COUSINADES OVALES
DANS L’HISTOIRE RÉCENTE, LES DEUX LOCOMOTIVES D E L’EST SE SONT RAPPROCHÉES, DE PAR LEUR PARCOURS, LEUR RELATION SAINE ET LA VENUE MASSIVE D’ANCIENS TOULONNAIS DANS LE RHÔNE. MAIS L’ÉLÈVE ENTEND MAINTENANT DÉPASSER LE MAÎTRE.
JE T’AIME BIEN…
« Avec Pierrot, nous avons fusionné depuis quelque temps parce que c’est un peu à la mode. Vous verrez, finale Toulon-Lyon, pim pam poum, on fusionne et voilà, champion de France sans jouer. C’est ce qui s’appelle une fusion réussie. » Mars 2018 : dans une de ses chroniques pour rugbyrama.fr, Mourad Boudjellal avait célébré, à sa manière, le premier anniversaire du mariage raté Stade françaisRacing 92 en ironisant sur le rapprochement entre son RCT et le Lou Rugby de Pierre Mignoni. Il avait alors inventé «Toulyon». Deux mois après, la prophétie va se réaliser avec deux semaines d’avance, et un bémol de taille : les deux locomotives du grand Est ne vont non pas fusionner mais entrer en collision à l’occasion de ce barrage aux allures de rassemblement familial. La filiation entre les deux entités interpelle au premier coup d’oeil. Près d’un quart des joueurs lyonnais utilisés en championnat a récemment porté les couleurs du RCT. Dix sur quarante-cinq pour être exact avec, dans l’ordre décroissant du nombre d’apparitions, Liam Gill, Mickaël Ivaldi, Rudi Wulf, Alexis Palisson, Jonathan Pélissié, Theo Belan, Frédéric Michalak, Alexandre Menini et Virgile Bruni. À un tel niveau, ça ne peut être une coïncidence.
Le phénomène migratoire du Sud vers le Nord débute en 2014. Olivier Azam, parti de Mayol pour Gerland, convainc quatre de ses anciens joueurs de le rejoindre : Vincent Martin, Pierrick Gunther, Emmanuel Felsina, plus un certain George Smith.
y a un peu de sang toulonnais dans cette équipe, c’est une bonne chose », avait alors constaté le premier. « Avec les recrues qui sont venues et l’effectif dont nous disposons, je trouve que le Lou ressemble au Toulon d’il y a quelques années », avait comparé le pilier. À l’époque, le président Yann Roubert en personne se référait au ténor du Var, référence en termes de croissance rapide :
« Beaucoup de bonnes choses sont faites à Toulon. C’est un modèle à suivre. Des liens amicaux nous unissent. Nous avons discuté très sereinement avec Mourad Boudjellal quant à la venue des recrues mais si Toulon est une source d’inspiration, nous devons tout de même écrire notre propre histoire. Nous sommes encore loin du RCT. »
MIGNONI ET GILL, SI CHERS ENNEMIS
À l’été 2015, l’arrivée du duo Pierre Mignoni-Sébastien Bruno entre Rhône et Saône accélère le développement lyonnais et accentue, dans le même temps, sa « toulonnitude ». Les éléments devenus indésirables ou jugés sur le déclin du côté de Berg débarquent massivement dans la capitale des Gaules : Nicolas Durand, Delon Armitage, Virgile Bruni, Jonathan Pélissié, Frédéric Michalak ou Alexandre Menini y trouvent ainsi une terre d’accueil propice pour rebondir, se retrouver et se renouveler. La petite colonie permet progressivement au Lou d’accéder au Top 14, puis de se hisser parmi les candidats légitimes à la qualification. En deux saisons de présence dans l’élite, l’élève ne cesse de se rapprocher du maître.
Ce vendredi, avec son premier match de phases finales, il va disposer d’une première opportunité de le supplanter. Le RCT va ainsi se retrouver face au miroir de son passé et, ironie de l’his-
toire, pourrait avoir précipité sa propre perte pour avoir fourni des éléments confirmés à son adversaire du jour. Deux de ses « ex » pourraient tout particulièrement jouer un vilain tour au triple champion d’Europe, deux enfants chéris de Mayol partis trop tôt aux yeux de tous ses habitués : l’éminence grise Pierre Mignoni et l’homme à tout bien faire Liam Gill. Le manager réfute toute arrière-pensée - « Je suis parti en très bons termes avec l’ensemble du club », indiquait-il lundi dernier.Mais il n’en reste pas moins animé d’une motivation supplémentaire.
