son modèle la saison prochaine, Agen, en rejoignant Bordeaux-Bègles où l’attendent un nouveau défi et un contrat estimé à 800 000 € l’année. Auparavant, il étrennera le maillot de la sélection à XV, en juin, lors de la Coupe du Pacifique. La roue de la fortune n’en finit plus de tourner dans son sens.

Ce conte moderne n’aurait pas connu un tel déroulemen­t si, un beau jour de décembre 2010, sa trajectoir­e n’avait pas croisé la route d’Inoke Male. En 2013, déjà, à l’heure de commenter son éclosion, Semi Radradra avait rendu le plus beau des hommages aux pères de sa réussite, dans la presse fidjienne : « Je veux remercier Dieu pour son aide dans mes combats, ma famille, aussi, et je ne pourrai jamais dire assez merci à l’homme qui m’a repéré et qui a cru en ce qu’il a vu. Tout au long de mon parcours, Inoke a été d’un grand soutien et d’une grande aide. Il m’a notamment encouragé à rejoindre la NRL car il savait que j’y trouverai la réussite. S’il n’avait pas été dans ma vie, tout serait différent pour moi. » Huit ans après avoir rencontré le génial touche-à-tout, avec qui il est resté en contacts réguliers, Inoke Male porte un regard bienveilla­nt sur le formidable tour du monde de son protégé : « Tout ce qui lui arrive de bien ne me surprend aucunement, dit son mentor. Semi est un joueur et un homme vraiment spécial, qui a toujours une démarche positive et cherche constammen­t à repousser ses limites. Il y en a peu des comme lui. » Quel adversaire de Sevens, de NRL ou de Top 14 oserait désormais prétendre le contraire ? Semi Radradra ou l’illustrati­on même de l’effet papillon : ou quand un battement d’ailes dans le Pacifique peut finir par provoquer des ravages de l’autre côté du globe.

« Il vient d’une famille dont le père était malade et était l’aîné de six enfants. C’était une opportunit­é inespérée de s’offrir un meilleur futur. » Inoke MALE

Ancien sélectionn­eur des Fidji « Je ne pourrai jamais dire assez merci à l’homme qui m’a repéré et qui a cru en ce qu’il a vu. » Semi RADRADRA

Ailier de Toulon, en 2013, dans la presse fidjienne

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Photo M. O. - D. P.

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