Le premier grand rendez-vous de sa carrière d’entraîneur, dans sa ville natale, avec l’impression d’avoir tout à gagner et rien à perdre : que pouvait-il espérer de plus ? « Nous allons préparer quelques trucs, entre nous, pour essayer de surprendre… », a-t-il promis. Les Toulonnais le savent capable du meilleur, et donc, du pire pour eux. Ils connaissent tout autant le potentiel de Liam Gill, leur ennemi préféré. Le meilleur Varois de la saison 2016-2017, libéré à regret pour raisons financières l’été dernier, a continué de progresser cette saison pour s’imposer comme le numéro 1 de notre classement des étoiles, tous clubs confondus. La suite logique d’une évolution annoncée, amorcée en rouge et noir : « À
Toulon, j’ai joué avec les meilleurs du monde, nous confiait-il au
début du mois. Je faisais mon job et je les laissais faire leur truc. À Lyon, j’ai plus un rôle de leader. » Si Duane Vermeulen et ses partenaires gardent un bon souvenir du passage du Wallaby, son retour pour ce barrage constitue une mauvaise nouvelle sportivement parlant. Tout comme le petit sentiment de revanche animant sans nul doute la demi-douzaine de revenants, de Michalak à Pélissié en passant par Menini.
QUAND BOUDJELLAL ÉNERVAIT L’OL...
Pour la première fois de leur histoire commune, les deux lointains voisins s’apprêtent donc à entrer en confrontation directe dans un contexte tendu. Ce rendez-vous couperet pourrait-il marquer le début d’une rivalité et/ou d’une passation de pouvoir ? Jusqu’à présent, aucune de leurs rencontres n’a été émaillée d’incidents ou de polémiques notables. En coulisses également, les relations entre le sulfureux Toulon et le discret Lyon sont dénuées d’animosité. Leurs projets sont menés en parallèle, chacun avançant de son côté sans interférence majeure ni conflit latent. S’ils ont pu être en lutte sur le marché des transferts comme sur les dossiers Belan et Messam, ou pour une place de représentant à la Ligue, les présidents, au tempérament diamétralement opposé, ne se sont jamais pour autant écharpés sur la place publique. Le retour de Pierre Mignoni sur la rade, un temps envisagé l’an passé, aurait pu donner lieu à un bras de fer mais le manager n’a pas laissé planer le doute et a très rapidement prolongé son contrat jusqu’en 2023. Dont acte.
Pour l’heure, l’unique embrouille entre Toulonnais et Lyonnais implique Mourad Boudjellal… et l’OL. En déclarant, au second degré, son « envie de tout casser » à Lyon lors des demi-finales à venir, l’homme fort du RCT avait indigné Bruno Genesio, manager des Gones : « Les propos tenus par Mourad Boudjellal sont scandaleux. Comment peut-on, quand on est président de club de football, de rugby ou de ce que vous voulez, appeler à la haine ? »
Le magnat de la BD avait tenu à dédramatiser la situation dans la foulée en précisant avec des airs de casque bleu : « Nous souhaitons juste y aller pour tout casser en termes d’ambiance. » Avant d’enflammer le Groupama Stadium, ses hommes doivent prendre la mesure du Lou. Coûte que coûte.
L’enjeu paraît tellement considérable. Un faux pas serait perçu comme une déception majuscule aux conséquences sans nul doute fâcheuses pour tout le club. Pour Mourad Boudjellal face à un concurrent au potentiel indéniable ; pour Fabien Galthié, aussi, face à Pierre Mignoni, son concurrent par le passé et peut-être à l’avenir pour une place à la tête du XV de France. Et, enfin, pour toutes les vedettes toulonnaises vis-à-vis d’elles-mêmes et de leurs ambitions. Pendant quatre-vingts minutes, l’amitié et l’affinité entre les deux cousins n’auront en aucun cas leur place sur la pelouse de Mayol.